Triste histoire que celle du rap français. Une tragédie annoncée dès la fin des années 90 et dont le destin paraissait clair depuis l'avènement en France de cette musique et la multiplication des produits commerciaux sans saveur qui on suivi. Les "produits" (le mot est juste) sont alors conçus dans l'unique but d'en vendre un maximum et ne sont dès lors que de pâles copies des productions outre atlantique. Plus aucune personnalité, plus de créativité, des sons d'une monotonie affligeante, des artistes sans le moindre talent d'écriture ne faisant que reprendre les même sempiternels refrains surannés, une parodie de la rue exacerbée où ne priment que paraître et réussite monétaire, et enfin, pour finir, une ignorance profonde de l'histoire même de la culture rap (je préfère le terme de hip hop, toutefois rap convient mieux pour un état des lieux en France). Mon constat est lourd mais dramatiquement réaliste. Sans doute n'a t-on finalement que le rap que l'on mérite. Cette musique, plus qu'aucune autre, est un reflet majeur de la société qui l'environne et se trouve naturellement impliquée dans ce déferlement de médiocrité citoyenne orchestré par une politique tout aussi médiocre incapable de relever le niveau (d'ailleurs le veut-elle vraiment?). L'époque du Ministère A.M.E.R ("sacrifice de poulets") et des 2 Bal 2 Neg ("la sédition est la solution") n'est plus, mais semble avoir fait beaucoup d'émules auprès de la jeunesse actuelle à la gâchette verbale facile mais tellement plus pauvre. L'énergie et la dérision explicitement revendicatrices portées par ces rappeurs, aujourd'hui bons trentenaires, ont laissé place à une profonde ignorance fièrement affirmée semblant suivre inexorablement l'ordre des choses établies et le funeste déroulement de la vie moderne. Histoire tragique d'un monde qui part en déconfiture et d'une société contemporaine aux valeurs bafouées et sacrifiées sur l'hôtel de la réussite sociale. S'il fut un temps où le savoir était une arme, l'arme d'aujourd'hui à la couleur verte, et les jeunes ne s'y sont pas trompés.
Je ne vais donc pas vous parler maintenant du énième album insipide d'un énième groupe de rap français, écrit par un énième éternel adolescent pseudo gangster trop fier de rouler dans une porsche cayenne qu'il aura pris soin de louer pour le tournage d'un énième clip ghetto, copier-coller de clips américains tout aussi merdiques mais néanmoins vendeurs.
L'Amour Est Mort
Oxmo Puccino n'est pas de ceux-là. Il roule sa bosse dans le milieu depuis plus de 15 ans et reste l'un des rares à ne pas céder à la loi du marché, quitte à prendre quelques déculottées psychologiques comme c'était le cas lors de la sortie de son album "L'amour Est Mort" qui n'avait pas su trouver son public. Qu'importe. Son hip hop s'est progressivement enrichi en instrumentation et il faudra attendre 3 ans de plus pour le voir rebondir avec ce "Cactus De Sibérie" radicalement différent de ces précédents opus. Plus question de samples échantillonnés à partir d'albums de tous genres, Oxmo s'entoure maintenant de musiciens avec qui il compose la totalité des titres. Le résultat est plus musical que précédemment et lui permet de s'affirmer comme un artiste à part entière soucieux de la qualité de l'ensemble de son travail et toujours aussi exigeant quant à son écriture métaphorique (le virage entrepris se confirme avec la sortie 2 ans plus tard chez Blue Note du très bon "Lipopette Bar" enregistré avec le groupe The Jazzbastards). Homogène et bien ficellé, ce disque a tout pour rassembler une variété d'auditeurs perplexes pour qui le hip hop n'aurait pas grand chose à apporter et va plus loin qu'un simple exercice égocentrique dont nous affuble déjà de bien piètre manière la quasi totalité des rappeurs français. Le Black Desperado sait se montrer créatif et innove dans le bon sens du terme. Je vous laisse pour preuve une sélection subjective des titres que je trouve les plus réussis (dont le très très bon "Mon Pèze") et qui vous donneront peut être envie d'en écouter plus, ici.