The « Shot Heard ‘Round the World », 3 octobre 1951
Deuxième étape de notre voyage à travers l’histoire du « National Pasttime » outre-Atlantique, à l’automne 1951. Depuis notre premier épisode, le scandale des « Black Sox » a marqué le pays (8 joueurs des Chicago White Sox s’étaient fait payés pour perdre la Série Mondiale 1919 contre les Reds de Cincinnati), la deuxième guerre mondiale a eu lieu, Jackie Robinson est devenu le premier Noir à jouer en Ligues Majeures (chez les Brooklyn Dodgers) et le plus grand joueur de l’histoire du jeu, Babe Ruth, décède en 1948, à l’âge de 53 ans.
Les forces en présence
La saison 1951 voit les Yankees de New-York remporter le titre dans la ligue Américaine, 5 matchs devant les Indians de Cleveland. Dans la ligue Nationale, la bataille est plus serrée et voit les deux clubs de…New-York, les Dodgers et les Giants (qui ont compté plus de 13 matchs de retard sur leurs rivaux avant de remporter 37 de leurs 44 dernières rencontres), finir à égalité à l’issue des 154 matchs du calendrier régulier, ce qui oblige les deux équipes à jouer un barrage sous forme d’une série au meilleur des trois matchs, afin de déterminer l’équipe championne de la ligue et ainsi celle qui affrontera les Yankees lors de la Série Mondiale. C’est seulement la deuxième fois dans l’histoire de la ligue Nationale qu’un barrage est nécessaire, la première ayant eu lieu en 1946 ; elle impliquait déjà à l’époque les Dodgers, qui s’inclinèrent 2 victoires à 1 face aux St Louis Cardinals, des Cardinals qui s’imposèrent ensuite face aux Red Sox lors de la Série Mondiale.
Déroulement de la série
(sur les feuilles de score, on écrit le score pour chaque manche, puis le total des Runs (points marqués), Hits (coups sûrs) et Erreurs défensives (E))
Le match 1 eut lieu à Ebbets Fiels, antre des Dodgers. Les Giants s’imposèrent 3-1, leur lanceur Jim Hearn lança à cette occasion un superbe match complet, n’autorisant que cinq malheureux hits à ses adversaires.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 R H E - - - - - - - - - - - - Giants 0 0 0 2 0 0 0 1 0 3 6 1 Dodgers 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 5 1
Direction le Polo Grounds pour le match 2, où les Dodgers prirent une éclatante revanche en blanchissant les Giants 10-0.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 R H E - - - - - - - - - - - - Dodgers 2 0 0 0 1 3 2 0 2 10 13 2 Giants 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 6 5
Le troisième match, toujours à Polo Grounds, sera décisif… Et qui dit match décisif, dit meilleurs lanceurs sur le monticule : Sal Maglie côté Giants contre Don Newcombe côté Dodgers.
Maglie concéda deux buts sur balle consécutifs dès la première manche, ce qui permit à Jackie Robinson de faire rentrer l’arrêt-court « Pee Wee » Reese pour le premier point après une frappe champ gauche. Le score n’évolua plus jusqu’en septième manche . Les Giants débutèrent cette 7è reprise par une flèche champ gauche de Monte Nelson qui lui permit de progresser en 2è base. Le première base Whitey Lockman choisit ensuite un amorti afin de faire progresser Nelson en 3è base, puis un ballon sacrifice de Bobby Thomson permit à Nelson de rentrer à la maison et d’égaliser.
La réaction des Dodgers est immédiate en 8è. Après l’élimination du premier batteur Carl Furillo, Reese et Duke Sneider frappèrent successivement au champ droit ; un lancer fou (wild pitch, une balle mal lancée qui passe derrière le receveur et qui permet aux coureurs de progresser) de Maglie permit ensuite à Reese de marquer et à Snider de progresser en 3è base. Le gérant des Giants choisit ensuite de laisser le prochain batteur, le redoutable Jackie Robinson, d’aller en première base (ce qu’on appelle un but sur balle intentionnel : c’est une tactique habituelle en baseball dans des matchs serrés comme celui-ci. Avec un éliminé, on amène intentionnellement un coureur en 1ère base afin de forcer la 2è et de provoquer un éventuel double-jeu sur le prochain batteur et ainsi mettre fin à la manche).
La tactique est malheureusement perdante pour les Giants, le champ gauche Andy Pafko frappa une balle vers la 3è base qui permit à Snider de marquer le point. Deux batteurs plus tard, le troisième base Billy Cox frappa champ gauche et permit à Robinson de croiser le marbre. C’est 4-1 Dodgers à la fin de la 8è manche, les Giants n’ayant pas été capable de réduire la marque à leur tour de bâton. La 9è manche ne donne rien pour les Dodgers, le lanceur de relève Larry Jansen faisant le boulot rapidement.
