Sarkozy enterre un peu plus l'idée européenne. Depuis son élection en mai 2007, on ne compte plus les occasions manquées ou les sabotages volontaires. Pour défendre leur président, certains s'abritent derrière la signature rapide du Traité de Lisbonne, qui devait débloquer le fonctionnement institutionnel d'une Europe à 27 Etats membres. Retoqué en Irlande, le traité fut allégé pour être digéré. C'était l'arbre qui cache la forêt.
Pourtant président de l'Union européenne pendant 6 mois en 2008, Nicolas Sarkozy a surtout joué sa carte personnelle, dans un contexte aggravé par la crise financière : célébration de l'Union pour la Méditerranée, tentations atlantistes, flirt solitaire vers la Russie, nomination d'un président de l'UE sans charisme ni moyens puis, depuis un an, rapprochement insistant avec l'Allemagne, sans oublier l'accord militaire franco-britannique en novembre dernier. Que reste-t-il de l'Union européenne ? Sa défense militaire commune est une idée désormais enterrée, la gouvernance économique commune se résume à un diktat allemand, et la diplomatie de l'Union n'a jamais fait la preuve de son efficacité. A l'étranger, l'Europe parle à 27.
Par conviction personnelle sans doute, et calcul électoral interne surtout, Nicolas Sarkozy ne croit pas en l'Europe. Il a surtout besoin, pour sortir par le haut de son premier désastreux mandat, de se coller au modèle allemand.
Avant la tenue de ce conseil, on s'amusait outre-Rhin de ces appels répétés depuis juillet à la convergence fiscale franco-allemand. Le gouvernement français ne cherche qu'à réformer sa fiscalité du patrimoine pour tirer un trait sur l'ISF et le bouclier fiscal. En Allemagne, comme nous le rappelions mercredi dernier, l'agenda est complètement différent. Mais qu'importe. Nicolas Sarkozy a besoin du modèle allemand pour se rassurer, et rassurer les marchés. « La France perd du terrain sur l'Allemagne » titrait récemment The Economist. Il y a urgence.
Vendredi 10 décembre à Fribourg, Sarkozy a donc rejoué cette partition désormais habituelle : s'afficher auprès d'Angela Merkel, avec un gros sourire pour les photographes, approuver une déclaration incantatoire commune, et rappeler que l'Europe existe puisque l'Allemagne et la France sont soit-disant d'accord sur l'essentiel. Cette fois-ci, il fallait critiquer le projet d'emprunts obligataires européens défendu par quelques pays du Sud de l'Europe et le pourtant très conservateur Jean-Claude Juncker, ministre des finances luxembourgeois et président de l'Eurogroup. Sarkozy n'y a visiblement pas compris grand chose, comme il l'avoua le jour même, mais ce n'est pas grave.
Ce vendredi donc, les deux chefs de gouvernement ont à nouveau porté un coup au projet européen. Sous couvert de crier leur soutien à l'euro tels des perroquets sans idée, Merkel et Sarkozy ont critiqué l'idée de Juncker : « En ce qui concerne les Euro-obligations, j'ai dit que la mutualisation des taux (...) ne nous aiderait pas beaucoup », a justifié Angela Merkel. Selon elle, ces dernières « déresponsabiliseraient les États » qui seraient dégagés de toute pression sur leurs finances publiques, leur dette étant logée au niveau européen. Elle ajouta qu'il faudrait plutôt « améliorer la cohérence des politiques économiques (…) il ne s'agit pas de mutualiser les risques ». A ses côtés, Sarkozy a évidemment abondé: « il faut responsabiliser les Etats, pas les déresponsabiliser », et ne « pas mettre la charrue avant les boeufs. » L'homme qui a gâché plus de 20 milliards d'euros avec des mesures inefficaces ou anachroniques depuis 2007, sans rapport avec la relance économique, se permet des déclarations publiques toujours aussi croustillantes.
En fait, l'argument est doublement spécieux. Primo, Mme Merkel oublia de préciser qu'elle, comme Sarkozy et d'autres, ne veut pas d'un gouvernement économique européen fort. Et comme il n'y a donc aucun pouvoir économique central, imaginer une prise d'endettement significative au niveau de l'UE est du coup une mauvaise idée. Secundo, le projet d'euro-bond ne visait pas à substituer des dettes nationales par un endettement européen. Les ministres des finances Jean-Claude Juncker (Luxembourg) et Giulio Tremonti (Italie) expliquaient lundi, dans une tribune publiée dans le Financial Times, qu'une Agence européenne de la dette pourrait emprunter jusqu'à hauteur de 40% du PIB de l'Union européenne, sans toutefois, précisaient-ils, dépasser plus de la moitié des besoins d'un pays ... sauf en cas de coup dur. L'idée était d'éviter de permettre aux marchés de spéculer sur un Etat en particulier. Les deux hommes proposaient même un dispositif préventif pour responsabiliser les Etats membres, un système de conversion des E-bonds contre les obligations des Trésors nationaux, en fonction de leur décote sur les marchés financiers (les fameux spreads). On peut, légitimement, critiquer ce projet, mais certainement pas avec les arguments invoqués par le couple forcé Merkel/Sarkozy. Bref, Sarkozy et Merkel voulaient surtout, ce jour-là, montrer qui était le patron de l'UE. Et c'est Merkel !
La vraie surprise fut cette confidence de Nicolas Sarkozy : au fond, il n'avait pas franchement compris le projet ! « Je ne pense pas que nous ayons été consultés avant que cette idée soit émise. Si nous l'avions été avant, peut-être qu'on aurait compris. On ne peut pas être les seuls à ne pas donner notre opinion. »
Au final, pour faire bonne figure, en ces temps troublés où la spéculation boursière est toujours aussi active tantôt contre les Etats jugés fragiles, tantôt contre l'euro, nous eûmes donc droit à un vibrant plaidoyer en faveur de la monnaie unique : « L'engagement de l'Allemagne envers la zone euro est intact », a assuré Angela Merkel. « Nous sommes profondément attachés à l'euro parce que l'euro c'est l'Europe » a renchéri Nicolas Sarkozy. Plus « EURO-péen » que moi, tu meurs ! « L'Allemagne et la France ont démontré leur solidarité européenne, je ne pense pas qu'il y ait des leçons à recevoir en la matière » a ajouté Sarkozy. Quelle solidarité !
La faiblesse politique de l'Europe est manifeste. Tout le monde le dit, le répète, même en France. Christine Lagarde s'en est encore inquiétée, voici 15 jours. Et pourtant, Nicolas Sarkozy s'obstine à privilégier le seul axe franco-allemand.
Même quand il ne comprend rien.