En porcelaine tendre de Sèvres bleu céleste, vers 1763-1770, monture de bronze ciselé et doré, le couvercle surmonté d’une graine et d’une couronne de feuillage, le col à motif de piastres, le corps flanqué d’anses en forme de masques de satyre retenant une guirlande de laurier, la base à tiges enrubannées et canaux
Hauteur : 29 cm. (11 ½ in.)
http://www.auction.fr/FR/vente_peintures_arts_graphiques/v15848_artcurial_briest_poulain_tajan/l2699679_vase_couvert_epoque_louis_xvi.html
Bibliographie :
Pierre Kjellberg, Les objets montés du Moyen Age à nos jours, Paris, Eds. de l’Amateur, 2000, p.127.
F.J.B. Watson, « Walpole and the Taste for French Porcelain in Eighteenth-Century England », in Horace Walpole : Writer, Politician and Connoisseur, New Haven Yale University Press, 1967, p.185-194.
F.J.B. Watson, Chinese Porcelain in European Mounts, exposition China House Gallery, New York, oct.1980 – janv.1981.
Pierre Verlet, The James A. de Rothschild collection at Waddesdon Manor. Sèvres Porcelain, Fribourg, Office du Livre, 1968, p.236 n°81
Svend Eriksen, Early Neo-Classicism in France, London, Faber and Faber Ltd, 1974, p.362 et pl.238.
John Whitehead, « The Marchands-Merciers and Sèvres », in The International Ceramics Fair and Seminar, Londres, 1993, p. 36-43
P. Jullian, Le style Louis XVI, Paris, Baschet et Cie, p.126.
Si hormis notre vase un seul autre de ce modèle réalisé en porcelaine bleu turquoise, mais dépourvu de son couvercle, est connu (Sotheby’s, New York, 22-24 avril 1982, lot 46), un nombre relativement important de vases identiques en porcelaine tendre de Sèvres à fond vert est conservé : un à Waddesdon Manor (S. Eriksen, Early Neo-Classicism in France, 1974, reproduit pl.238 et P. Verlet, The James A. de Rothschild collection, 1968, cat n°81, p.236), un autre, qui dissimule une figurine en argent représentant la réduction du monument équestre de Louis XV de Bouchardon, dans la collection J. Pierpont Morgan au Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut (L.H. Roth, C.
Le Corbeiller, French Eighteenth-Century Porcelain at the Wadsworth Atheneum, 2000, cat.65, p.121-127), un troisième, faisant partie d’une garniture avec deux autres vases ovoïdes (Sotheby’s, Monaco, 17 juin 1988, lot 682, puis Sotheby’s, Monaco, 3 mars 1990, lot 179), enfin un dernier, Christie’s, New York, 21 octobre 1997, lot 277.
On connait également une paire dont le corps est en noix des îles avec la même monture de bronze, surélevée sur une base en marbre blanc (vente à Paris, 23 novembre 1992, lot 55, provenant de Mme P…, Monaco, puis Sotheby’s, New York, 21 mai 1994, lot 112), une autre paire similaire en bois laqué à l’imitation du marbre (vente à Paris, 8 février 1993, lot 63), alors que deux autres vases, avec les mêmes anses en forme de têtes de satyres réunies de guirlandes de laurier, présentent quelques différences dans le décor du couvercle, du gorge ajouré et de la base (l’un provenant de la collection de John Chute, The Vyne, Hampshire, l’autre dans les collections royales britanniques).
On sait aujourd’hui que toute cette production avait été réalisée par le marchand mercier Jean Dulac (1704-1786) qui tenait commerce à l’enseigne Au Berceau d’Or, rue Saint-Honoré à Paris depuis 1740. En effet, dans les années 1765, celui-ci inventa des modèles originaux de vases montés correspondant à la nouvelle mode en plein essor du néoclassicisme et du goût grec. Réalisés soit à partir de gobelets et couvercles, qu’on appela par la suite vases cloche, en porcelaine de Sèvres, soit en porcelaine de la Chine, ces vases furent déclinés principalement en deux modèles, parfois avec quelques variantes dans les ornements de bronze : l’un, plus grand, décoré de protomés de lion et de guirlandes en bronze doré, qui pouvait renfermer ou non à l’intérieur un chandelier à piston remontant une fois le couvercle enlevé et un autre, de moindres dimensions, correspondant à notre vase, sur lequel les anses furent remplacées par des têtes de satyres.
Un exemplaire signé de chacun des deux types est connu : un vase à masques de lions, conservé au Palais Lazienki à Varsovie porte l’inscription » Dulac Md Rue St Honoré à Paris invenit » (P. Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1987, p.73, fig.66-67) ; tandis que celui de Wadsworth Atheneum, est marqué lui aussi » Dulac Md Rue St Honoré inveniste « . A l’instar du vase à chandelier, ce second modèle est représenté dans un recueil de dessins provenant des collections du duc de Saxe-Teschen, conservé au Metropolitan Museum de New York (voir ill.).
