En 2005, le yuan ou renminbi, la monnaie chinoise, cessa d’être exclusivement ancré au dollar pour l’être dorénavant à un panier de devises où le dollar américain continue cependant de dominer massivement. Depuis juillet 2008, le cours du yuan a fréquemment fluctué autour du cours de 6,83 yuans pour un dollar. Cet ancrage permet une grande stabilité dans les opérations commerciales entre la Chine et les États-Unis. L’expansion chinoise est accusée d’être obtenue grâce à des pratiques commerciales déloyales : dumping et manipulation du taux de change, mais aussi contrefaçon, travail des enfants, normes environnementales peu contraignantes… Le tout entraînerait des pressions déflationnistes au niveau mondial (on entend souvent : « les petites fourmis asiatiques nous volent nos emplois »). Quels seraient les enjeux d’une soudaine appréciation du taux de change du yan ?
Si la Chine obéit, les Etats-Unis pensent pouvoir relancer leur exportations, augmenter leur production, faire baisser le chômage et ainsi prouver aux sans emplois que tout ceci n’est que la cause de l’impérialisme chinois. En demandant la révision du taux de change les Américains négligent l’importance de la stabilité de la monnaie dans un pays. Les pays occidentaux sont persuadés qu’une réévaluation du Yuan permettrait à leurs consommateurs d’avoir plus de pouvoir d’achat, moins de risque d’inflation et de bulles d’actifs, de plus cela réduirait potentiellement les inégalités de balance commerciale qui ont entraîné un malaise social. Dans le cadre du ralentissement économique aux Etats unis la relance économique n’a servi qu’à leur fournisseur, ils doivent donc faire face a une fuite de capitaux à l’étranger. L’augmentation de masse monétaire à l’heure de la mondialisation n’a plus d’impact sur l’économie intérieure d’un pays. Toutefois, même si elle paraît justifiée, une réévaluation du yuan n'apporterait pas grand chose à l'économie américaine. Le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine s'explique avant tout par les écarts énormes de coûts salariaux entre les deux pays. L’Amérique souffre d’une désindustrialisation et d’un important endettement. Il faudrait une réévaluation massive de la monnaie chinoise pour espérer rectifier le tir. Or celle-ci déstabiliserait les marchés.
L’action de la Chine
En effet, pour maintenir le yuan à sa parité actuelle, les autorités chinoises achètent en masse des bons du Trésor américains. Si ces achats prenaient fin, les taux d'intérêt à long terme grimperaient aux Etats-Unis et le dollar pourrait chuter. Surtout, si les banques centrales des autres pays émergents décidaient au même moment de réduire la part du dollar dans leurs énormes réserves de change. L'Amérique devra donc apprendre à vivre avec un déficit commercial important vis à vis de la Chine. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose : une appréciation du yuan pénaliserait les nombreuses filiales américaines qui représentent à elles seules 60% des importations de produits chinois outre Atlantique !
Témoins du léger ralentissement de croissance des Etats-Unis, les Chinois ont déjà freiné les rachats de dettes américaines et des titres immobiliers de peur qu’ils perdent de leurs valeurs.
On peut également soupçonner un moyen de représailles de la Chine face aux Etats-Unis qui viennent de livrer du matériel militaire à Taiwan pour 56.4 milliards de Dollars.
L’Etat américain malgré une hausse du taux de change du Yuan continuera à avoir un gros déficit commercial car il importera, dans des pays dont la main d’œuvre est encore moins chère, les produits qu’il ne pourra fabriquer. Leur vrai problème se trouve dans l’épargne des ménages qui est quasi nulle. De plus la forte instabilité de croissance des pays occidentaux est du à un afflux de liquidité émis par la FED et la BCE.
Une appréciation du taux de change yuan/dollar d’un point entrainerait une baisse d'un point de bénéfice net dans les industries à forte valeur travail», déclare Bei Xu, une économiste en charge de la Chine chez Natixis. Cette baisse de bénéfice entrainerait inévitablement la délocalisation d’industries comme celles du jouet, de la maroquinerie et du textile vers des pays moins développés où la main d’œuvre est meilleure marché. D’après les autorités chinoises, une réévaluation de la monnaie nationale entraînerait la destruction de 90 millions d’emplois.
