La droite enquête... ou pas
Alors que le conflit entre Liliane Bettencourt et sa fille Françoise Meyers s'est réglé sur un coup de théâtre lundi dernier, l'attention s'est retournée sur Eric Woerth, toujours concerné par deux instructions. L'une d'entre elles a trait au trafic d'influence et blanchiment de fraude fiscale.
Justement, à l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer son président a constitué un groupe de travail sur les conflits d'intérêt. En octobre, le camp UMP avait refusé trois propositions de lois de l'opposition régissant le conflit d'intérêt, au motif que le sujet était « complexe »Le 12 juillet dernier, Nicolas Sarkozy avait promis une commission sur le sujet, qui fut installée en septembre dernier. Mais, en vertu de la fameuse séparation des pouvoirs, l'Elysée avait pris soin d'écarter les parlementaires de son périmètre d'analyse. On ne sait pas qui la commission présidentielle des trois sages (Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État; Jean-Claude Magendie, ancien premier président de la cour d'appel de Paris; Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes) a prévu d'interroger Eric Woerth, ou même Eric de Sérigny, son ex-conseiller pour les relations avec le monde économiques et Sébastien Proto, son directeur de cabinet très proche du milieu des paris en ligne.On ne sait pas non plus si Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé mais salariée de laboratoires pharmaceutiques jusqu'en 2009, ou Jeannette Bougrab, membre du Cora (le Conseil d'Orientation et de Réflexion de l'Assurance) quand elle était présidente de la Halde, seront également auditionnées.
Les premières auditions parlementaires, jeudi 9 décembre, accueillent le président de Transparence International France Daniel Lebègue, Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, une professeur de droit public (Anne Levade), la responsable de la cellule de veille déontologique (Marie-Laure Godefroy), et ... un professionnel qui est au coeur d'une autre polémique, Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire et de produits de santé (AFSSAPS), son chef du service des affaires juridiques et européennes, et Mme Marie-Laure Godefroy.
Le 16 novembre dernier, l'AFSSAPS avait publié un rapport accablant sur le Mediator, ce médicament anti-diabétique des laboratoires Servier suspecté d'avoir causé 500 décès depuis 1975. Un an auparavant, le docteur Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, avait publié un livre explosif sur le sujet. Cinq millions de Français ont pris ce médicament. Jean Marimbert avait défendu, dans les colonnes du Journal du Dimanche, l'indépendance de son agence face aux laboratoires pharmaceutiques. Jacques Servier, le patron-fondateur du laboratoire, a reçu sa légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy le 7 juillet 2009, quelques semaines avant la publication de l'ouvrage du docteur Frachon. Il y a 4 jours, Xavier Bertrand a contenu sa rage contre Patrick Cohen, journaliste à France Inter, qui lui demandait, en direct, s'il n'y avait pas eu de la complaisance dans les autorisations successives du Mediator. Xavier Bertrand était ministre de la Santé en 2006, quand la commission de la transparence de la Haute-Autorité de santé (HAS) recommandait, dans un avis du 10 mai 2006, le déremboursement du Mediator pour cause d'inutilité: « Complaisance ? Vous rendez-vous compte de ce que vous venez de dire? » s'est exclamé Bertrand.
A ce stade, on ne sait pas si quelques cas emblématiques de parlementaires « multi-employeurs » tels Jean-François Copé ou Renaud Muselier sont prévus.
La droite grogne... vraiment ?
Dans la « majorité » présidentielle, on doute des grands chantiers de Nicolas Sarkozy. La prise en charge de la dépendance ressemble fort au débat sur les retraites, avec un effet « boomerang » détestable si prévisible. La « concertation » n'a pas débuté que les polémiques surgissent déjà, sur le rôle futur de l'assurance privée ou le financement. A l'Assemblée comme au sénat, certains parlementaires UMP détricotent régulièrement certaines pistes d'économies avancées par le gouvernement.
Le débat fiscal n'est pas mieux parti. Sarkozy ne veut pas entendre parler de la création d'une nouvelle tranche supérieure de l'impôt sur le revenu. Du coup, la révision de la fiscalité du patrimoine s'avère politiquement, et budgétairement, ardue. Pire, Gilles Carrez, rapporteur UMP du budget, s'est énervé mardi 7 décembre. Le gouvernement a sous-évalué de moitié le coût de fin de la taxe professionnelle ! Le député, pourtant orthodoxe et Sarko-compatible, s'agace de cette incompétence gouvernementale, dans un rapport sur l'exécution du budget 2010.
