Pour ceux qui ne savent pas, pour les nuls en géographie, Villeneuve-de-berg est une petite ville du Sud du département de l’Ardèche, dans la région Rhône-Alpes, au sud-est de la satrapie France (une des régions européennes du Grand Etat Mondial).
Nous roulons vers le refuge SPA de Lavilledieu. Objectif : non pas, augmenter encore la population de notre petit appartement, où s’ébattent toujours deux chattes, après que notre chien, il y a deux ans, se fût fait écraser par une voiture, suivi du troisième chat, six mois plus tard… Non, nous restons à deux félins, et n’irons pas plus loin pour le moment ; mais nous avons l’intention de sortir, le temps d’une promenade, deux chiens du refuge. C’est le genre de B.A. pour lequel nous éprouvons une certaine affinité. Les chiens, le temps d’une après-midi, sont heureux ; les enfants sont heureux ; et finalement, nous aussi, les adultes, sommes heureux. Tout bénéfice.
Le refuge SPA a été judicieusement construit dans la zone industrielle, à proximité d’une casse auto et sous le vent direct de la déchetterie, laquelle ne sent pas la rose, à moins qu’il ne s’agisse de la rose socialiste… Pour des chiens, à l’odorat mille fois supérieur à celui des humains, ce doit être un régal de respirer cela à longueur de journée !
La dame responsable de la SPA nous connaît, nous faisons partie des « promeneurs » réguliers, l’affaire est vite conclue, nous héritons de Chipie, une petite femelle fox noire, et d’un chiot Labrador trois fois plus grand, tout blanc et magnifique. Deux laisses, et nous voilà partis.
On commence par se rapprocher de la déchetterie, mais c’est pour mieux la dépasser, car derrière, c’est déjà la nature, la garrigue, le no man’s land ; après quelques centaines de mètres, les odeurs s’estompent, puis disparaissent.
Nous empruntons des petits chemins caillouteux, qui serpentent gentiment dans ce paysage de rocaille – du calcaire blanc, buriné par l’eau, découpé en mille formes improbables, posé ici et là, comme au hasard, en blocs de toutes tailles, depuis le format « ballon de football » jusqu’à « hangar à bateaux » en passant par le bon mètre cube, la « citerne », etc…
Entre les pierres, partout, de la végétation ; non pas cette végétation feuillue et herbacée, verte et gorgée d’eau, que l’on trouve plus au nord ; mais ces petites feuilles dures et presque noires des buis, ces feuilles piquantes du houx, ces feuilles étroites et pointues des chênes verts, ces feuilles fanées mais encore solidement accrochées des chênes pédonculés. Les cades aussi, si délicieusement odorants, les genévriers de toutes sortes, les genêts – les escoubets comme ils disent ici – et le thym, le thym partout. Par ci, par là, de la menthe, des fraisiers sauvages.
Les enfants courent, chacun son chien en laisse, on ne sait pas qui est le plus content, de l’animal ou de l’enfant qui lui court après – la laisse à bout de bras ! A leurs cris et jappements répondent les abois de ceux du chenil, que l’on entend encore ici portés par le vent qui jamais ne cesse tout à fait.
Sur le sol parfois boueux – nous avons enfin eu un peu de pluie, il était temps ! – des traces d’autres chiens qui ont eu la chance d’être promenés aujourd’hui, des pas humains, et, plus anciennes de quelques jours, mais néanmoins faciles à distinguer, des sangliers. Les quatre doigts parallèles, caractéristiques, d’un blaireau.
Des chênes, partout des chênes. C’est vraiment l’arbre roi. Ils ne sont pas très grands ici, rien à voir avec les hautes futaies des grandes forêts de Champagne ou de Lorraine. Ils ont un terrain dur, difficile, le vent et le soleil les racornissent un peu, ils sont plus courts, plus torturés et comme concentrés aussi, mais ils sont là, ils s’accrochent, ils résistent, ils sont gaulois et veulent le rester…
Au détour du chemin, nous tombons sur un espace magique, un beau vieux chêne étroitement mêlé au rocher qu’il a fendu au passage et qui semble encore vouloir l’étreindre ; un coin moussu, invitant au pique-nique, à son ombre, et des pierres encore, tout autour, comme autant de bancs complaisamment offerts à nos postérieurs ; du thym, des ellébores et des euphorbes, un cade là plus loin, et surtout cette aura de « forêt à druide » : cela sent la dryade, le faune, le léprechaun, les antiques divinités de la nature, la Vouivre [1]. Tu sens, me dit ma femme, comme c’est différent ici, comme on est bien ? C’est comme préservé, protégé des souillures…
Oui, lui réponds-je, nous venons de quitter la France ; ici, c’est la Gaule.
Richard Bach.
[1] La Vouivre est, dans les légendes médiévales, un animal fantastique lié au monde souterrain et aux eaux, figuré sous la forme d'un serpent, parfois d'une sorte de dragon. Il symbolise les forces telluriques, les ondes souterraines qui donnent leurs forces aux êtres vivants. L'origine du concept est fort ancien, peut-être antérieur même à l'époque gauloise. La Vouivre inspira de nombreux auteurs contemporains, notamment le Bourguignon Henri Vincenot.Un article très intéressant sur une célèbre légende de Franche-Comté mettant en scène la Vouivre : http://crdp2.ac-besancon.fr/ftp/lejal/vouivre7/intro.htm...