Le 2 février 1933, les deux sœurs Papin, Christine et Léa qui travaillent depuis cinq ans comme domestiques dans une famille bourgeoise du Mans, assassinent leur patronne et sa fille à coups de marteau et leur arrachent les yeux. A l’époque, tout le monde s’interroge sur les motivations de ce crime d’une rare cruauté: la presse partagée entre d’un côté “l’Humanité” qui au nom de la lutte des classes, trouve aux deux soeurs des circonstances atténuantes et de l’autre “Paris Soir” défendant les victimes; les surréalistes également, trop heureux de s’emparer de cette affaire pour secouer l’ordre bourgeois et faire l’apologie de la violence; ou encore les experts médicaux divisés entre ceux qui plaident pour la folie, la paranoïa (comme Lacan) et les autres qui triompheront au procès en affirmant que les soeurs Papin doivent être jugées comme deux personnes parfaitement responsables. Une dizaine d’années après la condamnation des soeurs Papin, Jean Genet publie une pièce de théâtre intitulée “les Bonnes” et directement inspirée de ce tragique fait-divers. Quelle est, en tant qu’écrivain, sa vision des faits ?
Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui pousse finalement les deux soeurs à franchir le rubicon, à vouloir réellement empoissonner leur patronne ? Il y a dans la pièce de Genet un quatrième personnage qui n’apparaît quasiment pas, pour la bonne raison qu’il a été incarcéré: c’est Monsieur. Or les bonnes apprennent par un coup de fil qu’il a été libéré. Loin de se réjouir comme le fera Madame dès qu’elle apprendra cette nouvelle, Solange et Claire sont très inquiètes car elles sont la source des lettres anonymes qui ont provoqué son arrestation pour vol. Il faut donc agir vite, et tuer Madame avant même qu’elle apprenne la vérité. Finalement Genet fabrique un mobile qui fonctionne merveilleusement bien dans sa pièce mais qui n’existait pas dans l’Affaire Papin. Nul argument rationnel, nul mobile de ce type n’ont poussé les célèbres soeurs Papin à commettre l’irréparable. Là encore Genet s’éloigne du fait-divers mais il en a parfaitement le droit…
En résumé, si avec “les Bonnes”, Jean Genet s’est inspiré du fait-divers, il ne faut pas y chercher plus qu’un point de départ, en tout cas nullement une tentative d’interprétation du crime des soeurs Papin, tant le reste de la pièce (et je n’évoque pas le dénouement) est éloigné de ce qui s’est réellement passé. Le Genet romancier cherche en réalité à explorer toutes les possibilités qu’offre le théâtre.
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illustrations
(1) Christine et Lea Papin (1933)
(2) Portrait de Jean Genet par Giacometti
(3) les actrices Yvette Etievant et Monique Mélinand dans “Les Bonnes”, pièce de Jean Genet. Yvette Etievant et Monique Mélinand. Théâtre de l’Athénée, square de l’Opéra. Paris (IXème arr.). Photographie de René Giton dit René-Jacques (1908-2003). Bibliothèque historique de la Ville de Paris.
(4) Photo de Jean Genet.