Le député se félicite certes de l'ampleur de la baisse d'impôt pour les entreprises que représente la suppression de la taxe professionnelle, « un allègement fiscal comparable à 10 ans de baisse d'impôt sur les sociétés.» Quel bel argument ! On sait que l'impôt sur les sociétés n'est réellement payé à taux plein que par les PME, les grandes entreprises optimisant leur fiscalité. Mais Gilles Carrez s'inquiète : l'abandon de la taxe carbone (y compris sur les entreprises) et du dispositif d’imposition spécifique des bénéfices non commerciaux (BNC) présentés dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle, ont fait perdre 2,7 milliards d'euros de recettes fiscales. Ces deux dispositifs ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Les différentes pistes évoquées par le gouvernement, pour compenser cette « perte » en 2011, telle l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau, furent insuffisantes.
« D’autre part, l’impact de la suppression de la taxe professionnelle a été révisé à la hausse de 400 millions d’euros par le Gouvernement » et, précise le rapport, « il est possible qu’un écart supplémentaire de plusieurs centaines de millions d’euros doive être constaté – le calcul étant détaillé plus bas.» La conclusion coule de source : « Au total, le coût de la réforme pourrait être compris entre 7 milliards d’euros – évaluation découlant des éléments transmis par le Gouvernement – et 8 milliards d’euros, soit près de deux fois le coût de 3,9 milliards d’euros initialement prévu. » Rien que ça !
Mais dans son rapport, Gilles Carrez ne s'arrête pas là. Son analyse porte sur l'ensemble de l'exécution du budget 2010. Notons ainsi que les dépenses de personnel de l'Etat, au global, ont dérapé de « 32 millions d’euros en 2010 compte tenu de moindres départs en retraite et d’une sous évaluation initiale de certaines mesures catégorielles.» Il manquerait quelques 8 000 départs à la retraite non remplacés; autre souci d'inquiétude du député UMP, les dépenses d'intervention auraient dérapé de 3 milliards d'euros.
Le gouvernement aurait-il lâché de subséquentes subventions ? En fait, le coût de certains dispositifs sociaux, symptômes d'une crise qui dure, avaient été sous-évalués : les contrats aidés du plan de cohésion sociale signés fin 2009 et dont le coût déborde largement sur 2010, ont été plus importants que prévu initialement. Pareil pour les nouveaux contrats aidés (contrats uniques d’insertion, CUI), intialement évalués à 410 000, contre 520 000 finalement financés en 2010. Pire, le rapport note qu'au-delà du volume de contrats aidés en 2010, sous-évalués intialement, le coût unitaire de ces dispositifs est plus important que prévu, à cause « du taux de prise en charge et du nombre d’heures supérieurs aux cadrages initiaux. »
Que le gouvernement dépense plus que prévu en traitement social du chômage est une bonne chose. Le désaveu est ailleurs : depuis des moins, on nous répète que la situation de l'emploi s'améliore. Que nenni ! En 2010, le gouvernement a dû dépensé 1,7 milliards d'euros de plus dans le soutien à l'emploi qu'il ne le prévoyait en début d'année.
Alors... incompétence ou crise durable ?
Mardi, François Fillon expliquait aux députés de son camp qu'il n'était « pas question d'alourdir d'un euro de plus le déficit budgétaire ». Il s'adressait à celles et ceux qui multiplient, à l'Assemblée, les amendements néfastes contre les mesures dites de rigueur de son gouvernement. Au Sénat, le gouvernement venait d'imposer 24 votes bloqués pour forcer l'adoption de certaines mesures, dont la suppression de 15 points d'exonération de charges sociales des particuliers employeurs qui déclarent leurs salariés au salaire réel.
En fait, on pourrait lui retourner la remarque.
Mercredi, François Fillon filait à Moscou pour clôturer l'année France-Russie et, si possible, ramener quelques contrats commerciaux. Dans les révélations diplomatiques de Wikileaks, on avait appris ces jours derniers que conseillers présidentiels et diplomates français jugeaient Medvedev et Poutine brutaux, opportunistes, court-termistes, et n'agissant que pour leurs propres intérêts personnels. Mais l'argent n'a pas d'odeur.
Nicolas Sarkozy, lui, est aux abonnés absents. Il prépare sa prochaine rupture.