La France, le réchauffement et le nucléaire

Publié le 06 décembre 2010 par Unmondelibre

Emmanuel Martin – Le 6 décembre 2010. Alors qu’une bonne partie de l’Europe a été paralysée par le froid ces derniers jours, se déroule à Cancun le sommet sur le réchauffement climatique. Parallèlement, en Inde, M. Sarkozy a « vendu » ce weekend deux centrales nucléaires françaises – au moins. On peut bien sûr sourire de l’ironie de la météo, mais c’est plutôt le lien entre le thème du réchauffement climatique et de l’énergie nucléaire qui est important ici. Le réchauffement climatique, dont l’origine anthropique ne réunit pas une totale unanimité chez les scientifiques, n’a-t-il pu être instrumentalisé par le politique en 2009 à des fins géostratégiques ?

Lors d’un débat télévisé en décembre 2009, le Professeur Vincent Courtillot, sceptique des thèse officielles, s’est vu littéralement attaqué par le ministre de l’environnement de l’époque Jean-Louis Borloo, et accessoirement traité de « négationniste » commettant un « crime contre l’humanité » par Elisabeth Buckler du WWF. Arguant du principe de précaution (dans lequel il inversait cependant les priorités entre problèmes écologiques certains et non certains !), M. Borloo ne supportait pas que l’on puisse contester la position officielle du GIEC.

Lors d’un autre débat télévisé en décembre 2009 face à Bernard Deflesselles, en charge du rapport d’information sur le réchauffement climatique (qui présente en 2008 la courbe, discréditée, en forme, terrifiante, de crosse de hockey en expliquant seulement en note n°2 qu'une version plus récente est disponible) et rapport de l’Assemblée à Copenhague, le même traitement m’a été réservé : évoquer le fait qu’il faille laisser opérer le processus critique de la science devant un problème aussi complexe, plutôt que d’y mettre arbitrairement un terme, m’a valu d’être taxé d’ayatollah. J’ai cependant pu m’entendre dire, en « off », que le problème n’était pas que celui du climat, mais aussi de la géostratégie de l’énergie. Nous y voilà.

Revenons ici à une interview de M. Sarkozy lors d’un pré-sommet avant Copenhague en 2009. Il a pu déclarer que « le monde va à sa perte si nous continuons à émettre du carbone qui crée un trou dans la couche d’ozone ». Pourtant M. Sarkozy n’est pas n’importe qui en la matière : il émettait à l’époque beaucoup de carbone en voyageant autour du globe pour convaincre ses pairs de la nécessité d’un accord à Copenhague. Il avait deux ans auparavant tenu le Grenelle de l’environnement avec, entre autres, Al Gore. On s’attendait de la part du Président français à une maîtrise plus professionnelle du dossier. A moins que justement ce dossier ne l’intéresse pas, au fond. Ou pas pour la raison qu’il invoque.

Quelle pourrait être l’autre raison ? Il est difficile de pas penser à la géostratégie de l’énergie.

Notons déjà que lors du Grenelle de l’environnement la Société Française d’Énergie Nucléaire critiquait le manque de stratégie de l’énergie nucléaire – « propre » - dans la lutte contre le réchauffement. La Société fait la promotion des émissions de carbone évitées grâce au nucléaire et ne mâche pas ses mots à l’égard de l’Allemagne, alors sceptique quant à ce genre de solution. Notons qu’en 2008 c’est d’ailleurs le lancement de l’Agence France Nucléaire International que le Premier ministre François Fillon, dans un discours à la centrale du Tricastin en 2009 (quelques mois après un incident majeur), place au cœur d’une « stratégie offensive » de la France sur les marchés internationaux : le nucléaire français, Areva en tête, serait le nœud d’une « nouvelle croissance ». L’Union Pour la Méditerranée de M. Sarkozy mettait aussi l’accent sur la coopération nucléaire.

Au delà de l’aspect purement commercial, il faut rappeler qu’une centrale signifie quarante années de coopération en moyenne, durant lesquelles un pays est dépendant des approvisionnement mais aussi des compétences des équipes françaises. Cette relation de dépendance assied un pouvoir géostratégique.

L’Europe en sait quelque chose : elle est fortement dépendante de la Russie pour l’énergie. Mais elle est aussi divisée par la même Russie sur la question de l’énergie. L’Allemagne traditionnellement anti-nucléaire, productrice de CO2 de par son industrie et ses cylindrées gourmandes, est aussi proche de l’ours russe. Gerhard Schröder avait d’ailleurs accepté de diriger le projet russe Northstream, « concurrent de Nabucco », c’est un signe. Si Romano Prodi avait refusé pour le Southstream, on sait que Berlusconi et Poutine sont proches, et que le gaz russe joue un grand rôle dans cette « amitié ». La France avait-elle un « plan » pour tirer la couverture européenne vers elle en matière d’énergie ? La résolution du parlement européen votée en novembre sur le paquet énergie climat, votée aussi par une partie des écologistes, reconnait en tous les cas le rôle du nucléaire dans la lutte contre les émissions de CO2.

Il est aussi important de noter que la France a sécurisé ses approvisionnements d'uranium en amont. Elle a soutenu officieusement les victoires de Sassou N’Guesso au Congo Brazzaville et d’Ali Bongo au Gabon l’été 2009, et s’est tenue silencieuse après le coup d’État constitutionnel de Tandja au Niger (après la signature par Areva d’un contrat sur la mine gante d’Imouraren). Connaissant la longue tradition de la « Françafrique », il est difficile d’y voir une coïncidence. D’autant que la France a perdu du terrain en Afrique, avec la montée de la Chine et le retour des USA sur le « pré carré » français : il s’agit de proposer une autre stratégie « gagnant-gagnant » pour contrer celle des chinois.

Le sommet de Nice « Afrique-France » de mai-juin 2010 n’en a-t-il pas été l’occasion ? En effet, les mécanismes de compensation carbone discutés lors de Copenhague on été aussi mis sur la table à ce sommet. Une compensation dont les mécanismes paraissent assez peu clairs en vérité, ne voilà-t-il pas une belle occasion de recycler les vieux mécanismes de l’aide, qui ont permis de corrompre allègrement le continent noir depuis une demi-siècle d’indépendances très relatives ? (et de continuer à en empêcher le développement). Il n’est pas illogique de le penser : par ce nouveau mécanisme de dépendance, la France peut indirectement se réapproprier son pré carré.

On voit donc qu’il est fort possible que le réchauffement climatique ait été instrumentalisé en France pour faire d’une pierre deux coups ... géostratégiques.

Emmanuel Martin est analyste sur UnMondeLibre.org.