En attendant patiemment le procčs en appel voulu par Continental Airlines, il est déjŕ utile de revenir sur le verdict prononcé le 6 décembre par le tribunal de grande instance de Pontoise. D’autant que le jugement traduit un travail considérable, un texte dont chaque mot est soigneusement pesé, et dont la lecture par la juge Dominique Andréassier a pris deux pleines heures.
Comme souvent en pareil cas, en écoutant les avocats, il est difficile de faire la part des choses entre effets de manche et conviction profonde. John Taylor, l’infortuné technicien de maintenance de la compagnie américaine, ne serait-il qu’un bouc émissaire ? On peut évidemment en douter et, de ce fait, regretter qu’autant l’absence aux audiences de cet homme de 42 ans précipité bien malgré lui au coeur du cyclone. Bien malgré lui ? Sans aucun doute dans la mesure oů sa maničre de remplacer une pičce d’usure de nacelle moteur, un bricolage, avait évidemment l’aval de sa hiérarchie. Sans quoi une pičce neuve aurait été utilisée.
L’accident du 25 juillet 2000 est n’est pas entré dans les annales des transports aériens contemporains uniquement parce qu’il a mis en cause le plus mythique des avions de ligne. En effet, la catastrophe a résulté d’un extraordinaire concours de circonstances relevant d’un bien improbable calcul de probabilités. C’est John Taylor, et lui seul, qui a déclenché ŕ distance la séquence d’événements, un jeu de dominos mortel. Mais, bien sűr, il s’est aussi trouvé au centre d’un enchaînement dont il a tout ignoré jusqu’au moment oů les enquęteurs du BEA ont trouvé la pičce de titane litigieuse, l’arme du crime. A quelques centimčtres prčs, la lamelle n’aurait pas fait parler d’elle, le vol 4590 se serait posé ŕ New York trois heures de demie plus tard. Au pire, un 747 ou un A330 aurait subi un éclatement de pneu plus tard dans la journée, un incident fâcheux mais trčs probablement sans conséquences sérieuses.
Point remarquable, les trois membres de l’équipage technique du Concorde, pilotes et mécanicien navigant, pour reprendre les termes du jugement, ont fait preuve jusqu’au dernier moment de calme et de professionnalisme alors qu’ils étaient confrontés ŕ une situation trčs difficile, qui plus est non prévue par leur cursus d’entraînement. D’oů un commentaire positif (c’est-ŕ-dire rare) du Syndicat national des pilotes de ligne, qui se félicite de la mise hors de cause de l’équipage. Le SNPL a marqué le coup et il a eu raison de le faire.
En revanche, on ne le suit plus quand il se dit étonné du jugement au sujet des prévenus, ex-Aerospatiale et ex-DGAC. Ils ont été accusés de négligence mais, contrairement au technicien de Continental, ils ont été blanchis, Ťune différence de traitement incompréhensibleť, pire, Ťune occasion manquéeť et, comme si cela ne suffisait pas, Ťune triste journée pour la sécurité des volsť. Un commentaire pour le moins maladroit qui ignore la réalité historique propre ŕ Concorde. C’est-ŕ-dire celle d’un avion hors normes dont le lancement industriel a eu lieu en novembre 1962. Dans deux ans, il y aura un demi-sičcle !
Bien entendu, cette ancienneté n’excuse rien mais la critique n’est pas pour autant automatiquement crédible, surtout quand l’épilogue est connu. Sauf erreur, les dirigeants actuels du SNPL n’étaient pas nés au moment de la signature de l’accord franco-britannique qui a donné naissance ŕ l’avion supersonique.
L’avocat des pilotes a estimé, en prolongation de ce raisonnement, que Ťles faiblesses de Concorde n’ont pas été correctement traitéesť, remarque qui constitue un retour ŕ la case départ. A ce rythme-lŕ, on finira par accuser Catherine Maunoury, directrice du musée de l’air et de l’espace du Bourget, d’héberger un avion qui, au moment des faits, ne méritait plus son certificat de navigabilité.
On ne peut pas non plus ramener le dossier ŕ une affaire d’argent. Les indemnisations imposées ŕ Continental, trčs inférieures aux demandes des parties civiles, sont avant tout symboliques. Mais EADS France y contribuera pour 30% des sommes concernées, une maničre comme une autre de ne pas absoudre l’industriel mais, tout au contraire, de reconnaître que sa responsabilité est engagée.
Pas question pour autant d’affirmer que le reste n’est que littérature. Il y aura un second procčs, un recommencement qui s’annonce d’ores et déjŕ pénible. D’autant que la sécurité des vols n’en bénéficiera en aucun cas.
Pierre Sparaco - AeroMorning