SAS et licenciement : de nouveaux contentieux en perspective ?

Publié le 09 décembre 2010 par Jblully

Les arrêts rendus, le 19 novembre 2010, par la Chambre mixte de la Cour de cassation, méritent d’être salués, tant ils reprennent la position défendue dans ce blog, il y a quelques mois. La Cour y distingue, en effet, le pouvoir de représentation légale de la société, par son président, son directeur général ou son directeur général délégué, des délégations de pouvoirs fonctionnelles dont elle admet la validité jusque là contestée par les juridictions du fond. Pourtant, la lecture de ces décisions laisse perplexe sur de nombreux points…

Une solution attendue, très ouverte

Concernant la question qui lui était posée, la Chambre mixte de la Cour de cassation apporte une réponse sans ambages. Il s’agissait pour elle de dire s’il était loisible au président de la SAS de déléguer, sans mention au RCS, à un salarié de l’entreprise, autre que le directeur général ou le directeur général délégué, le pouvoir de licencier. Outre les enjeux juridiques fondamentaux, notamment en termes de sanction du licenciement (absence de cause réelle et sérieuse ? nullité ?), la question était essentielle en termes économiques. Soulignons, en effet, que la SAS est aujourd’hui la première forme de sociétés par actions, avec plus de 140.000 entreprises en France.

La solution retenue est celle que nous préconisions, comme de nombreux commentateurs, et elle est frappée au coin du bon sens. Si le Président de la SAS ne peut déléguer le pouvoir de représentation légale de la société qu’aux seuls directeurs généraux, dans le cadre des statuts et avec obligation de mention au RCS (article L. 227-6du Code de Commerce), il peut toujours accorder à un salarié une délégation de pouvoirs fonctionnelle, tel que le pouvoir de licencier. Il en allait de la survie des SAS au quotidien. Comment imaginer, autrement, que le Président d’un grand groupe puisse raisonnablement signer seul tous les documents concernant la vie sociale, mais aussi juridique, financière, commerciale de la société ?

Plus intéressant encore, la Cour souligne que cette délégation est inhérente à certaines fonctions, dans le cas présent à celle de DRH, sans qu’il soit besoin de plus de formalisme. Là encore, il s’agit d’une évidence : comment peut-on penser que le salarié responsable des ressources humaines de l’entreprise n’a pas pouvoir de mettre en œuvre la politique dont il la charge ?

Néanmoins, , si la cour mérite un satisfecit pour ces deux arrêts, on est encore loin du prix d’excellence.

Des silences et des non dits

En validant le principe de la délégation implicite, la Cour repositionne – volontairement ? – le débat sur le terrain du contenu du contrat de travail. En effet, la description des fonctions de chaque salarié ayant une quelconque responsabilité d’encadrement au sens hiérarchique ou technique, devra être largement affinée afin d’éviter toute concurrence de pouvoirs au sein de l’entreprise.

Le recours à la délégation implicite n’est, par ailleurs, d’aucun secours lorsque les fonctions du salarié n’implique pas telle ou telle prérogative. C’était le cas dans la seconde espèce, le licenciement ayant été prononcé par un chef de secteur. Dans cette hypothèse, la Cour use du mandat de droit commun pour sauver les apparences. Elle admet que le salarié auteur du licenciement a reçu un mandat tacite du Président de la SAS et que ce mandat a été confirmé a posteriori, lors de l’audience devant la Cour d’appel.

On peut s’étonner de la largesse du raisonnement des juges du quai de l’horloge, puisque la théorie du mandat « sauvera », de facto, toute situation, même les plus discutables.

On peut la regretter aussi, tant elle est source d’un nouveau débat judiciaire, celui de la nature du licenciement : acte de disposition ou d’administration. La question est purement théorique, la classification du licenciement dans l’une de ces deux catégories étant clairement incongrue.  La réponse des cours d’appel frondeuses pourra néanmoins conduire à une invalidation renouvelée des licenciements prononcés en l’absence de mandat écrit s’il est retenu que le licenciement est un acte de disposition. C’est ce que ne manqueront pas de plaider les défenseurs des salariés.

En outre, la Cour de cassation, dans ces deux arrêts, laisse deux questions en suspens.

D’abord, le salarié est-il un tiers à l’entreprise ? La réponse à cette interrogation n’a que peu d’impact en pratique : elle ne vise, désormais, que l’hypothèse du licenciement du salarié par le directeur général ou un directeur général délégué de la SAS pour lesquels la délégation de pouvoirs doit être mentionnée au RCS afin d’en informer les tiers. En se plaçant sous le visa de l’article L. 227-6 du Code de commerce, on peut d’ailleurs penser que les juges répondent implicitement par l’affirmative. Partant, le licenciement prononcé par un directeur général ou directeur délégué de la SAS dont la délégation de pouvoirs n’aurait pas été publiée au RCS est illicite.

Dès lors, et c’est là le deuxième problème non traité par la Chambre mixte, quelle est la sanction de ce licenciement invalide, comme l’est celui prononcé par une personne n’en ayant en aucun cas, et peu importe le motif, la compétence : la nullité ? L’absence de cause réelle et sérieuse ?
Là encore, la Cour de cassation est silencieuse et il faut se référer à sa jurisprudence juste antérieure pour tenter de trouver des éclaircissements. Si, en l’absence de toute délégation, la personne qui prononce le licenciement n’a pas la qualité d’employeur la nullité semble devoir s’imposer. En revanche, s’il ne s’agit que de constater un défaut dans les modalités formelles de la délégation, la qualité d’employeur ne pouvant être contestée, une sanction indemnitaire doit permettre de sanctionner l’irrégularité relevée. Faut-il pour autant en passer par le défaut de motif ? Ce point est discutable : le motif objectif et vérifiable matériellement existe et ne disparait pas faute d’une délégation en bonne et due forme. En ce sens, une sanction indemnitaire calquée sur celle appliquée en cas de licenciement économique prononcé en violation de l’ordre des licenciements aurait pu suffire. Mais l’on connait en droit du travail l’irrésistible force centripète du défaut de motif …

Au total, on l’aura compris, les arrêts rendus le 19 novembre 2010 ne constituent qu’une première étape du débat judicaire relatif au licenciement dans les SAS, celui-ci se déportant désormais sur d’autres terrains. C’est en tout cas notre conviction à l’issue des débats du Forum Friedland Fidal du 30 novembre dernier que vous pouvez écouter ci-après.

Forum Friedland Fidal “SAS” – 30.11.2010 (1)

Forum Friedland Fidal “SAS” – 30.11.2010 (2)

Forum Friedland Fidal “SAS” – 30.11.2010 (3)