Salle 5 - vitrine 3 : les chats - xi. le chat dans la pharmacopée égyptienne

Publié le 07 décembre 2010 par Rl1948

   Après avoir, souvenez-vous amis lecteurs, chaque mardi, successivement évoqué, le 21 septembre, l'origine de ces petits félidés, le 28 du même mois, les auteurs grecs et latins qui nous dévoilaient la conception qu'en avaient les Egyptiens ; après avoir, passage obligé, abordé avec vous le 5 octobre quelques notions de philologie et d'onomastique m'invitant tout naturellement à entrer dans le domaine magico-religieux avec la déesse Bastet les 12 et 19 octobre et les pratiques de momification animale, le dernier mardi avant le congé de Toussaint ; après avoir, le 23 novembre, attiré votre attention sur le côté prédateur de la bête puis, la semaine dernière, sur la mission qui fut sienne dans le sempiternel combat des forces du Bien contre celles du Mal, j'aimerais aujourd'hui apposer le point final aux développements entamés cet automrne que m'autorisa la présence de statuettes de chats dans la vitrine 3 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre

en épinglant le rôle qu'on lui fit jouer à l'insu de son plein gré dans les pratiques magico-médicales et dans la pharmacopée égyptiennes.

   (A nouveau, un merci appuyé à la conceptrice du blog Louvreboîte pour l'amabilité et la célérité avec lesquelles elle a réalisé quelques précieux gros plans du bloc vitré n° 3, dont celui ci-dessus.)

     Si, avant que les savants du monde entier ne comprennent la documentation écrite que les Egyptiens nous avaient laissée, nous n'avions eu pour ce qui concerne la médecine - et bien d'autres sujets, d'ailleurs - que l'approche qu'en avaient donnée notamment Hérodote et Diodore de Sicile, vous imaginez aisément que nos connaissances des pratiques médicales et de leurs composantes pharmacologiques eussent été réduites à très peu de notions.

     Heureusement, fort à propos, Jean-François Champollion vint qui permit de traduire la langue et les différentes graphies utilisées sur les rives du Nil. Progressivement, d'étape en étape, des papyri révélèrent leur contenu et certains, comme celui de 5, 70 mètres datant d'approximativement 1200 avant notre ère, désormais appelé Papyrus médical de Berlin, référencé 3038 et conservé au musée égyptien de la ville, commencèrent à affranchir les scientifiques sur la manière dont les praticiens de l'époque tentaient de prévenir ou de guérir les maladies.

     Ce ne fut qu'un début, certes - nous sommes alors en 1863 - mais néanmoins prometteur jusqu'à ce qu'apparaisssent sur le marché des antiquités et, surtout, soient traduits et commentés une dizaine d'années plus tard, des documents considérés de nos jours encore comme les plus représentatifs des pratiques des "hippocrates" égyptiens.         

   Bien que le monde savant ne soit pas encore véritablement éclairé sur l'endroit exact de leur découverte, il semblerait que deux parmi les plus importants actuellement à disposition - le Papyrus Smith et le Papyrus Ebers -, pourraient avoir été mis au jour dans les magasins du Ramesseum, temple funéraire maintenant en ruines de Ramsès II, sur la rive ouest de Thèbes.

     Quoi qu'il en soit, il appert qu'aux alentours de 1862, ces manuscrits provenant évidemment d'une fouille clandestine furent acquis à Louxor par un amateur d'antiquités américain, Edwin Smith (1822-1906). Il garda par devers lui le premier d'entre eux, un traité chirurgical de 4, 70 mètres de longueur, actuellement propriété de la bibliothèque de l'Académie de médecine de New York, que vous pouvez feuilleter ici, et auquel il attribua son nom ; et vendit à l'égyptologue allemand Georg Ebers (1837-1898), le second, en réalité le plus long - une vingtaine de mètres pour 110 pages et 877 paragraphes ! -, qui, également libellé en hiératique, brasse l'ensemble des pathologies rencontrées et des prescriptions afférentes conseillées par la gent médicale égyptienne durant les deux premiers millénaires de l'histoire du pays : il date en effet d'approximativement 1550 avant notre ère, soit de la XVIIIème dynastie, au Nouvel Empire, sous le règne d'Amenhotep Ier.

     Cet important recueil de la pharmacopée antique qui, il est bon de le souligner au passage, inspira grandement la médecine grecque dans laquelle la nôtre puise ses traditions, est actuellement conservé dans la bibliothèque de l'université de Leipzig ;  et est consultable en ligne.

   Dans l'esprit des égyptologues, ce manuscrit traduit et magistralement publié par Ebers en 1875, demeure le véritable compendium de la pensée médicale de l'époque.

     Ce qui constituait les problèmes des malades égyptiens s'y trouve répertorié : du simple traitement de la toux, des douleurs dentaires, des brûlures, des morsures ou des abcès jusqu'aux troubles gynécologiques et aux diverses tumeurs cancéreuses, en ce comprise celle du sein, tout est consigné dans cette somme inestimable.

   D'autres papyri, qu'il serait fastidieux de vouloir tous citer, furent également retrouvés tant au XIXème qu'au XXème siècles : ils traitent peu ou prou des symptômes des différentes maladies, des facteurs pathogènes, des régions du corps, saines ou malades et, bien évidemment, proposent des remèdes à base de plantes et de parties ou d'excréments d'animaux.