Ce type de vases à monter, consigné pour la première fois dans les registres de la Manufacture de Sèvres en 1764, n’allait être désigné sous l’appellation de gobelets en cloche ou plus souvent de vases cloches, qu’à partir de 1772 (Arch. Manufact. Sèvres, Vy 5). Ils furent réalisés à l’imitation de la porcelaine extrême-orientale en beau bleu, bleu lapis, vert ou bleu céleste et, en fonction de leurs dimensions et couleurs, leur prix était compris entre 54 et 120 livres. Comme Poirier, Dulac et son épouse faisaient partie des marchands merciers jouissant du privilège de la revente des porcelaines de Sèvres à la ville et son nom se retrouve systématiquement dans les comptes de la Manufacture entre 1758 et 1776 ; ainsi, pendant le premier semestre de 1764, il avait acquis un gobelet avec sa soucoupe pour 54 livres, puis deux identiques, pendant le second semestre, quatre autres de la même valeur pendant les derniers six mois de 1765, etc. (Arch. Manufact. Sèvres, Vy 4). Lors de son voyage à Paris, Horace Walpole, grand amateur de porcelaines de Sèvres, acheta chez Dulac trois de ces vases d’un modèle proche du nôtre, pour son ami John Chute. Ainsi, le révérend William Cole qui accompagnait Walpole en France, consigna dans son Journal le 14 novembre 1765 : Nous sommes allés dans la boutique de Madame du Lac…Mr. Walpole, en dehors d’autres choses, acheta 3 magnifiques vases pour cheminée, émaillés en bleu et montés en bronze doré pour Mr. Chute à The Vine dans le Hampshire : ils coûtèrent 19 guinées et étaient le plus élégant ornement pour l’endroit auquel ils étaient destinés, celui du milieu étant plus grand que les 2 autres (John Whitehead, « The Marchands-Merciers and Sèvres », 1993, p.40). L’un des vases de John Chute subsiste toujours, bien que l’ancienne porcelaine fût remplacée en 1998 (F.J.B. Watson, « Walpole and the Taste for French Porcelain in Eighteenth-Century England », 1967, p.185-194, reproduit). Selon Linda H. Roth et Claire Le Corbeiller, Walpole aurait possédé lui-même une garniture similaire mais en porcelaine bleu céleste (French Eighteenth-Century Porcelain at the Wadsworth Atheneum, 2000, p.125, note 8). En effet, dans son journal parisien Walpole consignait l’acquisition d’un vase bleu monté en bronze doré et de deux autres blue vases, qu’on retrouve mentionnés en 1798 dans la Description of Stawberry Hill, la demeure du collectionneur.
Le premier se trouvait dans la Galerie A light blue potpourri of Sève mounted in ormolu (p.462) et les deux autres peut-être dans la Grande chambre au nord Two vases of blue china mounted in ormolu (p.500).
Bien qu’il ne soit pas impossible que notre vase fût l’un de ceux ayant appartenu autrefois à Walpole, cette hypothèse ne trouve pas pour l’instant son entière confirmation par un document d’archives. D’autant plus que ce modèle figure, comme nous l’avons constaté, sur le recueil d’objets provenant du duc de Saxe-Teschen : si les bronzes de celui-ci ne laissent aucun doute sur la paternité de Dulac, on n’a aucune indication quant à la couleur de la porcelaine et encore moins sur l’identité du marchand qui est à l’origine de ces dessins. Sir Francis Watson (Chinese Porcelain in European Mounts, 1980-1981, p.57) supposait qu’il pourrait s’agir de Philippe Poirier, qui tenait commerce rue Saint-Honoré, A la Couronne d’Or, ou de son successeur Dominique Daguerre, ce dernier en relations avec Dulac ; également, il est impossible de savoir si le recueil devait servir à l’origine au duc pour le choix des modèles à commander, ou bien s’il représentait une sorte de catalogue illustré de ses collections. Albert-Casimir-Auguste de Saxe, duc de Teschen (1738-1822) et son épouse Marie-Christine d’Autriche (1742-1798), la sœur de la reine Marie Antoinette, furent gouverneurs généraux des Pays-Bas entre 1780 et 1792. Grand amateur d’art, le duc réunit une importante collection de dessins et d’estampes lors de ses voyages en Italie, en Hollande, en France et en Angleterre et donna lui-même les croquis pour son palais de Schonenberg (Laeken, aux environs de Bruxelles) dont les plans furent réalisés par l’architecte français Charles de Wailly et dont la construction fut parachevée entre 1781 et 1785. Nombreuses livraisons de mobilier et d’objets d’art destinées à cette résidence furent poursuivies par les marchands merciers parisiens notamment par Dominique Daguerre. Marie-Antoinette avait également offert à sa sœur des vases de porcelaine et d’autres objets précieux. Hélas, en 1792 lors du départ précipité des princes de Bruxelles suite à la victoire des troupes françaises, un grand nombre de meubles et d’objets disparurent en mer dans le naufrage du vaisseau qui les portaient vers Hambourg.
Fils d’un marchand gantier parfumeur établi rue Saint-Honoré, Jean Dulac (1704-1786) avait repris la boutique de son père dès 1731 et devint lui-même marchand mercier privilégié suivant la Cour le 16 mai 1753 ; il allait le rester jusqu’au 24 février 1775, date à laquelle il donna sa démission. En 1743, il avait épousé en secondes noces Marie-Anne Garry ; celle-ci participa activement à son commerce et son nom figure à côté de celui de son époux dans les comptes de la Manufacture de Sèvres, car Dulac détint pendant plus de vingt ans le monopole de la distribution de la porcelaine qu’on y fabriquait. A l’instar de Julliot, de Poirier et de Daguerre, Dulac fut à l’origine de créations originales et son rôle semble très considérable dans la diffusion du style grec dans les années 1760-1770. L’inventaire établi lors de son décès en 1786, consignait une importante clientèle parmi laquelle figuraient les noms du duc de Chartres, du prince de Chimay, de la landgrave de Hesse, du duc de Liancourt, de la duchesse de Luynes, du duc et de la duchesse de Mazarin, etc. Il était aussi créancier des ducs d’Havré et de Croy, de la princesse d’Hanhalt Zerbst, du marquis de Voyer, de la marquise d’Asfeld, etc.