Texte d'Umar TIMOL (Île Maurice).

Par Ananda

Eviter de se retrouver devant le miroir. De se regarder, de faire le constat des dégâts. Du temps qui passe, de ses échecs, de son amertume. Mais elle ne peut s’empêcher, tous les soirs, d’y retourner. De s’asseoir devant son miroir et de se regarder. Se regarder à contrecœur car ce visage appartient à une autre. Ce visage bouffi par trop de promesses bafouées, ce visage qui ne suscite plus le moindre désir, ce visage las, triste. Ce visage, elle le sait, appartient à quelqu’un d’autre, à une autre femme, une femme dont la vie est sordide, une femme qui ne croit en rien. Mais pas elle. Pas toi. Elle mérite mieux. Tu mérites mieux. Ce visage appartient à une autre, elle le sait, il ne peut en être autrement. Mais elle s’efforce de se regarder. Elle doit se regarder. Elle doit s’exercer à la lucidité, elle ne peut et elle ne doit taire la lucidité, il faut qu’elle aille au bout de cette ambition.

Disséquer la pierre qui masque tous ses mensonges pour que ne demeure que son ample obscurité.

Ce visage ne lui appartient pas. On le lui a greffé. Il est l’œuvre d’un démon qui la jalouse.

Un démon qui te jalouse.

Et tu es folle.

Puis elle se met à rire, un rire tonitruant qui résonne dans les couloirs et les chambres de son sordide appartement. Rire parce qu’elle a quarante ans et que sa vie fout le camp, rire parce que tout à l’heure son mari retournera du travail et il lui donnera envie de gerber, rire parce qu’elle n’a pas d’enfants, rire parce qu’elle a envie de se détruire, parce qu’elle a envie de forer sa peau avec un couteau, rire parce qu’elle crève d’envie de baiser, là, tout de suite, rire parce qu’elle n’est qu’une ombre. Rire pour que cesse la trame de la raison, pour qu’elle puisse afficher son impudeur, rire parce qu’elle est folle et que la folie est prétexte à tous les excès.

Apres c’est le retour au calme. Elle refoule ce qu’elle nomme sa pathétique comédie des sens dans un coin perdu de son être. S’opère sa mue et elle redevient la femme convenable. Plus que convenable. On ne se défait pas de quarante années de dressage en quelques heures.

En attendant de pouvoir se lâcher une fois de plus, le lendemain.