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De glaciers en légendes (suite)

Publié le 08 décembre 2010 par Lorraine De Coeur

Je terminais l’article (http://www.lorrainedecoeur.com/?p=9432 ) portant le même titre par ceci :
« Il y a bien d’autres lieux, d’autres légendes … Ce sera peut-être une autre fois que je vous emmènerai sous les frondaisons épaisses, près des torrents mugissants, dans la bruyère et les fougères … Et les légendes qui accompagnent tous ces endroits sublimes. »
Nous voici donc revenus sur les sentiers le long de la Vologne. Nous nous étions arrêtés au Saut-des-Cuves. Pour le géographe et le géologue, on est en présence d’une rupture de pente due à la capture de la rivière primitive (qui, avant cela, continuait vers le lac de Gérardmer) par une rivière qui finit par constituer la diffluence telle qu’on peut l’observer aujourd’hui.

Pour le peintre ou le photographe, les jeux de volumes, de lumière sont « pittoresques », au sens plein du terme. Roches moutonnées ici, erratiques là (comme la fameuse « roche Charlemagne », juste à côté de la route qui descend vers Gérardmer et qui porte encore la trace du sabot du cheval de l’empereur, impatient, dit-on, de reprendre la chasse …), cassures verticales et vertigineuses … sans compter sur le bruit assourdissant de la chute d’eau : tout est là pour créer une atmosphère très particulière. Si particulière qu’elle a fait l’objet d’une légende, celle des « Dames vertes ».
Un homme, attardé pour avoir rencontré sans doute une « aimizotte » (amusette), rentre chez lui en passant par la nouvelle route, celle qui emprunte le pont au-dessus du Saut-des-Cuves. Là, il est pris par la main par les Dames vertes, jeunes, riantes, vêtues … de vert, d’un vert diaphane et mouvant comme le vent, fées qu’il ne fait pas bon croiser sur son chemin, surtout aux alentours de la mi-nuit ! Saisi ensuite par les cheveux, il est emporté au-dessus de la cascade. Les folâtres se jouent de lui comme d’un yoyo et rient de chaque facétie qu’elles font subir à notre homme, éperdu d’angoisse et hurlant sa peur à des échos forestiers muets. Enfin, las de leurs jeux, les Dames vertes reposent l’homme là où elles l’avaient trouvé et disparaissent dans un grand éclat de rire. L’histoire se termine par la constatation que notre homme ne s’est plus jamais « ennuité », même les soirs de la Sem’btrémeye (la fête patronale de Gérardmer en l’honneur de saint Barthélemy).

Une des fées vertes ?

Une des fées vertes ?

L’ouvrage Légendes et fiauves du pays de lacs mentionne bien la légende, mais ne dit que peu de choses quant à sa signification. Un parallèle est fait avec d’autres « dames », blanches celles-là, qui sont visibles les jours où les brouillards traînent au fond des vallées …

