Le Roi et L’oiseau, on pourrait en écrire une bible. Entre lyrisme et satire politique, le film de Paul Grimault soulève de multiples interprétations. Si vous n’avez encore jamais vu ce bijou de l’animation française, ne vous attardez pas sur cette analyse, sous peine d’égarer tout plaisir. Ici, il n’est pas question de résumer le film, mais d’en tirer les portées morales et artistiques.
- Caricature hitlérienne et stalinienne
Dans un immense royaume, vit le roi Charles Cinq et Trois font Huit et Huit font Seize. Personne n’a jamais remis en cause l’autorité du Tyran. Laid et sot, il incarne le despotisme. Dès les premiers plans, on découvre un bouffon orné d’une couronne, prenant la pose pour peintres et sculpteurs. Toute l’architecture du château est à son effigie, statues, tableaux, pas le moindre mètre sans le portrait de sa majesté. Cette critique de la monarchie est inspirée du culte d’Hitler, influence première de l’œuvre. C’est sous la caricature que le réalisateur se moque de l’Allemagne nazie, via le caractère burlesque du roi. Le culte de la personnalité ressort de ce personnage antipathique, consultant les artistes pour scintiller sur les murs. La caricature est poussée à l’extrême, le roi souffrant de strabisme. Ironie du sort, il est passionné pour la chasse. Comme il rate constamment sa cible, ses gardes sont obligés de lui faire croire le contraire, en simulant les impacts des balles à l’aide d’un canif. Alors que l’on aurait pu craindre les sensations de pitié à l’égard d’un tel couillon, on apprends à le détester.
- Modernisme et productivité
Le Roi et L’oiseau approche avec stérilité la technologie. Les 256 étages du château, les aéroglisseurs ou encore l’écrasant monstre d’acier témoignent un certain dégoût du modernisme. Et la critique est d’autant plus poignante que le film est sortit en 1980, époque où l’effroi technologique restait marginal. Dans le même esprit, le film accuse la standardisation, le taylorisme ou le fordisme. Ces mouvements économiques ont entraînés des conditions de travail déplorables. Le passage où le ramoneur et l’oiseau sont voués à la chaîne, où ils exécutent des tâches répétitives, mets en avant la critique sociale. Surveillés par des contremaitres, nos protagonistes doivent suivre le rythme infernal de la production en masse. Si on se réfère à la période où fut réalisé le film, on observe qu’elle correspond au déclin du système, la fin des trente glorieuses.
- L’art, vu sous deux angles différents
L’art se lit de deux manières, à la fois comme un service à la propagande et une illustre création humaine. Dans le premier cas, il est photocopié à grande échelles et perds toute son authenticité, s’écroulant dans la diffamation. Dans le deuxième, il se traduit par des peintures vivantes. A la base, la bergère et le ramoneur ne sont que deux tableaux situés sur les murs de la chambre secrète du roi. Ils prennent soudainement vie, tels de véritables êtres humains. Paul Grimault avance le pouvoir artistique. D’un côté, l’art, par la propagande, peut être utilisé pour affaiblir la liberté d’expression, mais de l’autre il là renforce. Ce conte nuancé n’est autre qu’une réflexion permanente sur le pouvoir humain, sa capacité à détruire ce qu’il avait eu tant de mal à réaliser (Cf le passage où le robot anéantit le royaume).
– Une fantaisie
Les oiseaux occupent une place remarquable, et sont le symbole de la liberté. Ils sont les seuls capables d’échapper à la violence du totalitarisme. Les animaux tiennent une place colossale dans ce récit humaniste, entre le chien du roi, L’oiseau qui parle et les lions crevant de faim dans les profondeurs du royaume. Le réalisateur approche les relations entretenues par l’homme avec la nature. L’amour, au centre du récit, se manifeste par la passion du ramoneur pour la bergère et l’affection du roi pour cette dernière. On pourrait presque en tirer la notion de Carpe Diem, tant il est sujet de camaraderie.
- Mise en scène
La première partie du récit est relativement muette, construisant peu à peu l’édifice du roi, nous habituant ainsi à l’atmosphère. Le film prends ensuite le tournent de la panique, où les personnages sont recherchés au sein du château. La tension s’installe dans ce dessin animé au crayon simple mais rigoureux. C’est l’une des meilleurs du genre, qui se démarque par toutes les émotions entraînées. Les scènes où les protagonistes sont perchés sur le toit du palais incitent l’imagination, installant un climat intense où on ne peux que craindre leur chute. Les vues varient, jouant continuellement avec nos pensées. Rares sont les films de ce calibre à être parvenus à trouver un rythme aussi impeccable, idyllique.
Le Roi et L’oiseau est une œuvre variée, curieuse et accessible. Chaque plan déborde d’idées, chaque plan mériterait que l’on s’y attarde des heures. Les approches poétiques laissaient craindre un récit manichéen, mais ce n’est jamais le cas. Cette analyse laisse de côté plusieurs caractéristiques, comme l’omniprésence policière de la dictature. N’hésitez pas à replonger dans l’univers du Roi et L’oiseau, un film lucide et grand public, pour en élucider tous les secrets.