Vous êtes botaniste de formation, journaliste pour diverses revues de jardins, écrivain d'une dizaine d'ouvrages sur le sujet et photographe de métier, dont "Jardiner durablement" qui vous a valu le prix Saint-Fiacre en 2006. Sur quel sujet porte ce nouveau livre ? Il s'agit à la fois d'un beau livre et d'un livre savant. Le sujet me tenait à coeur depuis longtemps, ce sont les plantes interdites. Non pas les plantes-poison mais les plantes qui ont été interdites ou le sont encore. Cela comprend bien sur les psychotropes, le cannabis, la coca avec laquelle on fait la cocaïne, le pavot qui donne l'opium et l'héroïne, mais également toutes les plantes abortives qui ont été interdites sous le IIIe Reich, les plantes invasives pour lesquelles on commence à voir apparaître des décrets, les OGM puisqu'il y a un moratoire au niveau européen. Egalement les variétés potagères dont certaines sont interdites de commercialisation. L'absinthe, le tabac et des plantes alimentaires comme le stevia. Ou encore des plantes qui vont être interdites, notamment tout ce qui touche aux novel foods, des ingrédients ou aliments dont la consommation dans la Communauté européenne a été négligeable ou inexistante avec des réglementations qui considèrent aujourd'hui que tout est interdit et qu'il faut faire une démarche pour obtenir une autorisation de culture ou de commercialisation d'une nouvelle plante médicinale ou d'un aliment.
Quel est l'angle choisi? L'histoire de la plante? L'angle choisi est essentiellement botanique et éthno-botanique. Ce n'est pas forcément l'histoire de la plante telle qu'elle a cohabité avec les hommes ou la manière dont les hommes l'ont domestiquée. Mon livre porte plutôt sur ce que les hommes en ont fait et la manière dont les humains ont transformé au fil des ans leur perception de la plante pour la voir parfois comme une plante diabolique. C'est l'exemple du cannabis décrit comme "la mauvaise herbe enracinée dans le jardin du diable", c'est emblématique. J'ai aussi voulu montrer que souvent ces interdits ne sont pas basés sur des réalités scientifiques mais en réalité sur des constructions purement sociales, voire économiques. Par exemple, l'absinthe a été interdite parce qu'il y avait le phylloxéra sur le vignoble français. Cela a été indirectement une façon de lutter contre l'alcoolisme, d'interdire l'absinthe. Mais il faut savoir qu'à l'époque, les producteurs viticoles français se sont alliés aux ligues de vertu pour faire interdire l'absinthe. On disait qu'elle rendait fou, en réalité elle ne rendait pas fou puisque les teneurs en substance impliquée soit-disant dans la folie que pouvait provoquer l'absinthe était inférieure à celle des absinthes actuelles. Donc, ce n'était pas du tout un problème scientifique, mais socio-économique.
Est-ce qu'il s'agissait également d'interdits relevant de l'ordre moral? Jusqu'aux années 60 oui. Par exemple pour le cannabis. Mais aujourd'hui, on ne trouve plus de dimension morale, c'est essentiellement économique ou des faux-semblants sanitaires. C'est le cas pour le stevia, on a longtemps prétendu que cette plante pourrait être impliquée dans le cancer, mais en fait, l'interdit est parti d'une plainte anonyme déposée auprès de l'administration américaine, plainte dont on s'est rendu compte par la suite qu'elle avait été écrite par les fabricants d'aspartame, le stevia venant concurrencer le produit qu'il commercialisaient.
Est-ce qu'il y des plantes qui à une époque étaient conseillées pour la santé et qui sont devenues interdites ensuite? Oui, l'opium par exemple. Au début, l'opium était considéré comme un relaxant, avant que l'on découvre la morphine. Le cannabis a également eu un usage thérapeutique dans les années 60. Un produit dont la marque s'appelait Marinol était recommandé pour soigner certaines pathologies, des usages maintenant complètement interdits. On s'est mis à l'héroïne car on essayait de soigner l'addiction à la morphine! On est tombé de Charybde en Scylla…
Dans votre livre, on comprend également que les interdits concernant les plantes relèvent également de questions culturelles. Absolument. La coca par exemple, c'est complètement culturel. Elle est utilisée depuis des milliers d'années en Amérique du sud, on retrouve par exemple des représentations de feuilles de coca sur des vases anthropomorphes de l'époque pré-colombienne. Localement, mâcher de la coca, c'est lutter contre la fatigue, elle est d'ailleurs toujours consommée actuellement. Haroun Tazieff l'a utilisée sur des expéditions dans des volcans pour vaincre la faim. Chez nous, on interdit la culture de la coca, même en toute petite quantité alors même qu'il faut des champs entiers de coca pour obtenir un kilo de pâte de base servant à faire au final quelques grammes de cocaïne.
Quelle est votre position exprimée dans cet ouvrage concernant ces interdits? L'esprit du livre et ma position sur le sujet c'est une certaine inquiétude parce qu'il n'y jamais eu autant d'interdits, de plantes interdites, et on interdit de plus en plus. C'est à dire que l'on dépossède l'individu de son libre arbitre et on décide à sa place. Et on va même jusqu'à éditer des listes positives, c'est à dire que tout ce qui n'y figure pas est interdit et ce n'est que lorsque l'on rajoute le nom d'une plante sur cette liste que sa culture est autorisée. Voilà ce vers quoi on tend, c'est à dire que toutes les pratiques médicinales traditionnelles sont complètement encadrées voire tuées. Pour exemple, une petite plante qui était consommée sous forme de baie en Suède est interdite à la consommation maintenant alors qu'elle n'est pas toxique.