Je me suis attardé sur ces « fées vertes » en me demandant à quelle réalité leurs aventures pouvaient bien appartenir. Ce n’est qu’une hypothèse, que je livre à la critique des lecteurs de ce blog. Il existait dans les Vosges, mais ailleurs aussi, des marchands-fabricants qui livraient la matière première (fils de diverses origines, lin, chanvre …) à des familles de paysans qui tissaient à domicile et se procuraient ainsi un revenu d’appoint. Terminées, les pièces de tissus étaient descendues à dos d’homme jusqu’à l’atelier de l’industriel. Pour prix du labeur familial, le paysan recevait une paie modeste qu’il allait boire, au moins en partie, au café le plus proche de l’atelier. Mon arrière-grand-père, côté maternel, était un de ces paysans-ouvriers à domicile. Il vivait en haut de la Haie Griselle. Le café Chevroton, à Gérardmer, était réputé pour son accueil et sa proximité avec les établissements du marchand-fabricant. Il est arrivé à cet ancêtre de s’offrir une « bleue » ou, comme on disait plus fréquemment, une « fée verte », autrement dit, une absinthe. Ce breuvage étant moins cher qu’un verre de vin, on pouvait donc en boire davantage ! L’homme de la légende a-t-il abusé de la fée verte ? Tout laisse à penser que oui. La durée de son retour vers sa maison à Martimprey, la fraîcheur de la nuit ont sans doute contribué à ce que les effets de l’alcool s’estompent. Dégrisement. Sevrage momentané qui a sans doute eu pour effet qu’il soit pris d’un delirium tremens propre à cette situation. Les signes cliniques sont présents. La légende les détaille : l’homme tremble, il est pris d’un délire hallucinatoire, il manifeste un syndrome confuso-onirique associant une désorientation spatio-temporelle, une obnubilation … associés à des thèmes sexuels entre autres (Wikipedia). L’homme reconnait chaque élément de son environnement, de manière exacerbée, et cela malgré l’énorme peur qu’il ressent … Banal fin d’une bonne cuite, en somme.

Féerie ...

Féerie ...

Ne nous attardons pas dans ces parages et redescendons vers le Pont des Fées, pourquoi pas en longeant la Roche Charlemagne. Traversons ce pont et prenons l’ancien chemin de Gerbépal qui prend au ras de Rocher de saint Colomban (voir article précédent).

Moins de vingt minutes de montée nous permettent d’atteindre le hameau de Vologne, réputé par sa ferme qui donne un excellent fromage fermier. Ce hameau est une sorte de plaque-tournante pour les randonneurs. Mains chemins permettent de gagner Kichompré par la basse de l’Ours, ou bien la Gorge des Roitelets, ou encore, plus loin, la Chaume de Nayemont … Empruntons celui qui mène au col de Martimpré, tout près de la maison forestière. Le col est à 798 mètres d’altitude. Le lieu est remarquable par ses deux étangs et sa tourbière. Mais aussi par sa chapelle sainte Anne (1606).

C’est à Martimpré que se situe l’histoire relatée par la chronique gérômoise (in Contes de la vallée des Lacs, par Léon Fresse) : «Vers la fin du XVIII° siècle, le comte de Martimprey condamnait un jeune homme à la pendaison. Celui-ci pourrait toutefois obtenir sa grâce en épousant une jeune fille de Gérardmer. Devant le gibet, notre héros vit défiler de nombreuses demoiselles. Celles-ci passées, il se tourna vers le bourreau et lui dit : ‘’Reboutte-mé haut, elles sont trop peutes !’’ ».

Il faut dire que Bricolet, le surnom de ce jeune homme, « spécialiste de toutes les spécialités » pouvait n’avoir qu’un œil très critique à l’égard de ces Gérômoises-là. Les plus belles, dit-on, étaient occupées ailleurs, celles qui défilèrent le firent dans le costume « affriolant » des congréganistes et Bricolet était amoureux de la plus belle de toutes les filles, celle du régisseur du château à qui il avait offert un bouquet, répondant à son invite : « Quand ce sera ma fête, vous pourrez cueillir des boutons d’or et des marguerites. Si vous les déposez sur ma fenêtre, je saurai, le lendemain matin, qui me les a donnés ». Sûr alors que toutes les autres filles ne pouvaient être que « trop vilaines » !

D’autres lieux sont l’objet d’une légende voisine. Colombey-les-Belles en est une. On évoque aussi, de l’autre côté de la montagne, le cas de Floxheim-les-Belles qui fut longtemps Floxheim-les-Laides (in Georges Chepfer : Histoires lorraines et alsaciennes).

