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Marine Le Pen : « Pour réaliser notre expansion politique, nous allons incarner un Etat protecteur »

Publié le 08 décembre 2010 par Cahier

Marine Le Pen : « Pour réaliser notre expansion politique, nous allons incarner un Etat protecteur »Alors que les grandes manœuvres présidentielles ont commencé dans les QG des partis, Délits d’Opinion lance un cycle d’interviews exclusives avec les probables candidats à l’élection présidentielle. A travers la nouvelle rubrique « En route vers 2012  »,  le site de référence sur l’opinion publique donnera chaque mois la parole à un candidat, suivi par l’interview d’un expert de la vie politique. L’objectif : permettre au lecteur de  décrypter les stratégies électorales de chaque parti. Pour ce premier round, Délits d’Opinion vous propose l’interview de Marine Le Pen. Au-delà des critiques formulées à l’encontre des sondages, la vice-présidente du Front National livre sa stratégie pour réaliser l’expansion politique qu’elle appelle de ses vœux. 


 

  

  

Marine Le Pen : Je tiens à préciser dès le début de cet entretien que le parti auquel j’appartiens possède des réserves considérables vis-à-vis des sondeurs et des instituts de sondages en général. Beaucoup de dirigeants d’instituts sont, à nos yeux, des sondeurs militants. Ce constat, nous l’avons fait après avoir eu de nombreux problèmes, avec M. Teinturier lors des dernières élections européennes ou plus récemment lors des élections régionales quand M. Perrineau a soutenu que  notre parti ne franchirait la barre des 10% dans aucune région. Ces erreurs de jugement ont, à chaque fois, été faites à la défaveur de notre parti. Nos électeurs sont peut-être plus difficiles à sonder. Mais la difficulté d’évaluer le potentiel électoral de notre parti devrait conduire à plus de précautions de la part de ceux qui, aujourd’hui, font preuve de militantisme dans leurs commentaires. 

  

Délits d’Opinion : En dépit de cette méfiance pour les sondages et ceux qui les réalisent, en commandez-vous et les utilisez-vous comme un indicateur de l’état de l’opinion ? 

Marine Le Pen : Vous devez savoir qu’il existe en France un accord secret entre les instituts d’études pour  refuser d’avoir le Front National comme client. Ce constat démontre le niveau de la démocratie dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Cet accord tacite est devenu très problématique surtout que les directeurs d’instituts reconnaissent eux-mêmes qu’il seraient prêts à faire exploser les prix pour nous décourager d’avoir recours à leurs services. 

Néanmoins, nous portons un intérêt vif aux sondages, comme tous les partis politiques. Ils sont un élément d’appréciation intéressant,  tant qu’ils sont en résonance avec notre instinct politique. Le FN a une grande chance d’avoir été exclu de ces outils. Nous avons pu ainsi  conserver cet instinct politique primaire qui consiste à constater par nous-mêmes, sur le terrain, les mouvements dans l’opinion. Ainsi, quand les sondages confortent ce que nous ressentons,  ils ne sont qu’un indicateur supplémentaire qui permet de conforter un diagnostic fait en amont. 

Lorsque nous observons des divergences, c’est toujours nous qui avons raison. Lors des dernières élections régionales il y avait manifestement une divergence majeure entre les sondages qui nous attribuaient entre 4% et 6% dans certaines régions et les retours dont les Français nous faisaient part. 

Enfin, si nous demeurons très prudents sur la question des sondages c’est parce qu’ils ne représentent  rien lorsqu’ils ne sont pas remis en perspective, en particulier au regard d’un historique. Les tendances selon les catégories socioprofessionnelles ou les catégories d’âge sont bien plus pertinentes. 

  

Délits d’Opinion : Dans un peu plus d’un mois se tiendra à Tours un congrès historique pour le FN. Ce congrès qui restera dans l’histoire du parti comme le jour où son fondateur a passé la main va-t-il signifier le début d’une nouvelle ère ? Un nouveau FN est-il à attendre si vous prenez la tête du parti comme semblent l’indiquer les sondages auprès des sympathisants FN ?  

 Marine Le Pen : Il faut tout d’abord rappeler que les comportements électoraux  des sympathisants et des adhérents du FN ne sont pas les mêmes. Et les leviers ne sont pas non plus les mêmes. Par conséquent, ce caractère ultra-majoritaire des sympathisants à mon égard ne sera pas représentatif des résultats probables du Congrès  de Tours où seuls les adhérents voteront. 

Pour répondre à votre question, j’ai toujours été convaincue  que l’obstacle majeur à la montée du FN avait été la diabolisation dont il a été victime. C’est pourquoi,  depuis 10 ans, j’ai traité cette diabolisation comme un point qu’il  fallait combattre. Cette notion n’était en réalité qu’un plafond de verre utilisé par nos adversaires politiques, et qui s’est révélé assez efficace. 

