Difficile d'y résister, mais ...

Le data-mining: au delà de la fidélisation des joueurs...

Un logiciel de data mining consiste à cueillir des données sur le comportement des consommateurs afin de pouvoir prédire quel sera leur comportement dans quelques mois. Pouvoir faire une telle prédiction permet de déceler plus rapidement les éventuels gros clients de sorte qu’il est possible d’en prendre mieux soin (les fidéliser) tôt dans leur historique de consommation. Dans un contexte bien différent, l’idée d’utiliser ce type de logiciel pour aider, de manière précoce, les joueurs qui pourraient éprouver des problèmes de jeu dans quelques mois mérite d’être sérieusement prise en considération.

Ces logiciels sophistiqués sont très attrayants par les explications spectaculaires qu’en donnent les concepteurs. L’intelligence artificielle est un domaine passionnant. Par surcroît, il existe des exemples concrets où des résultats impressionnants ont été obtenus … mais pas dans le domaine de la prévention des dépendances psychologiques!

La technique informatique est au point. C’est cependant la modélisation des processus psychologiques impliqués dans le développement des problèmes de jeu qui soulève le plus grand défi. De plus, la protection des bases de données-clients n’est pas encore suffisamment garantie.

Le parcours typique d’un joueur pathologique consiste (1) à s’initier au jeu, (2) à vivre un épisode exceptionnellement gagnant, (3) à croire que cet épisode résulte d’observations ou d’agissements particuliers, (4) à réinvestir ce gain, et davantage, dans l’illusion qu’il serait possible de découvrir un truc pour reproduire ce gain régulièrement, (5) à perdre de l’argent qu’il ne pouvait pas perdre, (6) à ne pas avoir les moyens de récupérer l’argent perdu autrement qu’en tentant de se refaire au jeu, (7) à se ruiner au point de créer un événement catastrophique, (8) et, dans le meilleur des cas, à demander une aide professionnelle.

Quel événement veut-on prédire à l’aide d’un logiciel de data mining? Dans une perspective de prévention, il faudrait surtout chercher à intervenir entre les étapes 3 et 4 car c’est à ce moment que se développe la dépendance. Par la suite, entre les étapes 4 à 6, nous sommes dans une perspective de réduction des dommages. Jusqu’à quel point est-il éthique d’intervenir en réduction des dommages si la sortie du jeu pathologique dépend de l’étape 7? L’idée n’est certainement pas de permettre au joueur problématique de surnager continuellement à l’orée des pertes financières qui restent indétectables par la famille, les amis ou les collègues.

L’exemple le plus connu de ce type d’application est PlayScan. Son fonctionnement exact est un secret commercial. Toutefois, il semble clair qu’il est axé sur la prédiction de l’étape 5. Un logiciel similaire est GamTrack qui ne semble pas davantage axé sur l’étape 3.

PlayScan a été développé, en Suède, par le SpelInstitutet (modèle psychologique) et la compagnie ICU intelligence (programmation) à partir de la base de données-clients fournie par Svenska Spel (l’équivalent suédois de Loto-Québec). PlayScan n’a pas vraiment été testé autrement que par ses concepteurs ou promoteurs. Il n’y a pas d’évaluation indépendante.

Selon toute evidence, PlayScan a développé des règles d’interprétation en comparant les données comportementales à un test d’autoévaluation complété par les joueurs en ligne. Si les répondants ont mésinterprété les questions du test d’autoévaluation, le logiciel a sans doute beaucoup dérivé, erronément, du modèle cognitif proposé par le SpelInstitutet. C’est la caractéristique essentielle d’un logiciel d’intelligence artificielle d’être capable de modifier automatiquement son fonctionnement interne.

PlayScan pose un autre problème. Après que Svenska Spel ait acheté PlayScan, la compagnie ICU intelligence s’est fragmentée. Au début de PlayScan, ICU intelligence était un startup dans un incubateur industriel (voir page 30) en Suède. Les industriels conseillant les étudiants comprenaient notamment l’ancien CEO de Boss Media Peter Bertilsson, ainsi que Nils Langenius et Mats Lind.

Depuis, Peter bertilsson est devenu Managing Director de la compagne de jeu en ligne bwin (réseau Ongame). Via Layline AB et Yield AB, Langenius et Lind ont des intérêts dans les sites de poker en ligne 5050poker.com (réseau Microgaming) et stingbet.com (réseau Entraction). Nous ne connaissons pas l’étendue de l’utilisation de la base de données qui a été faite à ICU. Il existe cependant le risque que les exploitants des sites de l’offre illégale aient, dorénavant, des outils inégalés de data mining. La sécurisation des bases de données-clients des organismes publics ou parapublics est un aspect critique déterminant le bénéfice ou la dangerosité du data mining pour une population.

GamTrack ne résoud pas encore ce problème. Ce logiciel est commercialisé par la compagnie a2mlab qui vise l’ensemble du marché du data mining, notamment la retention des consommateurs. En l’occurrence, la participation de Mark Griffiths, dans cette compagnie à numéro britannique, ne semble pas restreinte au seul domaine de la prévention des problèmes de jeu.

Dans le projet initial d’EspaceJeux, Loto-Québec a mentionné prévoir l’installation d’un logiciel de data mining. Ce choix ne serait pas encore définitif. Une chose est certaine. Ce choix n’est pas qu’une décision commerciale. Il implique des aspects de sécurité sociosanitaire majeurs.