Pour se faire une idée la plus juste possible d'une personnalité comme le pape Benoît XVI, il ne faut pas se contenter de lire les médias, qui, comme dans bien d'autres domaines, ont une fâcheuse propension à déformer les propos d'autrui pour les rendre conformes à leurs préjugés, à leurs a priori. Il faut en quelque sorte aller de préférence à la source.
C'est bien pourquoi je suis très heureux de pouvoir entendre la voix non déformée du pape, interrogé par quelqu'un - Peter Seewald - qui ne cherche pas à le piéger, mais à lui faire dire ce qu'il pense réellement sur un certain nombre de sujets qui ont trait aux signes des temps, à son pontificat et à la direction vers laquelle nous allons.
Dans Lumière du Monde, publié chez Bayard ici, Benoît XVI nous confirme qu'il ne voulait pas être pape :
"Dès l'instant où cette charge a pesé sur moi, je n'ai pu que dire au Seigneur : "Que fais-Tu de moi ? Maintenant c'est Toi qui portes la responsabilité. Il faut que Tu me guides ! Je ne peux pas. Si Tu as voulu de moi, alors il faut aussi que Tu m'aides !" "
Il rappelle ce qu'est l'infaillibilité du pape que beaucoup de catholiques mal instruits ne savent même pas définir - il serait donc vain de reprocher leur ignorance à ceux qui ne le sont pas :
"Pour les affaires courantes, l'évêque de Rome agit comme n'importe quel évêque qui confesse sa foi, la proclame, qui est fidèle à l'Eglise. C'est seulement quand sont réunies certaines conditions, quand la tradition est devenue claire et qu'il a conscience de ne pas agir arbitrairement, que le pape peut dire : ceci est la foi de l'Eglise."
Il précise :
"Le pape peut naturellement avoir des opinions privées erronées. Mais, comme il a été dit, quand il parle comme pasteur suprême de l'Eglise, en conscience de sa responsabilité, alors il ne dit rien qui lui serait propre, qui viendrait juste de lui passer par l'esprit."
Ce livre contient des explications, des opinions, des déclarations, parmi lesquelles j'ai opéré un choix, forcément subjectif et partiel, mais qui correspondent, me semble-t-il aux principales interrogations du moment au sujet du pape, de l'Eglise et de notre temps. Plutôt que de rapporter, j'ai préféré citer longuement, pour ne pas déformer.
Benoît XVI explique pourquoi il a levé les excommunications qui frappaient les évêques ordonnés par Mgr Lefebvre :
"Ces quatre évêques, contrairement à ce que l'on a maintes fois sous-entendu, n'ont pas été excommuniés à cause de leur attitude négative envers le concile Vatican II. Ils l'ont été en réalité, parce qu'ils avaient été ordonnés sans mandat pontifical. [...] Si leur excommunication a été levée, c'est pour la seule raison qu'ils ont exprimé à présent une reconnaissance du pape - même s'ils ne le suivent pas sur tous les points."
Au sujet du scandale des abus sexuels il explique quelle a été son attitude :
"Il était impossible de ne pas voir que la volonté de vérité n'était pas le seul moteur de ce travail d'enquête mené par la presse, et qu'il s'y mêlait la joie de dénoncer l'Eglise et de la discréditer le plus possible. Mais malgré cela une chose devait rester claire : dans la mesure où c'est la vérité nous devons nous réjouir de tout éclaircissement. La vérité, liée à l'amour bien compris, c'est la valeur numéro un. [...] C'est seulement parce que le mal était dans l'Eglise que d'autres ont pu s'en servir contre elle."
Que faire ?
"Il est important que, premièrement, on prenne soin des victimes et que l'on fasse tout pour les aider; deuxièmement, que l'on empêche de tels faits en choisissant judicieusement les candidats au sacerdoce, autant qu'on le peut; troisièmement que les criminels soient punis et qu'on leur ôte toute possibilité de récidiver."
Des directives ont été prises dans ce sens en 2003. Depuis, elles ont été "retravaillées et récemment publiées dans une dernière version".
Pourquoi bannir la croix de l'espace public ?
"Si la croix contenait un message déraisonnable et non assimilable par d'autres, ce serait plutôt inquiétant. Mais la croix contient le message que Dieu lui-même souffre, qu'il nous manifeste son affection à travers sa souffrance, qu'il nous aime. C'est un message qui n'agresse personne. Voici déjà un point.
D'autre part, il existe aussi bien entendu une identité culturelle au fondement de nos pays. Une identité qui les forme positivement, qui les porte depuis l'intérieur et qui détermine toujours les valeurs positives et la structure fondamentale de la société. Grâce à elles, l'égoïsme est repoussé dans ses frontières et une culture de l'humain est possible. Je dirais qu'une telle expression culturelle d'une société par elle-même, qui en vit positivement, ne peut offenser ceux qui ne partagent pas cette conviction, et que cette expression ne doit pas non plus être bannie."
Il s'exprime ainsi sur la burqa :
"Je ne vois aucune raison de prononcer une interdiction générale. On dit que certaines femmes ne la porteraient pas de leur plein gré et qu'elle est en réalité une violence faite à la femme. Si tel est le cas, bien entendu, on ne peut pas être d'accord. Mais si elles veulent la porter de leur plein gré, je ne vois pas pourquoi on va le leur interdire."
