C'est Hanouka! Pendant 8 jours, on vend des toupies partout, les vendeurs ambulants de beignets à la confiture font recettes, les enfants sont en vacances, et les familles se réunissent au coucher du soleil pour allumer ensemble les lampes d'huile de leur Hanoukia. Selon la tradition, elles sont placées devant les fenêtres, et les maisons de Jérusalem scintillent dans le soir - qui tombe fort tôt! - à la lumière vacillante de petites bougies.
Lorsque j'allume la radio jeudi, je comprends immédiatement qu'il se passe quelque chose de grave. Sur les ondes, plus de chants enfantins comme à l'habitude, mais un air classique et tout de suite un flash d'information. Il y a le feu sur le Carmel. Un bus de soldats a été englouti par les flammes. On compte presque 40 morts. Les ambulances sur le terrain travaillent dans des conditions dantesque. Il n'y a plus de matière anti-feu pour les pompiers. Il n'y a pas non plus assez de pompiers d'ailleurs, leur camions sont trop vieux et trop peu nombreux. La sécheresse est telle que toute la forêt s'est embrasée. Nous ne possédons aucun avion Canadair, il faut faire appel à l'aide internationale. Une zone immense a été évacuée, et le brasier progresse, incontrôlé, vers Haïfa.
J'éteins. Dans la rue les gens s'arrêtent quelques minutes, s'amassent devant les télévisions des épiceries, visages fermés, inexpressifs.
Israël, vu du ciel par un satellite de la NASA vendredi 3 décembre. Les flammes ont dévoré Ein Hod, Ussefiya, Ein H'oud, Nir Etzion, Tirat HaCarmel, Beit Oren, et le quartier de Denia à Haïfa. Alors que s'achemine l'aide internationale, le pays entier retient son souffle à chaque communiqué des pompiers. Sur le campus de l'université de Haïfa, l'armée a installé un commandement commun avec Magen David Adom et les pompiers: c'est la première fois depuis la deuxième Guerre du Liban, en 2006.***
De la voiture qui roule vers Haïfa dimanche au petit matin, nous apercevons les avions de la sécurité civile française qui remontent sur le brasier. Au fur et à mesure que nous approchons du Nord, l'odeur de feu se fait plus prégnante, l'air se charge de fumée. Samedi soir, le nord du pays brûlait toujours. En pleine nuit, j'ai reçu le message d'Ilan - juste à temps pour extirper un uniforme du dessous de la valise.
"Nous montons demain rejoindre les forces de Magen David Adom dans la tente du commandement central, départ de Jérusalem à l'aube".
Je parle avec Oren Avitan, qui a pris en charge l'organisation des secours pour Magen David Adom aux premières heures du feu. Prévenu par un coup de téléphone du centre d'appel, il était déjà sur le terrain lorsqu'un journaliste lui montre les images d'un bus de soldats encerclé par les flammes sur la route en contrebas. Trop tard. Impossible de traverser le mur de feu qui les sépare. Dans le jargon urgentiste local, la scène est déclarée comme "Aran" - un évènement catastrophique dont les victimes sont nombreuses. Certaines d'entre elles sont connues de tous, comme Ahuva Tomer, chef de la police de Haïfa, première femme à obtenir un poste de commande de ce niveau en Israël. Les ambulances affluent de toute la région en quelques minutes mais il ne reste plus personne à sauver. Il n'y a aucun survivant.
Dans la tente de commande de Magen David Adom dimanche, les communiqués affluent encore. Le centre d'appel suit les dernières forces en bordure de la zone brulée, où les pompiers sont toujours à l'oeuvre. Toutes les quelques minutes, les avions des forces internationales chargés d'eau nous survolent pour lâcher leur nuage de pluie chimique au dessus des derniers foyers. Sur le terrain, des pompiers sud-africains venus en renforts se joignent aux camions locaux.
Dans la tente qui ne traite plus que des blessures superficielles des soldats et pompiers qui reviennent du site en contrebas, je discute avec un des pompiers français arrivé dans la nuit de vendredi. Ils sont étonnés, me dit-il, de la différence des moyens de Magen David Adom et des pompiers locaux. "Ils sont sous la responsabilité des collectivités locales alors que nous sommes indépendants" - mais il a raison, l'impréparation générale a surpris tout le monde. Je traduis pendant qu'il échange avec un responsable militaire en charge des populations civiles. Derrière nous, le téléphone du centre d'appel sonne et apporte les dernières nouvelles d'autres foyers, enfin éteints.
Dans la tente du commandement central, sur le campus évacué de l'université de Haïfa. Les volontaires d'Afrique du Sud s'organisent avec Yoni Yagodovsky, le responsable de la branche internationale de Magen David Adom. Derrière eux, le central se concentre sur les appels provenant de la zone incendiée.
Les ambulances sont concentrées sur le parking de l'université, en alerte, mais il n'y a plus d'actions sur le terrain. La zone est entièrement évacuée, sous commandement militaire. Michael Abu, un des premiers secouristes à accéder aux blessés jeudi me montre les collines noircies à perte de vue. Au dessus de nos têtes, les avions passent, et repassent. Il était de garde à Nesher, dans l'une des communautés du Carmel, très près du kibbutz Beit Oren. Lorsqu'il me décrit la montée, il s'arrête toutes les quelques minutes, comme pour reprendre son souffle. "La route était en feu, les odeurs et la fumée envahissaient complètement l'ambulance. Nous savions que les blessés étaient en situation critique avant même d'arriver." - pas le temps de rester sur place, il évacue immédiatement Ahuva Tomer, dans un état désespéré, avant de retourner à Beit Oren, aider l'armée à vider les villages des environs.
Dimanche soir, la fumée se dissipe peu à peu, reste l'odeur. Nous quittons la tente à la nuit tombée, de retour vers le quartier général de Magen David Adom à Tel Aviv, puis Jérusalem. J'ouvre la fenêtre, l'air continental des collines est frais, comme purifiant. Au petit matin lundi, un bruit incongru me réveille. Il pleut, enfin. Le brasier est maitrisé. Pour la première fois en quelques jours, la radio a de bonnes nouvelles. "Je répète, il n'y a plus le feu sur le Carmel", annonce le présentateur.