Votre inquiétude de botaniste aussi? Non, il y a 300 000 plantes qui ont été décrites dans la nature, même si on en interdit quelques milliers il en restera toujours. Je réagis plus en tant que citoyen car ces interdits sont quelque part iniques. En France notamment, on confond la substance active et la plante, le contenu et le contenant. En gros, c'est comme si pour empêcher les gens de consommer du vin on interdisait les verres! Je ne vois pas pourquoi on interdit par exemple de cultiver le chanvre qui pourrait être utilisé comme engrais vert, ou des tas d'autres plantes alors qu'il n'y pas d'utilisation psychotrope ou répréhensible.
Quelles sont les mesures punitives prises à l'encontre des contrevenants? Cela va de la contravention jusqu'à la convocation en correctionnelle voire au-delà lorsque cela tombe sous le coup de la législation des stupéfiants ou sur les matières pharmaceutiques. Hors psychotropes, pour l'instant, je ne connais pas de cas ou des particuliers aient été condamnés. Mais il y a quand même des gens qui se sont fait pénaliser pour la culture du sedia. Il y a un procès retentissant à propos des semences potagères. L'association Kokopelli qui oeuvre à travers des actions militantes pour la biodiversité et la préservation des semences a perdu son procès et s'est vu interdire la culture et la commercialisation de semences
Ce livre est-il à destination aussi du jeune public? Oui, on peut le mettre dans les mains des jeunes adolescents qui sont attirés par des substances hallucinogènes par exemple, car cela les dissuadera de faire des expériences stupides comme la prise de champignons, le datura notamment. Je n'ai fait dans ce livre ni angélisme ni démonisme. Je suis resté scientifique et objectif afin de montrer s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise raison d'interdire telle ou telle plante. Ensuite je laisse le lecteur disposer de son libre arbitre. Je mets mon lecteur au défi de dire en ayant lu le passage sur les OGM si je suis anti ou pro-OGM! Sur d'autres sujets, j'ai été un peu plus partisan, mais je ne le cache pas et je l'explique.
Il y a par ailleurs de magnifiques illustrations dans ce livre... Cela a été un gros travail iconographique, un travail de fourmi, avec des images recherchées auprès de la Force internationale en Afghanistan, des portraits botaniques réalisés dans des jardins, de très belles planches d'herbiers que je suis allé rechercher moi-même au Muséum… Le but ce n'était pas de faire un livre uniquement "joli" mais de mettre des images qui apportaient un sens quant à cette thématique de l'interdiction. Nous avons inséré des visuels actuels de manuels destinés à dissuader les jeunes de consommer du cannabis et nous les avons mis en perspective avec ce qui se faisait il y a soixante ans. C'est très intéressant de voir l'évolution…
La thématique de ce numéro de novembre étant les super-héros, je souhaiterais savoir si à votre avis les super-héros se dopent? Consomment des plantes interdites? Pour voler ou avoir l'illusion de voler, oui, ils doivent consommer un peu de LSD! Mais non, ce n'est pas dans l'imaginaire lié au super héros qui est un être sain, naturellement musclé, d'ailleurs il ne va jamais dans une salle de gym! Donc il n'a pas besoin de consommer de matières dopantes ou de plantes interdites.
Et pensez vous qu'aujourd'hui, dans la société dans laquelle nous vivons, avec toutes les difficultés sociales, économiques, professionnelles, politiques, que nous traversons, il faut être un super héros pour ne pas être tenté de se doper, de consommer des plantes interdites? Clairement oui! Mais bon, je tiens à préciser que pour la réalisation de ce livre, je n'ai absolument pas consommé de psychotropes, donc je suis un super héros! Mais il est vrai que c'est devenu très facile aujourd'hui de consommer de la cocaïne par exemple, réservée il y a encore une dizaine d'années à une élite urbaine fortunée. Le prix a énormément chuté, les narco-trafiquants ont maintenant des techniques de culture incroyables, et l'on en trouve partout bien que ce soit interdit. Il est devenu beaucoup plus difficile de se procurer du cannabis. Ce n'est pas être un super héros que de consommer des plantes psychotropes, de la sauge hallucinatoire ou des champignons, car la clairvoyance ou le sentiment de super pouvoir que peut donner la cocaïne par exemple ont leur revers : les bad trips, la destruction de notre perception et de notre cerveau. Je trouve pour ma part que l'on est plus un super-héros lorsque l'on arrive à survivre dans notre société actuelle! Mais c'est ma position personnelle. Et par ailleurs, on se "dope" tous un peu…nous consommons tous des alcaloïdes au quotidien, c'est-à-dire des substances issues des plantes qui agissent sur notre système nerveux, pour l'exciter ou le calmer. L'homme en a toujours consommé depuis le néolithique. J'ai une tasse de thé vert entre les mains, c'est de la théine. J'ai consommé de la théobromine tout à l'heure. La caféine est aussi une substance dopante, les tisanes, le chocolat également…
Pensez-vous qu'un jour on nous interdira le chocolat? Le cacao devenant une plante interdite? Non. Mais peut-être qu'un jour on nous interdira le chocolat à plus de 70% de cacao par exemple, parce que c'est mauvais et qu'on aura plus le droit qu'à… du chocolat au lait! Si l'on reste dans le panurgisme et qu'on se laisse faire, notamment en matière de réglementation européenne, toutes les dérives sanitaires et sécuritaires, avec les lobbies et enjeux économiques qui sont derrière, sont possibles. D'où l'importance de faire ce livre. Et de le lire aussi!