Le ton est juste tout de suite. On entend la voix de Pierre Maubé, sa très grande culture aussi, modeste et fine à la fois. Ces récits poèmes sont très attachants, avec un zeste de nostalgie.
Il n'y a plus jamais de neige dans la cour, les hivers ne sont plus aussi froids.
Cette façon d'ancrer la poésie dans l'histoire des temps et de retrouver dans l'histoire des hommes la part lyrique et mythique est d’une grande réussite. Ce dans quoi notre langue et nous-mêmes sommes enracinés au fil des siècles nous est divulgué et l’on est tout étonnés de n’y avoir pas pensé soi-même tant l’évidence est là.
Montaigne est convié :
nous nous devons en partie à la société mais en la meilleure partie à nous.
Dans les autres parties du livre nous quittons la fresque des rendez-vous du monde pour la part intime, l'amour, les ancêtres, les inscriptions du passé sur nos corps. Le poème est regret de ce qui n’est plus ; mais aussi finalement démiurge puissant et tutélaire jusque dans sa douleur renouvelée. Le regard que porte Maubé sur le monde, les femmes et les enfants, et plus loin encore, les grands prédécesseurs n’est pas exempt de puissance, une sorte d’assurance calme habite le poète.
Poe qui engendra Baudelaire, qui engendra Mallarmé, qui engendra Valéry, qui engendra Monsieur Teste (Borges).
Nous faisons partie du tissu inaliénable, nous sommes au monde.
Maubé nous dit que tout poème n'est poème que s'il laisse entendre la rumeur :
sous le poème il y a le langage, sous le langage il y a la langue, sous la langue le silence, sous le silence la rumeur, le bruit de fond géologique et biologique, la rumeur du sang et de la lave, des sucs et des marées, des sèves et des flux. »
C'est un livre émouvant, profond et souvent drôle, d'un humour un peu désabusé, avec une richesse de langue. Au détour du texte, on est surpris par le ton alerte, l’intelligence vivifiante.
Citons en un extrait :
C’est le Pied d’un mort. Il bouge pourtant il est vivant mais c’est le pied d’un mort. Mauve maigre poilu muet bavard d’un amical silence. Surgissant tranché net chair lancée dans le vide d’un pantalon de toile fine. Toile fine à carreaux. Bleus rouges et noirs. Avec des plis. Des renflements. Des tressaillements. Bourré tout cela. À craquer. Barbaque couilles et varices. Un cuir noir bien serré fait jaillir les collines du ventre nappées de laine verte. Et le regard vomi remonte. Jusqu’à la source. Jusqu’à la gorge. Jusqu’à la voix. Jusqu’au froid du premier baiser.
Ce petit livre rouge nous livre une sensibilité originale, le poète en soit grandement remercié.
Paul de Brancion
Pierre Maubé
Le dernier loup
Préface de Bruno Doucey
Éditions Bérénice
12 €