Me voici dont rentrée en Vendée. J’ai 25 ans, des diplômes, il faudrait penser à gagner ma vie car, dans un élan de générosité – idiote vue de maintenant – j’ai refusé que Tante Rosalie fasse de moi sa légataire universelle afin de ne pas léser mes frères et éviter à Papa les chinoiseries que lui aurait fait son frère.
Je réfléchis, me demandant quelle carte jouer : le droit, ou infirmière ? Bien entendu, je continuerai les activités à la Croix-Rouge, et Madame Joussemet m’annonce un jour :
-Il se met en place un Service d’Hygiène Scolaire dans les lycées et les collèges, on demande à la Croix-Rouge une infirmière pour faire les visites avec les médecins, j’ai pensé que cela vous plairait.
Je dis oui, et me voilà casée, avec des horaires bizarres mais un salaire convenable. Pendant deux ans, j’ai de plus assuré des visites radio-scopiques de personnes rapatriées avec le Docteur Rambaud. Je commence à me faire une raison, mais ne veux pas encore entendre parler mariage, alors que ma tante me vante les louanges et les espérances de tous les petits-fils de ses vieilles amies.
Maman décline, mais comme à son habitude, fait face. Notre médecin de famille prévient Papa, en tournant longuement autour du pot. Je réussis à lui dire la vérité, il refuse de me croire. Mais quelques semaines plus tard, il doit se rendre à l’évidence : elle va nous quitter. Le 6 octobre, elle meurt paisiblement après m’avoir fait promettre de veiller sur Papa et les deux « petits ». Ses derniers mots avant de sombrer dans le coma furent :
-Je regrette seulement de ne pas connaître tes enfants.
Pauvre maman….Il lui aurait fallu attendre quarante huit ans pour que j’aie un fils adoptif !
Papa vient de prendre sa retraite et prend sa maison en main. Il restera seul pendant 18 ans. Je vis toujours avec ma tante qui est à présent très âgée et a, elle aussi, aussi besoin de moi. En 1947, Tante meurt. Elle m’a légué des meubles, du linge, différentes choses, ainsi que le jardin où sera plus tard construit « Le Val d’Yon ». Je ne puis m’installer chez Papa, aussi je m’installe chez moi. Je vois mon père tous les jours, plusieurs fois si nécessaire, mais j’ai ma liberté. Papa fait une tentative de remariage. Les garçons s’y opposent…
Guy est en Indochine pour son premier séjour. Après la guerre, il a fait Saint-Cyr et, comme tous les jeunes officiers, il est bon pour aller voir les Viets. Il y fera un second séjour pendant lequel il sera « porté disparu » et la Mairie me demande d’aller l’annoncer à Papa. Grâce au service de recherches de la Croix-Rouge à Genève, il est localisé trois semaines plus tard. Prisonnier des Viets, il y restera dix mois puis sera libéré par les accords de Genève.
Le temps passe et je travaille toujours beaucoup pour la Croix-Rouge en plus de l’Hygiène Scolaire. Je sors pas mal mais je commence à m’ennuyer. Vers 1948, la Chambre de Commerce demande à la Croix-Rouge d’étudier un projet de Médecine du Travail, avec, toujours, Madame Joussemet. Nous accomplissons un gros travail de prospection et de préparation. La Croix-Rouge est chargée du Service et nous démarrons en 1952. Je refile l’Hygiène Scolaire à une autre infirmière, service qui va d’ailleurs devenir dépendant de la Santé Publique et être étendu à tous les types d’établissements scolaires. Je reste responsable de la Médecine du Travail jusqu’à mon départ pour Abidjan.
Yves s’est marié en 1948. Le 31 décembre 1950, lui naît un fils que sa femme ne peut pas élever : il est mis en nourrice. Trois mois plus tard, elle le quitte : séparation puis divorce. Yves fera deux dépressions. Papa amortit les chocs…Mais quelle déception de ne pas pouvoir choyer son seul petit-fils !