Evidemment, l’objectif est de profiter de  l’image qui est la mienne -  moins marquée que celle de mon père – pour  attirer  au Front National un électorat nouveau, mais aussi  un encadrement qui hier n’osait pas venir nous rejoindre en raison de cette diabolisation. L’objectif est bien de convaincre ces électeurs, hier hésitants, que le parti évolue. La recomposition du parti se fera  inévitablement mais à la différence de ce qui s’est produit en 1998 lors du départ de Bruno Mégret, le parti ne sera pas fragilisé. En effet, ces groupuscules qui maintiennent le doute au sujet de leur appartenance au FN feront le choix de quitter le grand parti populaire que je souhaite créer. Ainsi, ce Congrès sera celui de la clarification, une étape décisive en vue de 2012. 

  

Délits d’Opinion : Mais cette  « dédramatisation » du vote FN peut-elle se faire sans perdre la dimension contestataire qui caractérise le parti ? 

Marine Le Pen : Je  ne le pense pas. Notre parti reste un catalyseur de la contestation, et ce n’est pas parce que nous sommes dans l’opposition que nous n’avons pas à proposer un projet constructif. Je crois que rester uniquement avec une image de parti contestataire crée un effet de seuil au-delà duquel nous ne pourrons pas attirer davantage de soutiens. Nous sommes un parti hors-système, le principal  opposant à « l’UMPS », la situation est bien celle d’un Front National face à un front mondialiste. 

Notre identité de parti contestataire ne doit pas disparaître mais il est indispensable de dépasser cette image si nous voulons accéder au pouvoir. Afin d’être en mesure de séduire au-delà de nos terres et pour convaincre de nouvelles franges de l’électorat, nous devons avoir un projet politique qui soit visible et crédible. Si nous ne le faisons pas, nous limiterons notre expansion politique. 

  

Délits d’Opinion : La menace islamique et la crise économique sont deux piliers du discours FN mais ces deux thèmes ne se recoupent pas totalement. Dans le Nord-Pas-de-Calais, les commentateurs soulignaient que votre discours était plus axé sur la révolte contre l’injustice économique : ce sujet sera t-il votre cheval de bataille pour 2012 ? 

Marine Le Pen : La question économique sera bien un cheval de bataille pour 2012. Aujourd’hui,  le nom Le Pen incarne une politique : la défense de la nation, la lutte contre l’immigration, le combat contre l’insécurité. Un des objectifs que je poursuis est que le prénom Marine  incarne  l’aspect économique et social du programme du Front National. Ce second pilier serait une plus-value considérable au capital existant. L’objectif est d’aboutir à une candidature cohérente qui incarnerait à la fois la lutte contre l’immigration, l’insécurité et l’islamisme et d’autre part l’injustice sociale, le choix du patriotisme économique et de la lutte contre le mondialisme. 

Et si j’arrive à faire cela, le programme qui paraissait à certains déséquilibré, car trop limité sur les questions économiques, trouvera une vraie cohérence. En effet, les prises de positions fortes sur l’immigration et l’insécurité ont braqué toute la lumière sur ce pan de notre programme. Il faut aujourd’hui rappeler que notre parti  possède une véritable réflexion sur les questions économiques et sociales. 

Il s’agit pour moi de poursuivre un processus engagé depuis 10 ans, pour donner une visibilité au volet économique et social de notre programme. Le FN appelle de ses vœux un Etat fort, garant de la lutte contre les inégalités sociales et protecteur des talents économiques nationaux. Ce travail semble enfin porter ses fruits alors que la campagne est sur le point de débuter. 

  

Délits d’Opinion : Pour accéder au pouvoir il faut d’abord dépasser l’obstacle du premier tour. Quelles franges de la population vous permettraient de rééditer un nouveau 21 avril ? 

Marine Le Pen : Si on raisonne en termes de catégories socioprofessionnelles je citerai les fonctionnaires. En effet, notre programme économique vise à renforcer le rôle de l’Etat pour qu’il soit enfin protecteur, stratège et qu’il puisse lutter contre ce sentiment de culpabilisation qui voudrait faire croire aux Français qu’il y a trop de fonctionnaires et trop de « social ». 

La rhétorique selon laquelle l’endettement abyssal de la France est la conséquence d’un nombre trop important de fonctionnaires est aujourd’hui dépassée. Selon nous, l’endettement est principalement dû à la loi de 1973 (NDLR : Loi sur le financement de la dette). Ce type de discours est, selon nous, en mesure d’impacter certaines catégories de la population qui jusqu’ici ne se sentaient pas concernées par notre programme. 

Par ailleurs,  les personnes âgées constituent également un réservoir de voix pour notre parti. Le fort déficit que nous mesurons parmi cette frange de la population devrait pouvoir évoluer en notre faveur à mesure que notre discours sur la survie du système de protection sociale se fera entendre. 

Il faut noter, et c’est ici un élément capital en vue de 2012, que nous observons l’arrivée de sympathisants de gauche. Alors que pendant des années le FN n’a su séduire que les « gaucho-lepénistes », désormais on observe que des personnes se déclarant de gauche et parfois proche du PS décident de nous rejoindre. 

Au final, ce discours économique et social va agir sur un certain nombre de groupes électoraux, aujourd’hui indispensables si nous voulons rééditer la performance du 21  avril 2002. 

