Comme à l’habitude, la collection « Petite philosophie des grandes idées » permet au non-spécialiste, avec simplicité, concision, mais aussi rigueur intellectuelle, de trouver des repères sur les questions les plus ardues. Le présent volume s’inscrit parfaitement dans cette voie. L’exercice impose naturellement quelques contraintes ; ainsi, on pourra trouver que cet essai fait globalement l’impasse sur les religions asiatiques pour se concentrer sur la notion de monothéisme – et le Christianisme en particulier. La présentation de Platon et du polythéisme grec se comprend ainsi, comme une introduction à l’idéal ascétique et au respect des rites, en tant que facteurs de cohésion sociale, que le Christianisme recyclera à son profit.
On en prend conscience en lisant le second chapitre, qui traite d’Augustin d’Hippone, « l’inventeur du péché originel », comme on le nomme parfois, un « péché »auquel ni le Judaïsme ni l’Islam n’accordent une grande importance, mais qui se révèle utile chez Augustin pour placer la culpabilité, la haine du corps et le mépris de la femme au centre de son système. On regrettera que l’auteur ne fasse que survoler la controverse qui opposa Augustin à Julien d’Eclane car celle-ci aurait, si Julien l’avait emporté, bouleversé la position de l’Eglise en matière de sexualité ; on pourra toutefois considérer qu’il s’agit là d’une invitation à approfondir par des recherches personnelles cette question passionnante. Pascal, avec son argument du pari, fait l’objet d’intéressants développements, mais le lecteur trouvera, enfin et surtout, chez Spinoza une liberté de pensée, un sens critique qui introduisent déjà l’esprit des Lumières et se présentent comme une bouffée d’air frais face à l’étouffement des superstitions, des règles et des dogmes qui n’ont d’autre but, selon ses mots, que de « mutiler la vie ».
Si Montaigne et Voltaire restent les deux grands absents de cet essai, Rousseau y tient sa part et, naturellement, l’austère Emmanuel Kant pour lequel la vertu doit l’emporter sur le bonheur et, d’une certaine manière, la morale (cette morale de principe, rigide, dont Benjamin Constant a démontré les limites) sur les églises, vues en tant que pures créations humaines.
Carine Morand poursuit son exploration avec Kierkegaard, puis une présentation tout à fait intéressante de Nietzsche, ce philosophe qui rompit avec l’opposition platonicienne du monde apparent et du monde vrai, qui s’intéressa moins à un au-delà hypothétique qu’à un en-deçà bien réel et qui mit en lumière que « finalement, ce que la religion demande aux hommes, c’est avant tout de se tenir tranquilles. » On prend conscience de l’actualité brûlante de la pensée nietzschéenne, moins lorsqu’il proclame que « Dieu est mort » que lorsqu’il affirme que « les convictions sont des prisons » ou que les fanatiques du bien sont dangereux…Et l’on pense ici à Philippe Muray et son essai salutaire où l’humour rivalise avec la férocité, L’Empire du Bien.
Le dernier chapitre, qui aborde la réflexion de Régis Debray, justifierait à lui seul la lecture de ce livre.Son approche d’une recherche humaine de cohésion nécessitant une « grande fiction fédératrice » se révèle lumineuse, de même que l’ambivalence qu’il soulève lorsqu’il note, évoquant la religion, « l’appartenance confessionnelle cimente un groupe humain comme ne le fait pas la science, et le sépare de son voisin mieux qu’un conflit d’intérêt. »
Dans un monde où le fait religieux, loin de disparaître, se rigidifie, dans une France où la laïcité, que l’on croyait une valeur acquise, s’érode sous la pression des intégrismes, des revendications communautaristes et du concept bien-pensant de « laïcité positive », la lecture de cet essai offre des points de repère utiles. L’ouvrage laisse ensuite à chacun le choix : les uns en trouveront leurs convictions renforcées, les autres penseront peut-être, selon le joli mot de Heinrich Heine: « Le ciel, nous le laissons aux anges et aux oiseaux. »
Illustration : Sergueï Eisenstein, scène d’Alexandre Nevski, 1938.