J'ai récemment lancé un appel à tous ceux qui souhaitent s'exprimer sur ce blog conçu comme espace de liberté. Reynald Harlaut, Alain Lefeez, Pierre Vandevoorde et d'autres ont répondu à cet appel et c'est très bien. Marc-Antoine Jamet, membre du Conseil national du Parti socialiste, souhaite faire connaître son point de vue sur la situation en Côte d'Ivoire, un point de vue différent de celui de François Loncle qui, si je ne m'abuse, ne défendait pas spécialement la FrancAfrique dans le texte paru sur ce blog.
« En 1992, depuis la Présidence de l'Assemblée Nationale, j'ai activement participé à la libération de Laurent Gbagbo et de son épouse Simone, injustement emprisonnés par le pouvoir ivoirien.
Sous l'autorité de Henri Emmanuelli, dont j'étais le directeur de cabinet et qui agissait au nom de cette triple conviction humaniste, internationaliste et socialiste qui lui fait, aujourd'hui, encore défendre sincèrement le politicien ivoirien, nous avons contourné le quai d'Orsay, court-circuité notre Ambassadeur à Abidjan qui, servilement, appliquait les ordres du Président Henri Konan Bédié, pourtant héritier de la politique et des méthodes d'Houphouet-Boigny, utilisé tous nos réseaux, subi l'agacement, c'est un euphémisme, de François Mitterrand, pour libérer un homme incarcéré pour ses opinions. De la même manière, au cours de la même période, nous avons apporté un appui massif au brésilien Lula.
Dès le premier entretien avec le Président de l'Assemblée Nationale, Laurent Gbagbo et son épouse, après que nous les avons accueillis à leur descente d'avion, j'ai ressenti au cours d'un "dîner de travail" qui ne réunissait que nous quatre, une impression de malaise en écoutant le futur leader évoquer ses envies de prise du pouvoir ou comment il entendait, énergiquement, gouverner son pays. Ses intentions n'avaient avec la démocratie qu'une relation lointaine. Avec indulgence, inconscience ou aveuglement, par faiblesse, complexe ou hypocrisie, nous avons mis cela sur le compte de la nécessaire adaptation aux caractéristiques de la politique locale.
Je me souviens notamment de la gêne qui nous envahit lorsque Laurent Gbagbo que nous imaginions au fond d'un cachot nous expliqua qu'il quittait chaque midi sa "maison" dans l'enceinte pénitentiaire pour distribuer, comme un chef de clan ou de faction, des billets de banque dans la cour des prisonniers. A l'époque, nous avons pu penser qu'il en allait de sa survie et que, pour être "supportable", sa détention n’en était pas moins scandaleuse, ce que je pense encore. Hélas, les conversations qui ont suivi ont confirmé que nous n'avions pas la même vision de la justice et de la liberté. Pourtant nous n'avons rien réfuté, rien condamné de ce que nous entendions. Les Gbagbo étaient des victimes et c'était vrai.
Aujourd'hui, ils ont changé de camp. Ils symbolisent l'oppression et la répression. Après la partition du pays dont Laurent Gbagbo n'est pas sans porter une part de responsabilité, ses menaces, celles de son épouse et de ses lieutenants contre la communauté française prise en otage, la dérive autoritaire de sa pratique du pouvoir, son socialisme peu lisible et peu évident, la confiscation pendant six ans des élections, le mitraillage de nos soldats, les dérapages dont il s'est montré coutumier, les exactions de ses partisans et les arrestations de sa police, le détournement des résultats d'un scrutin surveillé par l'ONU et l'Union Européenne, la parodie d'investiture à laquelle on a assisté, on ne peut, qui que l'on soit, soutenir qu'il n'y a pas là un faisceau de critères qui conduisent à penser que Laurent Gbagbo s'est définitivement éloigné de la démocratie et grandement rapproché de la tyrannie.
Socialiste ou post gaulliste, laïcarde ou barbouzarde, la France Afrique de "papa Foccard" a fait son temps et ce n'est pas en traitant de néocolonialistes ceux qui la dénoncent, ainsi que le font quelques nostalgiques de la IVe République et de "l'Empire", quelques amateurs des soleils de palais ou de palaces africains, qu'on parviendra à comprendre et à aider un continent qui a tant souffert de ces pratiques d'un autre âge sur lesquelles nous avons fermé les yeux et auxquelles, en Côte d’Ivoire et pourtant, il faut désormais dire «non».»
Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil, vice-président du Conseil régional de Haute-Normandie, membre du Conseil national du Parti Socialiste