En Chine, l’enjeu des taux de change est économique mais aussi et social. Depuis quelques années, les ménages ne profitent pas de la forte croissance de l’économie chinoise. Le revenu des ménages représente moins de 50% du produit intérieur brut chinois contre un peu plus de 50% au Brésil, 60% au Royaume-Uni et 68% aux Etats-Unis. Le partage de la valeur ajoutée se faisant au détriment des salariés, les tensions sociales sont de plus en plus fortes et la corruption pourrait augmenter d’avantage. Et cela pourrait avoir un impact politique dangereux. Du coup, le gouvernement défend sa monnaie. Il n’est pas honnête, comme le fait le gouvernement américain, de demander une appréciation du yuan qui provoque une telle baisse des réserves chinoises.
Le désencrage du yan est-il possible ?
Lorsque les États-Unis réclament le désencrage du yuan par rapport au dollar, ils invoquent le caractère « déloyal » de l’ancrage actuel, mais également le surplus commercial chinois très fort qui pourrait être diminué par la réévaluation de leur devise. Ce surplus s’élève en effet aujourd’hui à 284,1 milliards de dollars, une somme qui reste considérable même si elle est en baisse de 35 % par rapport au montant qui était le sien l’année dernière. La Chine a trouvé un moyen d’agir qui n’a qu’un rapport indirect avec le yuan : il réduit la dépendance vis-à-vis du taux de change de la devise parce qu’il fait que la bonne santé économique de la Chine dépendra moins à l’avenir du niveau de ses exportations, l’accent étant désormais mis sur le développement du marché intérieur.
Jusqu’alors la Chine se servait des Etats-Unis pour nourrir sa révolution industrielle, les Chinois orientent désormais leur politique de relance sur leur marché intérieur. La stratégie qui permettra de réduire le surplus commercial de la Chine est aussi celle qui lui autorisera le développement de son marché intérieur. La stratégie choisie est à la fois logique et révolutionnaire. Il s’agit du type-même de remède que l’Europe et les États-Unis ont exclu de leur panoplie pour des raisons idéologiques : augmenter les salaires. Dans la province du Jiangsu, en Chine Orientale, le salaire minimum vient d’être augmenté de 13 % pour y attirer la main d’œuvre et il ne s’agit pas d’une mesure isolée : Shanghai augmentera le salaire minimum au 1er avril. D’autres provinces ont déjà annoncé qu’elles suivront.
La stabilité du yan est aussi importante pour l'économie chinoise que pour l'économie globale. Les statistiques montrent que l'exportation chinoise est toujours en cours de rétablissement et que son avenir reste incertain. C'est pourquoi il est important de maintenir une stabilité sur le plan des politiques économiques et commerciales, et notamment du taux de change de sa monnaie.
Au cours de la crise financière, la stabilité du yan a beaucoup contribué à la reprise de l'économie globale. Aujourd'hui, il s'agit toujours d'une tâche pénible que de rééquilibrer et de consolider l'économie globale. Une forte variation du yan ne peut qu'aggraver la turbulence de l'économie mondiale. C’est la technique de négociation classique des Etats Unis dans les enceintes internationales : ne voir que la partie du problème qui les arrange, et ignorer ce qui pourrait les déranger. Ces faits sont connus et indiscutables. Rien de tel que de désigner un ennemi extérieur pour diminuer la pression qui émerge face aux croissances faibles et de problèmes d’emplois. Les pays occidentaux n’ont donc aucun intérêt à affronter directement la Chine sur sa politique de change. Ils feraient bien de s’inspirer de Sun Tzu : « l’affrontement étant toujours coûteux et hasardeux, il faut privilégier l’approche indirecte pour affaiblir l’adversaire. Car ce dernier peut devenir le partenaire de demain ». Une telle stratégie prend en compte la forte indépendance entre les protagonistes en temps de globalisation. Les décisions chinoises ont des conséquences immédiates sur les grands équilibres économiques et financiers mondiaux, surtout en temps de crise. Rappelons que la Chine détient 750 mds $ d'avoirs en titres du Trésor américain.