Rêves indiens...
Vu d'Inde, ce déplacement officiel français est présenté très différemment. A écouter les médias locaux, il s'agit plutôt d'une visite touristique ultra-glamour, le couple royal de Sarkofrance en goguette, Carla Bruni affole les gazettes, on commente ses robes et son sourire, on s'émerveille du « chapitre intime » que fut la visite du Taj Mahal samedi ou l'escapade dans la cité impériale de Fatehpur-Sikri dimanche ; on applaudit au désir de maternité qu'aurait confié Carla Bruni au gardien du temple: « Elle m'a demandé de prier pour qu'elle ait un fils » a raconté ce dernier à une chaîne de télévision.
Il n'a pas fallu attendre 24 heures pour qu'un premier article, très sérieux et publié en une d'un quotidien indien tirant à 400 000 exemplaires, s'interroge sur le casting de gardes du corps de petite taille prétendument demandé par les officiels français. En Inde toujours, on s'amuse presque de voir les grands (et petits) de ce monde se précipiter rencontrer le pays pour lancer peu ou prou les mêmes promesses : juste avant Sarkozy, Barack Obama et David Cameron étaient déjà venus expliquer combien l'Inde devait trouver sa place dans la gouvernance mondiale. Après Sarkozy, les dirigeants chinois puis russes rendront à leur tour visite. Le monde se cherche de nouveaux équilibres, mais en France, il faut que l'on croit qu'il tourne autour de notre Monarque national.
Dans les coulisses de ce voyage français, la délégation de chefs d'entreprises qui accompagnait Nicolas Sarkozy espérait signer quelques accords. Une incroyable brochette de ministres étaient aussi du voyage. Lundi, Anne Lauvergeon, présidente d'Areva et son confrère de l'entreprise publique NPCIL (Nuclear Power Corporation of India Limited) ont signé un accord en présence de Nicolas Sarkozy et Premier ministre indien Manmohan Singh pour la construction de deux EPR. En fait, rien de bien nouveau. Un premier protocole d'accord avait été conclu en février 2009. Pas sûr, d'ailleurs, que cette commande soit une si bonne nouvelle. La catastrophe du Bhopal, en 1984, est dans toutes les mémoires. Et une loi sur la sécurité nucléaire vient d'être voter cet été. Cette dernière prévoit que le fournisseur, en l'occurrence Areva, est responsable de tout accident. Des milliers d'opposants s'étaient rassemblés le 5 décembre sur le site retenu pour les deux centrales d'Areva.
Sur un autre contrat, les conseillers du président français furent trop pressés en annonçant 800 millions d'euros de location de quatre Airbus A330 par Air India et 2 milliards d'euros pour dix Airbus A330 vendus à Jet Airways. Louis Gallois, le président d'EADS, fut surpris par l'envoyé spécial du Monde en train de s'exclamer : « Les chiffres sont faux ! » Globalement, l'Elysée a affirmé que quelques 15 milliards d'euros de commandes avaient été conclues lors de ce voyage, une déclaration grossière rapidement démentie par les journalistes présents sur place : aucun contrat formel n'a été signé. On a même promis des Rafales de Dassault, comme au Brésil, il y a deux ans, une commande jamais concrétisée depuis ! « Sur le Rafale, nos amis indiens prendront leur décision quand ils l'auront décidé » a sobrement confirmé Sarkozy lors d'une conférence de presse.
Mardi, Carla et Nicolas repartent pour la France dans l'airbus A330. Les deux Falcon supplémentaires suivront. Ils avaient dépêchés sur place pour permettre des déplacements plus faciles dans ce gigantesque pays aux 1,2 milliards d'habitants.
... contre réalité française
En France, l'analyse du projet de loi de finances par les sénateurs, mérite une attention particulière. Alors que Sarkozy nous a promis un grand débat fiscal pour l'été prochain, certains irréductibles de l'UMP rappellent au gouvernement par qui il a été élu. Les sénateurs UMP ont ainsi supprimé, dimanche 5 décembre, l'amendement Tapie, introduit par les députés le mois précédent. Cette disposition prévoyait de soumettre à l'impôt sur le revenu les indemnités réparant un préjudice moral quand elles dépassent le million d’euros. Malgré son sobriquet, elle n'aurait pas concerné les 285 millions perçus par l'homme d'affaires dans son litige avec le Crédit Lyonnais, dont 45 millions d'euros de préjudice moral, car son entrée en vigueur était prévue pour 2012. Mais les sénateurs UMP ont de toutes façons supprimé la mesure. Philippe Marini, le rapporteur général (UMP) du budget au Sénat, a expliqué : « Il résulte d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, en matière fiscale, et de la doctrine du droit de la responsabilité civile, que les indemnités versées au titre de dommages et intérêts pour un préjudice non économique n’entrent pas dans le champ d’application de l’impôt sur le revenu. Il s’agit d’un principe constant de notre droit. Il faut s’y tenir ».