Bottom of the ninth
Fin de neuvième manche, les Giants sont pour la dernière fois du match au bâton. Newcombe est toujours sur le monticule mais il commence à fatiguer : un match complet lancé quelques jours auparavant, presque 6 manches en relève le lendemain, le bras commence à donner des signes de faiblesse.
Alvin Dark, l’arrêt-court, commence la manche par un simple entre la 1ère et la 2è base ; Don Mueller frappa ensuite un simple champ droit, qui fit progresser Dark en 3è base. Monte Irvin, avec des coureurs en 1 et en 3, et aucun éliminé, est le prochain à se présenter au marbre ; avec 121 points produits, il mène les statistiques de la ligue Nationale, ce qui ne l’empêche pas de frapper une chandelle dans le territoire des fausses balles, facilement captée de volée par le première base Gil Hodges : un éliminé.
Whitey Lockman frappa ensuite une balle entre le champ gauche et le champ centre, un double qui permit à Dark de marquer le point et à Mueller de se rendre en 3è base (Mueller se brisa la cheville en glissant sur la base, il fut remplacé par Clint Hartung) : 4-2 Dodgers. Sentant le danger arrivé, Chuck Dressen, le gérant des Dodgers, sortit Newcombe pour Ralph Branca. Bobby Thomson est le prochain batteur.
Situation avant le passage de Thomson (surlignés en jaune, les Giants sur bases et Thomson)
La première balle de Branca fut annoncé « strike » par l’arbitre ; le prochain lancer et la frappe à venir de Thomson appartiennent à l’histoire du baseball…
Ralph Branca (à gauche) et Cookie Lavagetto, un des coachs des Dodgers, après la défaite
Ce coup de circuit historique, champ gauche, que le NY Daily News surnomma rapidement « The Shot Heard ‘Round the Baseball World« , apporte les trois derniers points de ce match (5-4) et conclut cette série de barrage. Elément amusant, lorsque la balle est sorti du terrain, tous les joueurs des Dodgers ont immédiatement quitté le terrain, tous sauf Jackie Robinson. Il observa la course des trois joueurs se rendant au marbre pour marquer le point, vérifiant qu’ils touchèrent bien les bases ; Robinson espérait peut être un « Merkle’s Boner » bis (voir le premier de mes articles)…
1 2 3 4 5 6 7 8 9 R H E - - - - - - - - - - - - Dodgers 1 0 0 0 0 0 0 3 0 4 8 0 Giants 0 0 0 0 0 0 1 0 4 5 8 0
Si cette frappe est considérée comme un des plus grands moments du baseball, les réactions des journalistes sur place le sont encore plus. La plus célèbre restera celle de Russ Hodges, le commentateur attitré des Giants, réputé pourtant pour avoir une voix plutôt calme et posée !
There’s a long drive… it’s gonna be, I believe…THE GIANTS WIN THE PENNANT!! THE GIANTS WIN THE PENNANT! THE GIANTS WIN THE PENNANT! THE GIANTS WIN THE PENNANT! Bobby Thomson hits into the lower deck of the left-field stands! The Giants win the pennant and they’re goin’ crazy, they’re goin’ crazy! HEEEY-OH!!! »
« The Pennant », le drapeau, représente un championnat de ligue dans les sports américains
La légende raconte qu’un fan des Dodgers , certain de la victoire de son équipe, voulut enregistrer les pleurs de Hudges. Au lieu de cela, il a immortalisé un des moments sonores les plus célèbres de l’histoire du sport américain.
Les Giants s’inclineront quelques jours plus tard lors de la Série Mondiale face aux Yankees, 4 victoires à 2.
Le circuit de Thomson était-il sportivement correct ?
Cinquante après, un journaliste du nom de Joshua Harris Prager révéla que les Giants avait positionné un de leurs coachs dans un des clubhouse situé dans le champ centre du Polo Grounds. Avec des jumelles, il put ainsi intercepter les signaux du receveur à son lanceur (qui lui indique quel type de lancer il souhaite – balle rapide, ball courbe, en bas de la zone de prise…), les transmettre grâce à un système de buzzer au banc des Giants, qui les relaya au batteur. Thomson a toujours nié l’existence de ces signaux.
Thomson et Dranca après le 3 octobre
Bobby Thomson & Ralph Branca
La saison suivante, Thomson mène les statistiques de la National League sur le nombre de triples (14). 1953 sera sa dernière campagne avec les Giants, qu’il finira notamment avec 26 circuits et une moyenne au bâton de 0.288. Il conclut sa carrière aux Red Sox et aux Orioles, avec une moyenne finale de 0.270, 264 circuits et 1026 points produits. Il est décédé il y a quelques mois, le 16 aôut.
Ralph Branca, qui fêtera ses 85 ans le 6 janvier prochain, restera jusqu’en 1953 chez les Dodgers, avant deux saisons chez les Tigers de Detroit et une chez les Yankees. Il reviendra et termina sa carrière à Brooklyn en 1956. Branca souffrait du dos dès 1952, ce qui explique sa carrière assez courte.