Ségrégation et impuissance

Publié le 10 décembre 2010 par Les Lettres Françaises

Ségrégation et impuissance

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« Il essaya. Encore et encore. Il commença par la chevaucher puis, tel un homme en prière… Il se hissait, retombait, agitait les bras, comme un flamant rose battant des ailes…, pour la première fois son propre corps, habituellement un allié, devenait son ennemi, et le trahissait à un moment inopportun, à l’apogée même de sa conquête. » C’est ainsi que débute le roman de Lewis Nkosi. Il conte l’histoire de Dumisani Gumede, jeune Zoulou du village de Mondi, dans les hautes montagnes sud-africaines. Depuis qu’un soir il découvre qu’il est un homme, il n’a de cesse de séduire les filles. Toutes sont conquises faisant sa réputation de tombeur et d’amant héroïque, sauf Nobuhle qui résiste. Quand elle cède aux sollicitations de Dumisani, ce dernier n’y arrive plus. C’est que le jeune Zoulou a une idole : Nelson Mandela, le « mouton noir ». Son admiration sans borne pour Madiba – autre surnom de Mandela – le pousse à créer et à diriger un club de foot qui porte le nom de son idole, le Mandela Football Club. Le destin de Dumisani – appelé aussi Dumisa – va suivre celui de Mandela, le leader de l’ANC, recherché par la police du gouvernement d’apartheid. Tant qu’il échappe à ses poursuivants, Dumisani continue sa quête des femmes. Mandela arrêté, c’est la panne sèche ! Lorsque enfin, la belle Nobuhle cède à ses avances, il ne peut l’honorer, « son corps s’était tout simplement desséché, semblable à un torrent tari par une sécheresse prolongée ». Elle s’en va. Et Dumisa va errer longtemps dans le pays, à la recherche de lui-même. Lorsque Mandela est libéré, près de trente ans après, Dumisa, devenu un homme d’âge mûr, « dont la peau commençait à se faner, à se rider », se trouve au Cap, là où Mandela fait son premier discours, dès le seuil de la prison franchi.

À travers l’histoire du Zoulou Dumisani Gumede, c’est une peinture de l’Afrique du Sud sous l’apartheid que fait Lewis Nkosi, un pays où « les Noirs et les Blancs sont comme des rails de chemin de fer… parallèles, mais ne se rejoignent jamais ». Un texte où se mêlent truculence et violence, évocation des rites ancestraux et modernité, humour et sagesse. Le pari est osé et pas toujours gagné : raconter l’Afrique du Sud à travers les performances sexuelles d’un jeune Noir au temps de l’apartheid n’est pas de la première évidence. Le propos est long à se dessiner, et seule la deuxième partie donne du souffle au texte. On est loin de la peinture d’un André Brink… Il reste que la voix de Nkosi est intéressante ; malheureusement il s’est éteint il y a quelques semaines à Johannesburg. C’est son deuxième ouvrage traduit en France, il a pourtant publié un grand nombre de romans, d’essais et de pièces de théâtre.

Yahia Belaskri

Mandela et moi, de Lewis Nkosi. Éditions Actes Sud, 2010, 21 euros.

Décembre 2010 – N°77