Il y eut d’abord l’inexplicable désintégration des cités, les gratte-ciel qui s’effondraient, écrasant des centaines de milliers d’hommes.
Et les quelques survivants ont fui vers la campagne, encore paisible, « normale »… mais pour combien de temps ? Jusqu’au jour où, sous leurs yeux, jaillit la Plante, gigantesque monstre végétal qui prolifère, ravageant tout sur son passage.
Ils fuient encore, sous terre, où ils se trouvent piégés dans un labyrinthe de racines… celles de la Plante ! Se nourrissant de sa sève, ils essayeront de survivre. Qui « ils » ? Des hommes ? Des termites plutôt, ou des vers…
Génocides se base tout entier sur le thème éculé, mais oh combien efficace ici, de l’inversion de paradigme – au reste un postulat de départ typique de la science-fiction. Car cette « Plante » est en réalité le fruit de semailles et la destruction des villes qui l’a précédée une sorte de labourage à l’échelle planétaire : en fait, la Terre a moins été envahie qu’elle a été transformée en un vaste verger par des intelligences venues d’un autre monde pour lesquelles les êtres humains se réduisent à rien d’autre que des nuisibles – comme les insectes peuvent l’être pour les champs de nos agriculteurs : d’une manière certes insignifiante mais qui requiert malgré tout un usage plus ou moins intensif de pesticides…
Mais là où Thomas Disch se montre novateur c’est en évitant le cliché de l’énième variation post-apocalyptique où les survivants se montreront plus ou mieux astucieux dans les épreuves de ce nouveau monde qui s’offre à eux, et encore moins à travers l’organisation d’une résistance contre l’ennemi qui s’achèvera par la victoire fatale – je veux dire, pour le récit – de l’Homme sur l’envahisseur maudit. Ici, l’auteur nous épargne la découverte progressive, et soporifique, des origines du phénomène pour mieux se concentrer sur l’impact qu’il produit chez les survivants, sur les solutions qu’ils vont tenter d’apporter à leurs problèmes, sur leur vie enfin.
Ou plutôt ce qu’il en reste. À travers un récit poignant de réalisme, et donc nimbé d’un certain pessimisme, Disch nous décrit ici un Homme qui a cessé d’être un loup pour l’Homme et au lieu de ça s’abîme de plus belle dans son simple statut d’animal apeuré de tout – et pas seulement de ce qu’il ne comprend pas mais bel et bien de lui-même, de ses congénères, de ses amis, de ses proches… Ici, l’envahisseur n’est responsable de rien d’autre que d’avoir aboli subitement les apparences, dissous d’un coup le vernis de fausse civilisation derrière lequel nous cachons notre sauvagerie et nos instincts les plus barbares, les plus primaires.
À l’époque où Disch écrivit ce livre, le terme « génocide » était encore récent, forgé après la victoire des Alliés sur l’Axe pour mieux justifier le procès de ce dernier à Nuremberg suite aux atrocité nazies commises dans les camps d’extermination. Dans ce court mais très intense roman, Disch nous rappelle que ces gens-là étaient en fait des êtres humains comme les autres, et leurs horreurs à la portée de n’importe qui…
Génocides (The Genocides), Thomas Disch, 1965
Livre de Poche, collection SF n° 7123, avril 1990
192 pages, env. 5 €, ISBN : 2-253-05296-5