Premier album solo du saxophoniste américain Grover Washington Jr (1943-1999),
"Inner City Blues" qui, loin d'être un grand disque de jazz, s'inscrit parfaitement dans le courant "smooth jazz" initié au début des années 1970 et peut tout à fait revendiquer son statut de
précurseur en la matière. Ce terme un peu fourre-tout est souvent employé pour désigner une musique à l'instrumentation très proche du jazz puisant son terroir dans des styles très variés, et ne
reflète pas précisément un genre bien défini. C'est d'abord un choix artistique propice à rassembler un large public venant pour la plupart d'autres musiques très en vogue comme la soul, le funk
ou le rock. Le smooth jazz s'en inspirant très largement, il n'est donc pas rare de retrouver des albums entiers essentiellement consacrés à la reprise de titres reconnus et appréciés par tous.
Malheureusement, et sans manquer de discernement objectif, force est de constater que tout ceci donna souvent lieu à une écriture consensuelle, peu déroutante, et sans la moindre originalité. Des
mélodies omniprésentes, des thèmes très (trop) propres d'une platitude sans nom, des chorus toujours faciles sans la moindre dissonance thématique ou recherche harmonique, un grand renfort
d'orchestrations sirupeuses où les violons ont la part belle, tout est fait pour ne pas heurter l'auditeur et permettre au plus grand nombre de s'y intéresser. En tant qu'amateur de jazz, je dois
reconnaitre que ce n'est vraiment pas ma tasse de thé; la-dessus je rejoins tout à fait les détracteurs de ce courant uniforme qui lui reprochent son manque d'improvisation, de swing (rythmique
ternaire qui fait défaut au smooth jazz, résolument binaire), ainsi que son côté particulièrement formaté. C'est de la variété, ni plus ni moins. Le genre de musique insipide et froide où règne
une beauté artificielle fardée de clinquantes joailleries chips et pas chères. Plus proche des strass et paillettes que de l'orfèvrerie de maître, "Inner City Blues" est le parfait exemple de cet
état de fait, ou si vous préférez de la marche à ne surtout pas suivre au risque de perdre toute crédibilité à mon égard.
L'album entame sa lente ascension par la reprise d'un morceau de Marvin Gaye, "Inner City Blues". Autant vous le dire tout de suite, c'est pour moi le plus réussi de l'album et de loin le plus
attrayant. Aucune originalité succincte bien sûr, mais malgré tout une énergie assez communicative et un son gentiment funky bien emmené. Reste cette sonorité de saxophone perturbante (ce son
clair et froid).
La preuve par l'exemple
Version de Grover Washington Jr
Version de Marvin Gaye
Grover Washington Jr retranscrit à peu de choses près les lignes rythmiques un peu faciles de Macéo Parker (le groove en moins), sans jamais vraiment chercher à différencier son jeu ou ses
placements de ce qui a déjà été entrepris ou fait avant lui. Tout est carré, soigné, dans le temps, si bien que l'ensemble manque franchement de sincérité et de coeur. Le reste de l'album est
encore pire, comme avec les très mauvaises reprises "Georgia On My Mind", "Mercy Mercy Me", "Ain't No Sunshine" ou "Until It's Time For You To Go". Les morceaux trainent et s'enlisent
progressivement dans les profondeurs de l'ennui et du rasant, jusqu'à l'oubli. Il aura d'ailleurs fallu que je décide de créer ce blog pour finir par le ressortir afin d'en faire la chronique,
sans cela je ne l'aurai certainement pas réécouter et il serait rester encore longtemps à prendre la poussière. Certains trouveront du lyrisme et de la sensibilité à tout cela et bien leur en
prenne. J'y perçois pour ma part un torrent de guimauve prémâché à la texture bien fade, sorte de soupe à l'eau, mais tout cela n'est qu'affaire de goûts et de couleurs.
Le plus triste c'est qu'il y en avait du beau monde pour réaliser ce disque (raison pour laquelle j'ai fini par me décider à l'acheter), de même que l'année de sa réalisation, 1971, semblait
présager de bons augures à son sujet. Enfin, sur le papier, tout semblait annonciateur de réussite programmée. Ron Carter à la basse, Idris Muhammad à la batterie, Airto Moreira aux percussions,
Eric Gale à la guitare, Bob James aux claviers, mais malgré tous leurs efforts, aucun ne parvient à faire oublier cette texture sirupeuse omniprésente dont le principal représentant reste son
leader saxophoniste et future star du "smooth jazz", Grover Washington Jr. Je me suis bêtement laissé berner par cette pochette sympathique et ce line-up alléchant. Qu'à cela ne tienne, on ne m'y
reprendra plus. Désormais je passerai mon chemin dès lors que je croiserai son regard. J'arrête maintenant de m'étendre sur le sujet qui ne mérite finalement que peu d'attention, toutefois je
reste ouvert à vos objections ou à vos remarques quant à certaines de ses productions que je pourrai avoir ignorées et qui vaudraient le coup de s'y intéresser plus en détail (peut être aurai-je
omis un sursaut de créativité de sa part). Pour le reste, vous trouverez de quoi répondre à mes arguments en écoutant les morceaux que je laisse à votre disposition (en espérant que cela vous
plaise). La preuve de mon insatisfaction par l'exemple, comme avec "Mercy Mercy Me" que je vous propose ci-dessus de comparer à sa version originale. Je n'ai pas trouvé mieux pour vous convaincre
de mes propos, la musique parlant d'elle même. A vos mouchoirs.