Aujourd’hui est un jour particulier pour moi : cela fait exactement 10 ans que j’ai découvert mon cancer du sein. C’était le 10 décembre 2 000, et, en me réveillant, j’ai découvert sous la douche une petite boule sur mon sein droit… 1,7 centimètres qui ont bouleversé ma vie, pour toujours. C’est l’occasion pour moi de faire un bilan. Qu’ai-je fait de toutes ces années, de tous ces mois?
Bien sûr il y a eu les trois ans de traitements, suivis des 5 ans d’hormonothérapie…. Bien sûr, ai-je besoin de vous le dire, j’ai passé des jours et des jours à souffrir physiquement et moralement. Une période de dépression a suivi, puis, j’ai voulu croquer la pomme et brûler le peu d’années qui, je croyais, me restaient à vivre. Des années que la maladie m’a enlevées, celles qui auraient du être les meilleures et qui ont été les pires. Injustice, « faute à pas de chance », destin… peu importe le nom que l’on veut lui donner, j’ai finalement accepté et essaie dorénavant de transformer ce que j’aime à appeler « mon accident de vie », en quelque chose de positif et de constructif. Et le chemin fut très long pour atteindre la résilience. Une décennie m’a été nécessaire pour intégrer, comprendre et dépasser le cataclysme qu’a été le cancer dans ma vie. Pourtant je n’oublierai jamais ces années noires, d’ailleurs peut-on oublier?
En cette fin de millénaire, je suis entrée par la grande porte dans un monde qui m’était étranger, celui de la maladie, des médecins, de la ronde infernale des examens. J’ai tellement arpenté les couloirs des hôpitaux, tellement croisé de cancérologues, infirmières, soignants en tout genre, que certains d’entre eux, ils ne le savent pas, me sont devenus très proches. Ils ne mesurent certainement pas l’infinie reconnaissance que je leur porte. Je leur dois la vie, bien sûr, mais si j’ai surmonté la maladie tant physiquement que psychologiquement, c’est grâce à leur aide précieuse, leur extrême compétence tant en matière de soins que d’écoute.
Mais le plus essentiel c’est que mes enfants ont poussé, envers et contre tout, plus forts, plus indépendants, plus armés pour l’existence qui les attend. C’était sans aucun doute, la chose la plus importante à mes yeux. Qui mieux que moi pouvait les aider à se construire, à pousser droit, à apprendre la vie? Il m’était insupportable d’imaginer que quelqu’un d’autre allait les voir grandir, les chérir, les amener doucement jusqu’à leur vie d’adulte. C’était juste impossible, inadmissible. Cette pensée à accompagner chaque opération, chaque chimio, chaque minute passée sous la machine de radiothérapie… Ils m’ont donné la force dont j’avais besoin pour accepter tous les traitements. Dans leurs yeux, leurs sourires, j’ai puisé l’énergie nécessaire pour supporter l’insoutenable. Ils ont séché mes larmes souvent….Aujourd’hui, mes deux adolescents respirent la joie de vivre, travaillent, crient, claquent des portes, embrassent, pleurent, trépignent, aiment, comme tous les jeunes de leur âge. Ont-ils oublié, étaient-ils trop petits pour se souvenir, ont-ils enfoui cette sombre période dans un coin de leur mémoire ? Je ne crois pas. Pour preuve la vocation de mon fils : être cancérologue, projet duquel je suis fière et que j’espère il mènera à bien. Je serai là, le plus longtemps possible j’espère, pour l’y aider. Ma fille, quant à elle, est devenue une jeune fille très empathique, très humaine, prête à aider non seulement ses amis mais aussi, toutes les personnes dans le besoin. Volontaire, elle ne désespère jamais et tente toujours de mener à bien ce qu’elle entreprend. J’aime à penser que tout ceci est finalement un cadeau que leur a apporté la maladie.
En ce qui me concerne, mes centres d’intérêt, ma façon d’appréhender la vie, les autres ont bien changé aussi : licenciée j’ai pu me tourner vers d’autres activités plus en accord avec moi-même. Moi la working girl débordée, ambitieuse, performante, tiraillée entre mon métier et mon rôle de maman, je suis presque devenue une autre. J’ai mis tout ce temps à me trouver. Et aujourd’hui, je suis une femme qui arpente la deuxième partie de son existence, apaisée, plus calme, plus sereine. Et, si je courre encore parfois après le temps, je vis, j’aime, et par dessus tout, je fais des choses qui me plaisent. Je fuis les contraintes, les conflits, même si, bien entendu, le quotidien avec son lot de soucis me rattrape souvent. J’ai l’impression de ne plus vivre de la même façon. Je vais à l’essentiel, savoure les moments de quiétude, zappe les autres…
J’ai enfin réalisé que le grand bonheur, celui que l’on recherche tous, était fait de petits instants. Quel cliché ! Frôler la mort vous fait forcément apprécier la vie… Tant pis, j’ai besoin de le dire, ou plutôt de l’écrire pour qu’il reste une trace pour vous mais aussi, peut être, pour mes enfants.
Bien sûr je ne me considère pas comme guérie, loin s’en faut. Ma tante, a récidivé au bout de 10 ans de rémission, et j’ai conscience que le cancer du sein est une maladie suffisamment sournoise pour rester endormie, tapie pendant très longtemps. Comme vous j’ai peur à la moindre douleur qui s’éternise. Comme vous je pense rechute au moindre petit bobo, comme vous je me soumets à ces contrôles si anxyogènes. Je ne suis pas encore libérée de mes chaînes, je suis comme un prisonnier à qui l’on permettrait au bout de nombreuses années de cachot sans lumière, de rejoindre la promenade quotidienne. Disons que je me considère toujours en sursis, mais un sursis qui dure ….
Alors, doit-on fêter cet anniversaire? Si j’en crois mes proches, c’est une date à oublier… point de gâteau, point de cadeaux… Et pourtant, j’allumerais bien quelques bougies … Etre arrivée à 47 ans, avoir vu grandir mes petits bouts de choux, avoir savouré dix années supplémentaires, c’est une joie que j’ai envie de partager avec vous. Vous qui m’avez tant apporté, qui m’apprenez tant, qui m’avez redonné la confiance qui m’avait quittée, vous que je lis chaque jour avec autant de plaisir…. Alors, merci à toutes, merci mille fois… Et je souhaite à chacune de pouvoir fêter aussi beaucoup de cancer anniversary !