Un mystérieux roman d’apprentissage lu par une poignée de chanceux, épuisé pendant trente ans. Le seul livre d’un écrivain disparu de la surface de la terre jusqu’à ce qu’un cinéaste sous le charme du livre le débusque, après une longue enquête, dans le fin fond de l’Iowa, au boulot au bureau de la poste locale, emballant les colis. Près de six cents pages louées par Joseph McElroy ou Thomas Sanchez. Ce genre de CV peut soit vous faire saliver, soit vous effrayer. Quand j’ai commencé la lecture de “The Stones of Summer” de Dow Mossman, j’hésitais entre ces deux attitudes. Une fois le livre terminé, je n’ai pas encore vraiment décidé où je me trouvais.
“The Stones of Summer” possède toutes les caractéristiques des romans “coming-of-age” l’un des genres les plus parcourus et les plus idéalement placés pour donner libre cours à l’épanchement d’innumérables platitudes.Dawes est un garçon d’une petite dizaine d’années qui passe ses vacances auprès de ses grands-parents. Arthur, le grand-père, est éleveur de chiens de courses. C’est un homme dur et renfermé qui n’apprécie pas la sensibilité du jeune Dawes. Celui-ci se réfugie auprès d’Abigail, une voisine à moitié folle, qui lui parle de l’histoire de sa famille en un mélange de faits, d’approximations et d’inventions. Quelques années plus tard, à l’adolescence, Dawes et ses amis boivent, se battent, draguent (souvent sans résultat), font des conneries, se balladent (et se crashent) en bagnole. Mais quelque chose le met à part de ses compagnons : il a une sensibilité et des références essentiellement littéraires, peuplant sa conversation d’allusions lettrées rendant difficile la communication et écrit des poèmes et autres bouts de textes. Cette particularité l’isole un peu aussi bien de ses pairs que de ses parents. Il n’y a dans ce récit rien de franchement original, permettant de distinguer ce livre-ci des milliers de premiers romans développant des thèmes similaires. Mais un roman n’est pas qu’une histoire, et ce ne saurait sans doute être plus vrai que dans ce cas-ci. Ce qui m’a maintenu dans “The Stones of Summer” n’est pas une histoire de plus de la jeunesse à l’aurore de la contreculture US mais bien un style et une langue étrange, propre à Mossman, peuplés de métaphores originales, prenant toujours la tangente dans des simili-digressions qui me firent bien souvent me gratter la tête. Et puis on commence la troisième et dernière partie et le ciel s’éclaire et l’on prend conscience de lire quelque chose de fort et voilà, les doutes s’envolent. Si les deux premières parties se lisaient un peu comme l’effort d’un talentueux étudiant de creative writing pour transformer le récit de sa vie en Huck Finn des temps modernes, ce dernier chapitre raconte les efforts de Dawes pour écrire de ses aventures le nouvel Huck Finn. Et ça change tout, parce que ça permet à un effort poussif de se libérer des rigidités d’un genre et de s’émanciper à travers un exercice pas toujours réussi mais assez fascinant. Dawes est au Mexique, emboitant ainsi le pas à Lowry, Markson, Pynchon etc. Il y relit de longs passages de son roman autobiographique en cours. Le ton est confus, l’ordre chronologique pas vraiment respecté : le lecteur devra remettre les fragments en place, recomposer peu à peu le tableau vital qui l’a fait aboutir là-bas. Il serait sans doute faux de dire qu’on y trouve les plus belles pages du livre – il y en a de fameuses bien avant- mais c’est sans aucun doute dans cette partie qu’on trouve les plus originales, les plus fortes.
“The Stones of Summer” est un roman imparfait, au style impressionnant mais au récit au 2/3 trop conventionnel et déjà lu qui bénéficie de deux cents pages explosives. Contrairement à certains écrivains dont on se dit que le premier roman aurait pu (et parfois dû) être le seul tant il est excellent, on se dit ici qu’il est bien dommage que Mossman n’ait pas développé son indiscutable talent par la suite.
Une dernière chose avant de terminer : Mossman met bien en évidence à de nombreuses reprises son désir de suivre les traces de Huck Finn, mais, alors que tout le monde veut être Huck, il me semble probable que personne n’ait envie d’être Dawes. Le personnage de Twain avait quelque chose d’universel, qui parlait à tous. Dawes est, la plupart du temps, un petit con prétentieux qui pense tout savoir mais ne sait rien. En gros, Huck serait le jeune gars d’une époque optimiste qui s’ouvrait au monde, Dawes le représentant d’une ère troublée où nombres d’opposants étaient aussi idiots et détestables dans leurs croyances que ce à quoi ils s’opposaient.
Dow Mossman, The stones of summer, Tusk / Overlook, $15.95