Selon un rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement, la lutte contre les paradis fiscaux
est restée quasi-lettre morte depuis la crise.
«Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé », affirmait à la télévision Nicolas Sarkozy, le 23 septembre 2009. A en croire un rapport publié aujourd’hui par le Comité catholique contre la faim et pour le
développement (CCFD) et dont notre journal s’est procuré une copie, les choses ont très peu évolué pourtant depuis l’éclatement de la crise financière, il y a trois ans.
La note est même particulièrement « salée pour les pays dont les richesses sont détournées vers les paradis fiscaux », s’alarme l’ONG qui souhaite obliger les multinationales à publier leurs comptes, pays par pays, voire filiale par filiale.
Une activité économique artificielle
« Les îles Vierges britanniques (qui comptent 830 000 sociétés pour 24 491 habitants en 2010), les îles Caïmans, le
Luxembourg, l’île Maurice et les Pays-Bas ne représentent que 1% du PIB mondial et 0,27% de la population de la planète », constate l’étude. A eux cinq, ces pays pèsent pourtant « 1,7 fois plus
que les Etats-Unis et trois fois plus que le Japon, l’Allemagne et la France réunis en matière d’investissements à l’étranger », s’étonne l’ONG, se basant sur des chiffres de l’OCDE.
Explication : ces Etats sont un havre de paix pour les holdings et autres sociétés écrans. Certains de ces pays garantissent même l’anonymat aux investisseurs s’y domiciliant (fonds
spéculatifs, sites de commerce ou de paris en ligne et même messagerie rose…). Des conditions idéales pour qui souhaite échapper au fisc.
Mêmes mécanismes d’évasion pour l’épargne. Ilot de 116 km2 planté entre la France et le Royaume-Uni, le territoire de
Jersey, où les taxes et les droits de succession sont quasi inexistants, gère ainsi près de 500 milliards d’euros d’actifs, abritait, l’an dernier, 1 030 fonds spéculatifs et comptait une
banque pour 1 125 habitants.
Le terrain de jeu préféré des multinationales
Depuis le1er mars, les entreprises françaises implantées dans l’un des 18 paradis fiscaux référencés par le gouvernement
sont passibles de sanctions financières. « Ces dispositions ne valent que pour les pays n’ayant pas de convention fiscale avec la France », remarque Jean Merckaert, auteur du rapport. En
revanche, pas de sanctions, a priori, pour les entreprises implantées dans des pays ayant un accord de coopération avec Paris. « Et comme ces Etats sont incapables de fournir des informations
fiables sur les sociétés établies sur leur territoire, ajoute Jean Merckaert, pour ces dernières, le risque est quasi nul. » D’autant qu’elles sont souvent secondées par « nombre de banques,
juristes et avocats d’affaires ».
Soucieuses d’alléger leur comptabilité, de payer moins de frais de siège ou moins de droits de propriété, par exemple, les
multinationales ont bien compris les avantages qu’offre l’implantation dans ces territoires à la fiscalité parfois opaque.
Parmi les 50 premières entreprises européennes, trois (le britannique Lloyds, l’allemand Bosch et le français Total) ne
donnent quasiment aucune information sur leurs filiales. Les 48 autres, elles, déclarent 4706 filiales dans des paradis fiscaux, nous apprend l’étude. Les entreprises
françaises — dont certaines sont publiques! — n’échappent pas à la règle, la palme revenant aux banques.
Une liste de soixante pays
Non-conformité avec les normes antiblanchiment, présence sur leur territoire de sociétés écrans, législation permettant de
masquer l’identité des propriétaires de sociétés, poids dans la finance offshore… En tenant compte d’une douzaine de critères d’opacité, le CCFD, dans son étude, dresse un inventaire de
soixante pays assimilables à des paradis fiscaux.
A titre de comparaison, la liste noire d’Etats jugés non coopératifs établie par la France en février dernier ne compte que… dix-huit pays.
En tête du classement des paradis fiscaux de l’ONG, on retrouve, sans surprise des pays réputés depuis toujours pour leur manque de transparence : les Bahamas, la Barbade, Belize, le sultanat de Brunei, île de la Dominique, le territoire de Labuan (Malaisie), les îles Samoa, les Seychelles… Pointés du doigt pour leur opacité, l’Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni arrivent en queue de peloton. Ironie du sort, parmi les partenaires clés de la France, c’est Londres qui, sous la présidence française du G 20, devrait être en charge d’un atelier de réflexion sur… les paradis fiscaux.