Parfois le courage c'est dire non - Sur Jacques Sapir, la France, la Suède...

Publié le 09 décembre 2010 par Edgar @edgarpoe

Pas beaucoup de temps en ce moment.

Mais quelques sujets s'accumulent pour lesquels un point commun s'impose : il faut savoir dire non.

La Suède se ridiculise par exemple, pour longtemps, en ayant accepté de saisir Interpol parce que lors de rapports sexuels consentis Julian Assange n'aurait pas mis de préservatif. Avec de tels mobiles Interpol aurait du travail pour quelques millénaires.

Eric Besson s'est couvert de ridicule en tant que ministre de l'industrie, lorsqu'il a demandé, en dehors de toute procédure, la fermeture de Wikileaks - temporairement hébergé sur les serveurs d'OVH.

Dans un autre domaine, la France vient d'accepter, en tout cas via la cour d'appel du tribunal de Pau, l'exécution d'un mandat européen d'expulsion d'une française vers l'Espagne. Cette française, Aurore Martin, aurait participé en Espagne à des activités d'un parti interdit, Batasuna. Les militants basques - pour lesquels je n'ai pas une particulière sympathie - soulignent que l'Espagne aurait recours à des traitements abusifs contre les militants de Batasuna. Aurore Martin n'est pas non plus accusée d'avoir participé à des actions violentes. Elle pourrait donc être expulsée en exécution d'un mandat d'arrêt européen. De quoi redonner la nostalgie des frontières et en tout cas aucune raison de se réjouir des progrès de la construction européenne...

Dernier point : l'euro, la monnaie commune et Jacques Sapir.

Jacques Sapir est un économiste brillant et rigoureux, qui ne biaise pas ses analyses pour complaire aux néo-libéraux et aux keynésiens - cf. un papier récent sur la crise. Il préconise donc la sortie de l'euro, avec le retour au Franc, mais le maintien d'une monnaie européenne commune. On recréerait donc une sorte de Serpent Monétaire Européen, avec des plafonds et des planchers de variation autour de valeurs cibles etc. On me demande ce que j'en pense. Pas du bien en réalité. Il est exact qu'avec l'Allemagne comme premier partenaire, suivie par le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne, nous n'avons pas intérêt à revenir à une trop forte volatilité des changes. Mais le problème du Serpent Monétaire Européen, c'est que de toute façon l'essentiel n'est pas la volonté de se coordonner - on voit bien avec l'euro que la volonté ça s'use. L'essentiel est de définir des règles d'évolution des parités des uns par rapport aux autres. Sinon toute dévaluation est vécue comme une indignité nationale et on se retrouve, comme dans l'euro, avec une monnaie qui n'est pas gérée comme elle doit l'être mais en fonction de critères politiques. Je ne vois pas ces règles chez Sapir. Autant donc ne pas se remettre dans un carcan et poser qu'il y a intérêt à conserver une parité du futur franc avec un panier des devises de nos partenaires commerciaux (lire par exemple ceci).

Il y a un argument politique encore plus important à mon sens : sortir du carcan de l'euro pour en retrouver un autre n'a que peu d'intérêt. Sapir laisse de côté complètement la question de l'appartenance à l'Union européenne. Avec un euro monnaie commune, nous resterions avec une politique budgétaire décidée à Bruxelles, avec les critères du pacte de stabilité ? Quel intérêt ? L'échec de l'euro est plus qu'un problème technique. C'est l'échec d'un projet qui n'a pas de sens : celui de faire de 27 pays un seul - e pluribus unum. Il faut avoir le courage de dire non à cela sans chercher à contourner l'écueil.

Des fois, c'est simple : mettre Assange en prison, c'est non ; expulser en Espagne, où elle risque des brutalités,  une française qui n'a commis aucune violence, fût-ce - surtout - au nom du droit européen, c'est non ; soumettre plus longtemps la France à l'imbécilité de l'acharnement européen, c'est non. Il est temps que le peuple récupère son droit de dire non, et de voir sa volonté s'imposer. Ceux qui réduisent à rien ce non sont ceux là mêmes qui aggravent la crise et préparent des violences. Personne d'autre.

*

Un peu de Camus pour finir. C'est beau.

La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible. Mais son élan aveugle revendique l'ordre au milieu du chaos et l'unité au cœur même de ce qui fuit et disparaît. Elle crie, elle exige, elle veut que le scandale cesse et que se fixe enfin ce qui jusqu'ici s'écrivait sans trêve sur la mer. [...] Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non » ? Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas ». En somme, ce non affirme l'existence d'une frontière.