La Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) a été le théâtre d’une mutinerie les samedi 13 et dimanche 14 décembre 2008. Le bilan, selon des sources pénitentiaires, avait fait état de 4 détenus en fuite et 6 blessés.
Notre rédacteur en chef, le grand reporter Jean-Paul Ney – alors retenu en otage par le président Laurent Gbagbo pour avoir approché la rébellion - fait entrer un appareil numérique, filme et photographie les exactions du régime en place.
Tirs directs, exécutions sommaires, et tortures, deux ans après, pour que la mémoire des « oubliés de la MACA » ne s’éteigne jamais, nous avons décidé avec Jean-Paul, de publier cette vidéo.
Nous avions déjà publié une photographie, alors reprise par la presse ivoirienne et qui avait fait le tour du monde avec le témoignage de Jean-Paul Ney. Aujourd’hui, nous publions cette vidéo, demain suivront d’autres photos.
« Je n’avais plus rien à perdre »
Pendant deux longues nuits, notre rédacteur en chef (et fondateur du site lesgrandesoreilles.com), Jean-Paul Ney, a ressassé ses souvenirs. Plongé dans l’obscurité d’une salle de montage, il a dérushé, monté et commenté les images: « je n’avais plus rien à perdre, je n’ai pas réfléchi, j’ai foncé, j’ai tout filmé et photographié à l’instinct ». Parfois, les souvenirs refaisaient surface « j’essaye de ne pas oublier mes petits que j’ai laissé là-bas, je fais ça pour eux, pour qu’on ne les oublie pas, la triple peine à la MACA, ça suffit ». Cette triple peine est décrite par le reporter comme étant d’abord celle de l’arrivée en prison, ils sont déshabillés, déshumanisés. Ensuite ils doivent payer pour ne pas dormir debout ou recroquevillés dans des toilettes immondes. La troisième peine c’est la faim, les mauvais traitements et l’hygiène déplorable, les maladies, le sida…
« Il fallait que je témoigne, il y a eu des morts, des gens les mains vides qui ont étés volontairement abattus et très vite évacués, tout est filmé. L’ex-régime de Gbagbo doit rendre des comptes et je me mets à la disposition de la justice ivoirienne et internationale pour témoigner, monsieur le président Alassane Ouattara est déjà au courant ».
« Rajouter un risque à un autre risque »
Pour Jean-Paul Ney, dans de pareilles situations, le calcul est simple : « de toutes façons, j’étais dans un pays où beaucoup de gens voulaient me tuer, c’était un équilibre hallucinant. D’un côté on me gardait sans véritable statut pour faire pression sur la France, de l’autre, des gens voulaient m’atteindre pour que je sois le troisième journaliste français tué en Côte d’Ivoire, le truc idéal pour faire basculer le régime de Laurent Gbagbo. Mon bourreau était devenu mon protecteur ! Au point où j’en étais, rajouter un risque à un autre risque rapportait exactement le même résultat. J’ai travaillé, avec tous mes réflexes, en faisant attention aux gardes, aux détenus qui pouvaient revendre l’information au régime pour monnayer leur sortie… »
Des caches, une balance et 18 gendarmes armés jusqu’aux dents
Et effectivement, le reporter sera « donné » par un détenu, qui a joint au téléphone ses contacts au FPI, le parti au pouvoir, afin de faire remonter l’information jusqu’à la présidence.
« J’ai donc du travailler très vite, et protéger le matériel. J’ai aménagé des caches dans ma cellule mais aussi dehors, je n’ai bénéficié d’aucune complicité, pour ne pas mettre en danger mes codétenus ». Le Deuxième jour plusieurs dizaines de gendarmes et para-militaires ivoiriens font irruption dans le bâtiment où est détenu Jean-Paul Ney, il sait déjà qu’ils sont là pour lui, ses relais et autres informateurs fonctionnent bien: « ils sont venus à 18 et armés jusqu’aux dents, j’avais déjà tout préparé, tout planqué. Ils n’ont trouvé qu’un téléphone portable dans ma poche, j’ai haussé le ton pour faire passer le tout. Je l’avais laissé dans ma poche, comme surpris par leur arrivée à laquelle j’ai fait semblant de ne pas m’attendre… plus c’est gros, plus ça passe… »
Espion international
Le lendemain, Jean-Paul Ney fait la Une des journaux ivoiriens, dont ceux proches du pouvoir qui publient de rocambolesques papiers tout aussi vides que ridicules, ils parlent alors « d’agent communiquant par satellite avec sa base », mais encore d’ »arsenal d’espionnage », une véritable pépite d’or pour une étude de cas en école de journalisme.
Faire sortir les images
« J’avais réussi, à présent j’avais deux missions: faire sortir les images et… rester en vie ! la deuxième mission étant de là, la plus importante ! ». Le soir de ma libération, je n’ai pensé qu’à une chose: faire sortir les images, je m’en foutais complètement des mots doux du procureur, du sourire du consul et de l’adieu de mes amis de fortune, je devais faire sortir ces foutues images ». Jean-Paul Ney s’envolera vers Paris, où il retrouvera sa famille et ses amis, ses confrères et tous ceux qui l’ont soutenu. « Je ne vous dirais pas comment j’ai fait, comment j’ai agi, c’est un secret que je garde pour ceux qui veulent faire ce métier, informer au cœur des conflits et jusqu’au bout de l’enfer ».
De conférences en conférences, de rédactions en salles de cours, Jean-Paul Ney enseigne aujourd’hui les secrets d’un métier plus que passionnant, le métier de reporter.
Marc Durand à Paris et Sako R. à Abidjan