Ce mouvement doit également s’accompagner du retour des catégories socioprofessionnelles supérieures que nous avions un peu perdues de vue dans les années 90.  La question du « détail » les a beaucoup heurtées. Je pense qu’elles ont  aussi été beaucoup refroidies par le second tour de 2002. Or,  on a constaté un retour de ces électeurs. On l’a revérifié sur le terrain. Cela faisait 20 ans qu’à Paris on faisait le meilleur score dans le 19ème et le 20ème arrondissement de Paris, il faut retourner au milieu des années 80 pour retrouver le meilleur score dans le 16ème. Or à nouveau aux régionales de 2010,  nous avons réalisé notre meilleur score dans le 16ème. Ces catégories se tournent vers nous parce qu’elles sont en voie de déclassement. 

Enfin, il est bon de rappeler que notre accession au 2nd tour en 2012 dépendra également du seuil d’accession et donc du niveau d’éclatement des forces de droite. En effet, s’il se situe à  23%/24, cela sera plus complexe que s’il est de 17%/18% comme en 2002. 

  

Délits d’Opinion : L’émergence de Jean-Luc Mélenchon est-elle à une menace pour le FN ? 

Marine Le Pen : Très honnêtement je ne le crois pas pour une raison très simple. Mélenchon possède une faiblesse majeure lorsqu’il s’adresse à notre électorat : son positionnement  pro-immigrés. 

Ce choix rend donc son programme totalement incohérent. Si, comme je le dis et je le pense, l’immigration est utilisée comme une variable d’ajustement économique pour peser à la baisse sur les salaires, l’électorat traditionnel du Front de Gauche  ne pourra pas comprendre que le porte-parole du parti continue à plaider pour une augmentation continue de l’immigration. 

  

Délits d’Opinion : Un sondage de l’institut Ipsos (avril 2010) indiquait que les sympathisants du FN sont 85% (contre 28% des Français) à souhaiter votre intégration au gouvernement. Comment analysez-vous ces résultats ? 

Marine Le Pen : L’analyse que je fais de ce chiffre est différente de celles que les médias ont pu faire. En réalité, ce 85% ne signifient pas que les électeurs du Front National souhaitent que nous entrions dans ce gouvernement qu’ils combattent  et dont ils se sont détournés. Ce soutien massif exprime un profond  désir de reconnaissance de notre famille politique.  Nos électeurs trouvent injuste de traiter le  FN de paria, et de laisser ce parti en dehors de la vie politique normale. 

Ce résultat exprime enfin un besoin profond de considération. De la même façon, les électeurs du parti majoritaire, qui réclament une alliance avec le FN, lancent un signal à leurs élites politiques afin de ne plus déconsidérer notre parti et ses électeurs. 

  

Délits d’Opinion : Depuis cet été (discours de Grenoble, séquence sur l’identité nationale),  Nicolas Sarkozy assume plus que jamais sa volonté de braconner sur vos terres. Comment le FN veut-il éviter que le siphonage de 2007 ne se reproduise en 2012 ? 

Marine Le Pen : Cette séquence politique a clairement  fait remonter le Front National car elle a remis au centre du jeu politique des thématiques sur lesquelles notre parti possède une vraie légitimité.  Cette position est désormais intenable pour lui. Le décalage entre les paroles et les actes ne lui permet plus de mener la politique qu’il annonce. En effet,  il est engagé dans un processus idéologique mondialiste qui lui interdit de mettre en œuvre des actes politiques qui seraient  l’expression de sa parole. Il ne peut pas aller contre la logique de Schengen, contre l’Europe en optant pour le protectionnisme. 

Lorsque le président a signifié l’existence d’un lien entre l’insécurité et l’immigration il a récupéré un discours que nous portons depuis plus de 30 ans et qui nous a valu d’être mis au ban de la vie politique française. 

En procédant de la sorte  il a libéré la parole et a contribué à décomplexer une partie de l’électorat de droite  sur des sujets comme l’immigration. La  porosité de notre électorat par rapport au sien en 2007 lui a bénéficié mais cette tendance pourrait s’inverser demain. Et c’est ce qui inquiète Nicolas Sarkozy. Non pas tant de conserver les électeurs du FN qui ont voté pour lui en 2007,  que d’empêcher ses propres électeurs  de partir vers une candidature Marine le Pen, beaucoup moins sulfureuse que celle de son père. 

Dans cette optique,  les conseils de Patrick Buisson ont fait long feu. Le Président sait que cela ne fonctionne plus. Quand il gagne un point sur le FN, il en perd quatre au centre. 

Enfin, cela intervient à un moment où la direction du Front National changeant, l’image du FN est aussi en train d’évoluer aux yeux des électeurs de droite. Il y a une bascule assez importante. Ces modifications  pourraient se renforcer avec mon arrivée à la tête du FN en janvier prochain d’autant que cette campagne interne, m’ayant  vu être violemment agressée par l’extrême droite traditionnelle,  groupusculaire et caricaturale, a clairement permis de faire le distinguo entre ces extrémistes et le grand parti populaire que je souhaite incarner et représenter en 2012. 

  

  

Propos recueillis pas Raphael Leclerc et Matthieu Chaigne 


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