   Et, j'y arrive, le chat fut de ceux-là !

   Quelques exemples suffiront à étayer ma thèse avant de définitivement clore ce long chapitre consacré aux petits félidés égyptiens.

   Au paragraphe 465, page 66, lignes 7 à 9 du Papyrus Ebers, il est préconisé, en vue de permettre à un chauve de recouvrer sa pilosité d'antan, de se frotter la tête avec une masse homogène constituée par le mélange d'une portion de graisse d'hippopotame, une de crocodile, une de serpent et une d'ibex, le tout ajouté à une portion identique de graisse de chat.

    J'indiquerai, pour la bonne compréhension de mes propos, que ces différents dosages étaient notés par référence à l'héqat, mesure qui équivalait à plus ou moins 4, 80 litres. Donc ici, semblable quantité de graisse de chacun de ces animaux donnait un amalgame global avoisinant les 25 litres : de quoi généreusement masser le crâne glabre pendant quelques décennies !

   Au paragraphe 486, page 68, lignes 4 et 5 du  même traité médical, il est recommandé, pour atténuer une brûlure, de broyer en une masse homogène un peu de gomme mêlée à des poils de chats, puis de l'appliquer sur l'endroit atteint.

   Plus loin, il était prévu de panser la brûlure avec un mélange de deux types bien définis de fruits, d'eau de gomme et d'excréments de chats.

     Je terminerai cette petite liste par la prescription que l'on trouve dans le Papyrus Brooklyn, paragraphe 90 c, aux fins de pallier les inconvénients d'une morsure de serpent : mélanger du sang de poisson mugil, de milan, de cobra, d'un crocodile de la nécropole fendu en deux et séché, avec du sang de chat.  Et ensuite, bien évidemment, panser la plaie avec cette concoction ...

     Après ces quelques exemples, il me chagrinerait de vous quitter, amis lecteurs, alors que nous sommes dans la "Maison", sans avoir touché un mot à propos d'une récente acquisition en la matière.

   Détenu par deux particuliers successifs de 1953, date d'achat en Egypte, à 2006, a été vendu à l'Etat sous l'étiquette de "trésor national" pour le Musée du Louvre grâce au mécénat d'une  Fondation spécialisée dans la recherche bio-médicale, un papyrus exceptionnel.

   Rédigé tant au recto qu'au verso dans l'une des cursives égyptiennes, le hiératique, ce précieux document de quelque 7 mètres de long, référencé E 32847, s'immisce en seconde position, donc entre les papyri Ebers et Smith auxquels je faisais ci-avant allusion, pour ce qui concerne plus spécifiquement le nombre de textes proposés, ainsi que leur longueur.

     Une première analyse paléographique a permis aux spécialistes qui se sont penchés dessus de remarquer qu'il avait été libellé par deux scribes distincts : en effet, quand l'écriture des textes du recto se présente de façon serrée et dense, les signes de ceux du verso apparaissent bien plus amplement dessinés. 

     Et les connaisances actuelles en matière de calligraphie sont telles qu'il leur fut aisé de déterminer que le recto daterait des règnes de Thoutmosis III ou d'Aménophis II, son fils, soit du 15ème siècle avant notre ère, alors que l'autre côté aurait quant à lui été vraisemblablement écrit 150 ans plus tard, soit au début de l'époque ramesside, dans la première moitié du 13ème siècle. 

     Pour ce qui concerne le sujet même de ce rouleau de papyrus, et bien que le début en  soit perdu, les épigraphistes qui en ont établi la première et rapide traduction n'ont eu aucune peine à reconnaître un document médical présentant descriptions de maladies et, en parallèle, remèdes tant physiques que magiques, avec une prédilection pour ces petits gonflements que sont pustules, furoncles et autres abcès dont le papyrus Ebers, que je citais tout à l'heure, n'avait fourni que le nom générique, sans comme ici, les détailler. 

     Autre avantage non négligeable :  les textes mentionnent un certain nombre de divinités en corrélation avec les différents maux, ainsi que les moyens de les guérir.

 

     Mais peut-être, amis lecteurs, eûtes-vous la chance, entre le 6 juin et le 6 août 2007, de vous rendre au Louvre pour y admirer une exposition évidemment centrée autour des portions de la nouvelle acquisition présentées sous plaques de verre, en vue d'initier le visiteur aux pratiques médicales de l'Antiquité égyptienne ?

     Et bien que j'aurai dans les mois à venir l'opportunité de vous faire découvrir un autre texte manuscrit ressortissant au domaine de la médecine quand nous nous retrouverons devant la vitrine 4 de la prochaine salle 6 dédiée aux scribes et à l'écriture, je propose avant de nous quitter ce matin à ceux qui désireraient en savoir plus sur le papyrus médical Louvre E 32847, non encore exposé au public, 

un lien qui vous conduira à un dossier extrêmement complet établi par Marc Etienne, un des Conservateurs du Département des Antiquités égyptiennes.

     Et pour une relation de l'exposition organisée l'été 2007, permettez-moi de vous conseiller ce compte rendu publié par mon excellent collègue Louvre-passion.

(Bardinet : 1995, passim)