En effet, en 1953, après moult fariboles sentimentales, Guy écrit à Papa d’Algérie où il est en garnison, qu’il vient de se marier et qu’il amènera son épouse à sa prochaine permission. Espoir, puis nouvelle désillusion à l’arrivée de Marie-Louise. Cependant, le mariage tiendra mais ils n’auront pas d’enfants.
En 1953, je suis toujours très occupée. Je sors beaucoup mais je suis gentiment en train de devenir une vieille fille. A l’époque, les célibataires manquaient de statut social. Je commençais à en avoir assez de toujours avoir besoin d’un cavalier pour chaque sortie. En février, nous organisons le dernier grand bal de la Croix-Rouge, le « clou » de la saison yonnaise. Il me vaudra deux demandes en mariage que je n’accepterai pas.Au début de 1954 en revanche, j’assiste au mariage d’une amie qui épouse un garçon en poste à Abidjan. Et j’y rencontre le caporal de la 1ère DB rencontré dix ans plus tôt. C’est Pierre Briot. Nous faisons plus ample connaissance et décidons de nous écrire, pour éventuellement aller plus loin. Avant de prendre ma décision, j’en parle à Papa car si je dis oui, je devrai aller vivre à Abidjan. Papa me demande : « Combien de temps pour revenir en cas de besoin ? » Je lui réponds « 24 heures ». « Bon, ce n’est pas plus compliqué que d’aller à Strasbourg ou à Grenoble ».
Pierre lui plaît beaucoup, ils s’apprécient mutuellement. Pierre disait :
-Je suis devenu à La Roche le gendre de Monsieur Renaud et non pas le mari de ma femme !
A la Croix-Rouge, Madame Joussemet est à la fois désolée et heureuse pour moi. Elle aussi s’attache à Pierre.
Le 8 avril, Pierre débarque pour notre mariage. Je l’attends au Bourget, c’est un Vendredi Saint. Il a annoncé notre venue à ses parents pour Pâques. Toujours très « agréable », cette prise de contact. Avec le père de Pierre, c’est tout de suite la sympathie car c’était un bien brave homme. Par définition, sa mère considérait toute femme à laquelle un de ses fils s’intéressait comme une intruse et une voleuse d’enfant. L’accueil est donc mitigé et d’ailleurs les parents de Pierre ne se déplaceront pas pour la cérémonie.
Ma belle-mère était une femme curieuse qui volontairement s’est punie toute sa vie des malheurs de sa jeunesse, totalement indépendants de sa volonté. Sa mère mourut alors qu’elle n’avait que quelques mois, son père qui possédait une belle entreprise de bâtiment meurt lorsqu’elle a 13 ans, après avoir beaucoup bu et claqué tout ce qu’il avait. Elle est recueillie par un oncle curé, doyen de Chauny, qui disparaît quelques années après. Elle se réfugie chez sa sœur aînée, doit travailler rapidement, se marie à 20 ans et donne naissance à deux fils. Sa curieuse tournure d’esprit fait qu’elle refuse que Pierre passe le concours des Bourses pour continuer ses études, alors qu’il avait toutes les capacités pour faire un excellent ingénieur.
Après trois jours de pénitence, nous revenons à La Roche où l’accueil est tout différent. Pierre est immédiatement intégré à la famille et à mon cercle d’amis. Nous préparons notre mariage et notre départ pour l’Afrique. Je conserve mon appartement à La Roche : nous aurons ainsi un pied-à-terre en France.
Nous nous marions dans l’intimité le 4 mai 1955. Je deviens Madame Briot ! Nous inviterons nos amis quelques jours plus tard. A la Mairie j’ai demandé au Docteur Cullère, adjoint au Maire, de nous marier : il m’avait mise au monde. A l’église, nous sommes unis par le chanoine Loué, d’où deux discours.
Enfin, nous partons pour la Côte d’Ivoire.
à suivre...
et si vous voulez commencer par le premier chapitre, c'est ici qu'il faut cliquer !