Sur les Juifs vus par les chrétiens :
"Les juifs n'aiment pas trop entendre les mots "frères aînés", que Jean XXIII employait déjà. Dans la tradition juive, le "frère aîné", Esaü, est aussi le frère réprouvé. On peut quand même employer ces mots parce qu'ils disent quelque chose d'important. Mais il est exact aussi de dire que les Juifs sont aussi nos "pères dans la foi". Et ces mots rendent peut-être encore plus visible la manière dont nous sommes liés."
Sur son "discours de Ratisbonne" :
"J'avais conçu et tenu ce discours comme un texte strictement académique, sans être conscient que la lecture que l'on fait d'un discours pontifical n'est pas académique mais politique. Une fois qu'il a été passé au crible politique, on ne s'est plus intéressé aux finesses de la trame, on a arraché un texte à son contexte et on en a fait un objet politique qu'il n'était pas en soi."
Sur les liturgies ordinaire et extraordinaire :
"Concrètement, la liturgie rénovée de Vatican II est la forme variable selon laquelle l'Eglise célèbre aujourd'hui. Si j'ai voulu rendre plus accessible la forme précédente, c'est surtout pour préserver la cohésion interne de l'histoire de l'Eglise. Nous ne pouvons pas dire : avant, tout allait de travers, maintenant tout va bien."
Pourquoi a-t-il modifié la prière pour la conversion des juifs, dite le Vendredi Saint dans l'ancien rite ?
"La formulation de cette prière était réellement blessante pour les Juifs, et par ailleurs elle n'exprimait pas de manière positive l'unité interne entre l'Ancien et le Nouveau Testament.[...] J'ai modifié cette prière afin qu'elle exprime notre foi dans le fait que le Christ est le sauveur de tous."
Sur le silence de Pie XII pendant la Seconde Guerre Mondiale :
"Pie XII a sauvé la vie de milliers de juifs en faisant ouvrir les couvents et les monastères romains - ce que seul le pape en personne peut faire - et en proclamant leur extraterritorialité, ce qui n'était pas totalement sûr du point de vue du droit, mais que les Allemands ont toléré tout de même. Une chose est claire : à l'instant même où il aurait émis une protestation publique, on n'aurait plus respecté l'extraterritorialité et les milliers de personnes qui avaient été mises en sécurité dans les monastères romains auraient été déportées."
Lors de son voyage en Afrique les médias n'ont retenu qu'une phrase de Benoît XVI : il disait que le problème du Sida ne serait pas résolu par la distribution de préservatifs. Il apporte les précisions suivantes :
"La seule fixation sur le préservatif représente une banalisation de la sexualité. Or cette banalisation est justement à l'origine d'un phénomène dangereux : tant de personnes ne trouvent plus dans la sexualité l'expression de leur amour, mais uniquement une drogue qu'ils s'administrent eux-mêmes."
Il ajoute - ce qui va être interprété, à tort parce que c'est simpliste, comme une admission par lui de l'usage du préservatif dans certains cas ici :
"Il peut y avoir des cas particuliers, par exemple lorsqu'un prostitué utilise un préservatif, dans la mesure où cela peut être un premier pas vers une moralisation, un premier élément de responsabilité permettant de développer à nouveau une conscience du fait que tout n'est pas permis et que l'on ne peut pas faire tout ce que l'on veut. Mais ce n'est pas la véritable manière de répondre au mal que constitue l'infection contre le virus VIH. La bonne réponse réside forcément dans l'humanisation de la sexualité."
Dans ce livre Benoît XVI aborde bien d'autres sujets que ceux dont j'ai choisi de reproduire quelques extraits. L'internaute intéressé les découvrira avec profit en le lisant dans son entier.
Pour ma part je terminerai par deux derniers extraits qui ont pour vertu d'aller bien au-delà de préoccupations encore trop terrestres dans les précédents.
Dans le premier, sans rejeter les bienfaits de la science Benoît XVI en trace les limites et nous rappelle le besoin religieux de l'homme :
"Quelles que soient les transformations, l'homme reste cependant toujours le même. Il n'y aurait pas tant de croyants si les gens n'avaient pas toujours cette idée au fond de leur coeur : oui, ce qui est dit dans la religion, c'est ce dont nous avons besoin. La science à elle seule, de la manière dont elle s'isole et prend son autonomie, ne couvre pas la totalité de notre vie. C'est un domaine qui nous apporte de grandes choses, mais pour y parvenir elle a besoin que l'homme reste un homme.
Nous avons bien vu que le progrès a certes fait progresser nos capacités, mais ni notre grandeur, ni notre humanité. Nous devons retrouver un équilibre intérieur, et nous avons aussi besoin de grandir intellectuellement : cela, nous le voyons de mieux en mieux, dans les grandes difficultés de notre temps."
Comme le disait le physicien nucléaire Werner Heisenberg, l'invraisemblable est par principe pensable :
"Tant que l'on est enivré par les connaissances fragmentaires, on dit : il n'y a rien de plus, avec cela, nous savons tout. Mais à l'instant où l'on reconnaît la dimension inouï du tout, le regard va plus loin et pose la question d'un Dieu d'où tout provient."
Francis Richard