Isaac de Moucheron (Amsterdam, 1667-1744),
Bâtiments, statues et bassin dans un parc, sans date.
Huile sur toile, 130 x 160 cm, Amsterdam, Rijksmuseum.
On ne répétera jamais assez quel pôle d’excellence musicale fut l’Allemagne du Nord dès le milieu du XVIe siècle. Dynamisées par des échanges commerciaux florissants, les cités de la Hanse se transformèrent en creusets où des influences venues de toutes parts, des proches Pays-Bas comme de la plus lointaine Italie, se mêlaient à la tradition germanique. C’est à Hambourg, à la fin du XVIIe siècle, que nous conduit le disque, publié par Accent, que consacre aujourd’hui l’ensemble Stylus Phantasticus à quatre des partitas de l’Hortus Musicus de Johann Adam Reincken.
La postérité n’a pas été très tendre pour ce compositeur, que le jeune Johann Sebastian Bach choisit pourtant pour un de ses
modèles, n’hésitant pas à adapter pour clavier des fragments de l’Hortus Musicus, mais dont la réputation fut considérablement ternie, sur la foi de ce qu’il faut bien appeler des
ragots, par Johann Mattheson (1681-1764), musicien mais surtout critique et musicographe aussi redoutable que redouté en son temps. On a longtemps pensé, sur la foi des ses écrits, que Johann
Adam Reincken était mort presque centenaire en 1722, alors que les recherches récentes laissent à penser qu’il est né non en 1623, mais en 1643, à Deventer, aux Pays-Bas. Après une première
formation dans sa ville natale entre 1650 et 1654, on l’envoie étudier à Hambourg auprès d’Heinrich Scheidemann (c.1595-1663), un des fondateurs de la fertile école d’orgue d’Allemagne du Nord,
lui-même élève de Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621).
Les six partitas qui composent ce recueil sont toutes construites de manière identique, une Sonata introductive suivie de quatre mouvements de danse, unifiés par des éléments structurels communs, dont la succession est invariablement Allemande, Courante, Sarabande et Gigue finale. La musique offre un mélange très séduisant entre deux manières, l’une nordique, avec l’omniprésence de fugues strictement construites qui apportent aux œuvres une armature extrêmement solide, l’autre plus méridionale – la musique italienne était bien connue des compositeurs allemands du XVIIe siècle – qui se fait jour au travers de la souplesse et du caractère chantant des sections où violon et viole de gambe s’expriment en solistes. Le sentiment global que l’on retire en flânant dans ce Jardin musical est celui d’allées dont l’ordonnancement classique, au sens que l’on donne à ce mot pour définir l’art qui fleurissait en France à la même époque, ne laisse rien au hasard, mais dont la beauté et les surprises naissent justement de cette volonté de tenue parfaite. Une organisation rationnelle au service de l’émotion, une leçon que Bach se gardera bien d’oublier.
Je vous conseille chaleureusement ce magnifique disque qui donne à entendre une musique dont les enjeux ont été parfaitement compris et qui est restituée avec un indiscutable talent. Stylus Phantasticus, dont le parcours est jusqu’ici un sans faute, prépare un autre volume consacré à l’Hortus Musicus de Reincken, annoncé pour 2011 ou 2012, preuve supplémentaire que ces musiciens prennent tout le temps nécessaire pour mûrir leurs projets. Est-il besoin de préciser que ce second volet est maintenant espéré avec impatience ?
Stylus Phantasticus
Pablo Valetti & David Plantier, violons. Eduardo Egüez, archiluth. Dirk Börner, clavecin & orgue positif.
Friederike Heumann, viole de gambe & direction
1 CD [durée totale : 59’45”] Accent ACC 24217. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Partita I en la mineur : Sonata
Adagio – Allegro – Largo – Presto – Adagio – Allegro
2. Partita II en si bémol majeur : Allemand Allegro
3. Partita IV en ré mineur : Saraband
4. Partita I en la mineur : Gique Presto Allegro
Illustrations complémentaires :
Johannes (Jan) Voorhout (Uithoorn, 1647-Amsterdam, 1723), Réunion musicale dans un intérieur (détail), 1674. Huile sur panneau, 125 x 190 cm, Hambourg, Musée historique (au clavecin, Johann Adam Reincken, à la viole de gambe, Dietrich Buxtehude).
Frontispice de l’Hortus Musicus, Hambourg, 1688. Berlin, Staatsbibliothek.