Que l’on se rassure, Bricolet ne fut pas pendu, du moins dans l’une des versions de l’histoire. Et c’est la tête pleine de ces événements qu’il nous faut prendre le chemin pentu qui mène en vingt minutes à la Roche des Bruyères. Celle-ci appartient à l’ensemble du massif de la Béheuille. C’est un balcon qui domine Gérardmer et permet de comprendre la circulation des glaciers et des eaux. Le lac de Gérardmer est barré par une moraine (celle où se trouve le Lido). Au-delà, c’est la vallée de la Cleurie. En contrebas vers la droite de notre observatoire, la vallée de la Vologne passant à Kichompré. Gérardmer s’étale à nos pieds entourée de lieux porteurs eux aussi de légendes : Mérelle, la chapelle de la Trinité, le Culcoinin. Mais aussi les pistes de ski de la Mauselaine … à main gauche, l’amorce de la vallée de Xonrupt-Longemer et des légendes, encore et encore : celle de la jonquille, fleur fétiche ici ; celle du lac de Longemer, celle du brochet de Charlemagne, du charbonnier du Hohneck … Et j’en passe.

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Et je n’omets pas d’avoir une pensée pour tous les lieux de pèlerinage où s’exprime la piété populaire. Ah, une dernière chose : les mauvaises langues prétendent qu’il y a davantage de brimbelliers que de bruyères à la Roche des Bruyères. Ce ne sont que des « on-dit » ! Géologiquement, c’est une roche polie par les glaciers, entourée de blocs plus ou moins éclatés par l’action alternée du gel et du dégel.

À l’heure de redescendre vers le Saut-des-Cuves, il faut emprunter le petit sentier qui dévale à droite du chemin forestier menant à la Fontaine Gilet et que nous laissons. La pente est forte et il convient de se tenir sur ses gardes : une glissade inopinée peut bien se produire. Dommage, car elle priverait le marcheur de la vue des grands conifères qui sont ici les rois, avec, de-ci, de-là, quelques feuillus souvent rabougris. Il n’y a pas que les tapis d’aiguilles de sapin qui sont propices à la glissade. Le sentier est, par endroit, recouvert d’arène où étincelle le mica. La roche grenue s’effrite manifestement et il est vain de vouloir s’y accrocher. Aux roches en place succèdent des blocs détachés de ces « môles », offrant une variété de situations, que l’eau indisciplinée vient rafraîchir … Le sentier serpente, au vrai sens du terme : que de virages, contre-virages pour diminuer la pente ! Au fur et à mesure de la progression, nous nous rapprochons de la Départementale 8 où circulent force camions et voitures de tourisme. Ouf ! Enfin arrivés. Le rond-point ne porte plus la trace de l’hôtel qui fut construit jadis contre la montagne. Un hôtel qui paraissait comme plaqué au talus mais qui, en réalité, pouvait recevoir, perpendiculairement à sa façade, un autobus dans son parking.

Les vieux écrits mentionnent qu’il est possible que la vigne fût cultivée ici. Quelle piquette pouvait bien être produite dans cette région ? De quoi lui préférer une bonne « fée verte ». Pour ce qui concerne le groupe de marcheurs qui ont circulé sur l’itinéraire que nous avons suivi, le choix s’est porté sur le restaurant La Gérômoise, près du lac. C’est une brasserie artisanale dont la bière, bue avec modération, cela s’entend, a fait « passer » toutes les émotions du périple. Toutes ?

Nous n’avons pas été sans oublier que dans ces vallées sévit le dahu, que les géants qui nous ont précédés sont toujours présents, ainsi que les nains qui sont venus après. Ceci bien avant que les hommes ne fassent leur apparition dans ces contrées. Vous qui lisez ces lignes, avez-vous remarqué le petit dessin qui accompagne mes écrits ? Oui, ce sont bien deux de ces dahus. Hélas pour eux, l’un est dextrogyre et l’autre sinistrogyre. Rencontre impossible sur le flanc des montagnes qu’ils hantent ! Pourtant, grâce au blog de Lorraine de Cœur, nous avons pu nous rencontrer. Que la vie est belle !


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