En France toujours, l'affaire Bettencourt s'est terminée par un coup de théâtre. Liliane la mère et François la fille ont annoncé lundi midi qu'elles s'étaient réconciliées. Les deux ont retiré leurs plaintes respectives. Ne reste que l'affaire Woerth/Sarkozy. Les autorités françaises seront heureuses de ce dénouement, inquiètes qu'elles étaient qu'une déstabilisation de Liliane Bettencourt ne précipite l'Oréal dans les mains du suisse Nestlé. C'est du moins ce que l'on nous expliquait voici quelques mois, quand les enregistrements pirates des conversations entre le gestionnaire de fortune et sa patronne révélaient l'attention si particulière qu'accordait l'Elysée à ce litige familial. Mais Nicolas Sarkozy, et surtout Eric Woerth, auront de quoi enrager : mère et fille enfin réconciliées, la justice peut s'attarder sur deux instructions dépaysées à Bordeaux, trafic d'influence et blanchiment de fraude fiscale d'une part, et financement illégal de parti politique ou de campagne électorale d'autre part.
En France encore, le juge Renaud Van Ruymbeke a récupéré quelques nouveaux documents, révèle Mediapart, qui replace Nicolas Sarkozy au coeur de l'affaire. Le 16 mai 2007, jour de son intronisation à la présidence de la République, il était « destinataire de la copie d'une facture, pour «services rendus», d'un montant de 8 millions d'euros », envoyé par Jean-Marie Boivin, ancien dirigeant de la fameuse société HEINE. Cette dernière avait été établie en 1994 pour faire transiter les commissions destinées aux intermédiaires de la vente de 3 sous-marins au Pakistan.
« Parmi ces intermédiaires figure l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine, un proche des balladuriens d'hier, devenus les sarkozystes d'aujourd'hui.Cette facture de 8 millions d'euros, numéro 7.01.248, était datée du 18 janvier 2007, et fut émise à l'époque à l'encontre de la DCN pour le sobre motif de « services rendus ». En 2006, Nicolas Sarkozy avait reçu un précédent courrier de M. Boivin, qui s'y plaignait de la dissolution de la société HEINE décidée en 2004. Le même Boivin avait confié à l'ancien directeur financier de la DCN Gérard-Philippe Menayas, tel que ce dernier l'a expliqué au juge Van Ruymbeke lors de son audition, avoir reçu des menaces physiques qui auraient été ordonnées par un certain «N.S.».
Une partie des commissions passées par Heine aurait, en retour, servi au financement illégal de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur, en 1995, dont M. Sarkozy fut le porte-parole. Or, comme Mediapart l'a déjà rapporté à plusieurs reprises, documents à l'appui, la création d'Heine aurait été supervisée et validée, fin 1994, par M. Sarkozy quand il était au sein du gouvernement Balladur ministre du budget — et à ce titre décisionnaire sur les ventes d'armes. » Source : Mediapart.
Mediapart révèle l'existence d'un second courrier, cette fois-ci adressé le 14 novembre 2007 par Gérard-Philippe Menayas à François Pérol, alors secrétaire général adjoint de la présidence de la République. Dans ce courrier, Menayas déconseille à Pérol de céder au chantage de Boivin. Et pourtant, et pourtant, 18 mois plus tard, le 24 janvier 2009, un protocole d'accord était conclu, attribuant 8 millions d'euros à Jean-Marie Boivin.
Samedi, Nicolas Sarkozy était arrivé à Bangalore, en Inde. A plus de 2061 kilomètres de New Delhi qu'il rejoignit avec l'un des deux Falcons 7 que la République Française avait dépêché sur place pour faciliter ses déplacements dans le pays.
Karachi, elle, est pourtant beaucoup plus proche, 884 kilomètres de la capitale indienne.