Le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero a commencé par froncer les sourcils. Ensuite, constatant la détermination des contrôleurs aériens espagnols d’arręter le travail, il a décrété Ťl’état d’alerteť, une formule proche de la notion de loi martiale, menaçant les grévistes des pires mesures de rétorsion s’ils refusaient de reprendre immédiatement le chemin des tours de contrôle.
Le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba, a aussitôt pu constater que la fermeté était le meilleur des choix politiques, sans męme passer par une riposte graduée. D’entrée, la coupe était pleine et l’opinion publique peu disposée ŕ témoigner de la moindre sympathie pour 2.300 contrôleurs incontestablement nantis (leur salaire annuel moyen serait de 334.000 euros par an pour 1.670 heures de travail effectif) capables de paralyser en quelques instants l’espace aérien espagnol et de clouer au sol les avions d’Iberia et de plusieurs autres compagnies. Ainsi a été tuée dans l’oeuf une opération de corporatisme débridé. Il n’y avait rien ŕ négocier, rien ŕ céder.
En clair, le fait que le contrôle aérien espagnol soit sur le point d’ętre partiellement privatisé ne pouvait faire l’objet d’un combat syndical. Et, ŕ Madrid, il y avait consensus pour affirmer qu’un peu plus de 2.000 personnes ne pouvaient en aucun cas déclencher le chaos. D’oů la réaction politique quasiment instantanée, spectaculaire, et qui pourrait faire jurisprudence, y compris en amont et en aval du transport aérien.
Cette extręme fermeté n’était pourtant pas exempte de risques. En effet, la décision a rapidement été prise de confier provisoirement le contrôle aérien aux militaires, cela pour contourner préventivement les effets dommageables d’un blocage qui aurait pu se prolonger. Or, en mars 1973, chacun s’en souvient, en France, une situation similaire avait mené ŕ une collision aérienne ŕ proximité de Nantes. Un Convair Coronado de Spantax et un DC-9 d’Iberia, placés par erreur au męme niveau de vol, s’étaient heurtés de plein fouet lors de l’application du plan Clément Marrot (ŤCMť pour contrôle militaire).
Quelques années plus tard, c’était au tour des contrôleurs américains de déposer l’outil. Mal leur en prit, l’administration Reagan, excluant toute négociation et exigeant le retour immédiat au travail des 13.000 membres du syndicat PATCO (Professional Air Traffic Controllers’ Organization). Mille trois cents d’entre eux seulement acceptčrent l’injonction et les 12.700 autres furent tout simplement licenciés. Et il fallut deux années pleines pour normaliser la situation mais sans aucun incident sérieux.
L’incident de parcours espagnol a vient de raviver la mémoire des anciens. De Reagan ŕ Zapatero, les tenants d’un corporatisme pur et dur ont constaté ŕ leurs dépens que le syndicalisme a changé d’époque en męme temps que le transport aérien s’est normalisé, est rentré dans le rang. D’oů l’impact considérable du coup de semonce espagnol.
Germain Chambost, auteur d’un excellent ouvrage sur les contrôleurs (1), évoque Ťune communauté qui intrigue et fascine par le pouvoir, y compris le pouvoir de nuisance qu’elle détient et le professionnalisme indiscutable dont elle fait preuveť.
Le SNCTA, principal syndicat français de contrôleurs, a réagi avec fermeté. Il Ťs’insurge contre le traitement iniqueť que le gouvernement espagnol fait subir ŕ ses homologues espagnols. La coordination européenne des syndicats de contrôleurs n’est pas en reste et Ťse révolteť contre la maničre de faire des autorités de Madrid. Cela s’appelle camper sur ses positions et éviter soigneusement tout retour ŕ un minimum de réalisme.
En revanche, il n’est évidemment pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé d’une politique de privatisations ŕ outrance qui n’épargne męme pas des secteurs non concurrentiels qui relčvent de la notion de service public, contrôle aérien et aéroports, notamment. C’est un débat qui mériterait sans doute d’ętre relancé, et cela en l’absence de toute pression syndicale. Les Espagnols ne sont pas les seuls ŕ ętre loin du compte.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1)ŤLe Ciel sous contrôleť, Editions Altipresse