Censure sur le délai d’intervention du juge judiciaire et réserve d’interprétation sur l’effectivité du recours
par Cédric Roulhac
Commençant par examiner les dispositions qui portent spécifiquement sur l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT), la Haute-juridiction valide les conditions d’admission des personnes concernées au regard des libertés en jeu, à savoir la liberté d’aller et venir, le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la DDHC ainsi que la liberté individuelle garantie par l’article 66 de la Constitution (cons. 16). En prévoyant d’une part que cette procédure ne peut être mise en œuvre que si les troubles qui touchent ces personnes rendent impossible leur consentement et si leur état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier, et en assortissant d’autre part cette procédure de garanties - la personne à l’origine de la demande doit notamment justifier de « relations antérieures à la demande lui donnant qualité pour agir dans son intérêt » (Cons. 17 et 18) -, le législateur a « fixé des conditions de fond et des garanties propres à assurer que l’hospitalisation sans consentement, à la demande d’un tiers, ne soit mise en œuvre que dans les cas ou elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à l’état du malade » (cons. 19). Rappelons, notamment, que le Conseil d’Etat a mis un coup d’arrêt aux pratiques consistant à ce que la demande d’HDT soit signée par le directeur ou le chef de service de l’hôpital dans lequel la personne a été admise au service des urgences en exigeant, à défaut de lien de parenté avec le malade, de justifier de l’existence de relations antérieures à la demande donnant qualité pour agir dans l’intérêt du malade (CE, 3 décembre 2003, CHS de Caen, n° 244867). Il estime aussi que la Constitution ne s’oppose pas à ce que « l’accueil » des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement soit confié à des établissements de santé privés habilités dans la mesure où ils sont soumis « aux mêmes obligations que les établissements publics » et que les décisions d’admission sont « subordonnées aux mêmes formalités et contrôles ». (cons. 21). Selon les Cahiers du Conseil constitutionnel, le juge constitutionnel a estimé que cette mission de santé publique « ne peut être assimilée à la mission de surveillance pénitentiaire ou la mission de surveillance des personnes en rétention lors de leur transport » dont la délégation à des personnes privées avait été censurée (Cons. constit. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 8, et n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, cons. 89 et 90).
S’agissant de l’article 66 de la Constitution, s’il exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas pour le Conseil que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Dès lors, le processus d’admission qui prévoit la seule intervention du directeur de l’établissement peut être validé (Cons. 20). En ce qui concerne en revanche le maintien de l’hospitalisation, il juge inconstitutionnelle la disposition qui prévoit que l’hospitalisation sans consentement peut être maintenue au delà de quinze jours sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire. Si les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes concernées peuvent, certes, pour le Conseil, être pris en compte pour la fixation de ce délai, il rappelle que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible » (cons. 25). Le fait d’avoir confié à la commission départementale des hospitalisations psychiatriques (CDHP) la protection de cette liberté (deuxième alinéa de l’article L. 332-3 du code de la santé publique, devenu son article L. 3222-5) ne saurait suffire à assurer le respect de cette disposition compte tenu du « caractère administratif » de cette commission (v. déjà Cons. constit. n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 32 à 34) et, au surplus, qu’elle n’examine obligatoirement que la situation des personnes dont l’hospitalisation se prolonge au-delà de trois mois (cons. 24). Partant, l’article 337, devenu l‘article L. 3212-7 du Code de santé publique méconnait les exigences de l’article 66 de la Constitution (cons. 25 et 26). Ce rappel, qui intervient alors que l’Assemblée a adopté en première lecture le report de l’intervention du juge des libertés et de la détention de 48 h à 5 jours pour les étrangers placés en rétention administrative, est le bienvenu. Pour souligner l’importance de ce contentieux des privations de libertés des étrangers, les Cahiers du Conseil constitutionnel mentionnent d’ailleurs que la décision de 1980 sur la loi « Bonnet » (n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, cons. 4) a « donné le « la » de la jurisprudence constitutionnelle en matière de protection de la liberté individuelle par l’autorité judiciaire » et qu’« on en retrouve les échos dans la décision du 30 juillet 2010 sur la garde à vue qui retient également ce délai de quarante-huit heures » (Cons. Constit. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 M. Daniel W. et autres - ADL du 7 août 2010).
Poursuivant avec l’examen des griefs relatifs aux droits des personnes hospitalisées sans leur consentement en général, le juge constitutionnel rejette l’argument de la requérante que voit dans les conditions dans lesquelles ces hospitalisations sont réalisées une atteinte à la dignité humaine (cons. 29), en retenant la même formulation que dans des décisions récentes (Cons. constit., n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire, cons. 3 ; Cons. Constit. n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, M. Samir M. et autres - ADL du 23 septembre 2010). Il estime par ailleurs que, les garanties encadrant l’hospitalisation sans consentement permettant que l’avis de la personne sur son traitement soit pris en considération, le législateur a pris des mesures qui assurent, « entre la protection de la santé et la protection de l’ordre public, d’une part, et la liberté personnelle, protégée par l’article 2 de la Déclaration de 1789, d’autre part, une conciliation qui n’est pas manifestement disproportionnée » (cons. 32). Toutefois, il émet une réserve d’interprétation en ce qui concerne le droit à un recours juridictionnel effectif. Il commence par rappeler que l’article L. 351, devenu l’article L. 3211-12 du Code de la santé publique, reconnait à toute personne hospitalisée sans son consentement le droit de se pourvoir par simple requête à tout moment devant le président du Tribunal de grande instance (TGI) pour qu’il soit mis fin à l’hospitalisation sans consentement (Cons. 38). Puis, et là se trouve la réserve d’interprétation, il précise que le droit à un recours juridictionnel impose que le juge judiciaire statue dans les plus bref délais compte tenu de la nécessité éventuelle de recueillir des éléments d’information complémentaires sur l’état de santé de la personne handicapée (Cons. 39).
Cette décision est rendue quelques jours après que la Cour européenne des droits de l’homme ait condamnée la France sur le fondement de l’article 5 de la Convention (Droit à la liberté et à la sureté) pour une affaire dans laquelle un individu avait fait l’objet, à plusieurs reprises, de mesures d’hospitalisation d’office (Cour EDH, 5e Sect. 18 novembre 2010, Baudoin c. France, Req. n° 35935/03 - ADL du 18 novembre 2010). La décision est en effet mentionnée par le commentateur aux Cahiers mais sa portée est minimisée puisque, selon les Cahiers, c’est « compte tenu de leurs circonstances en l’espèce » que la procédure d’hospitalisation d’office française a été « mise en cause »
Relevons enfin que le Conseil use, une fois de plus, et de nouveau de manière inadéquate, de la possibilité de différer les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité dans le temps. Eu égard aux « conséquences manifestement excessives » qu’entrainerait une abrogation immédiate de l’article en question, il décide ainsi de la reporter au 1er août 2011 (Cons. 41). Or, comme le régime de la garde à vue, il y a potentiellement un risque de se retrouver face à des régimes d’hospitalisation « irrémédiablement condamnés à mort mais en sursis » sur leur face constitutionnelle et risquant d’être « exécutés » sur leur face conventionnelle (v. ADL du 19 octobre 2010). Cela est d’autant moins satisfaisant que la loi du 27 juin 1990 n’a pas limité ou réduit le nombre des hospitalisations sans consentement. Au contraire, leur nombre a presque doublé en 1990 et 2005. En 2008, 69 000 personnes environ ont été hospitalisées sans leur consentement au moins une fois dans l’année. En outre, la durée moyenne de séjour en psychiatrie est passée de 86 jours en 1989 à 45 jours en 2000. En 2009, la durée moyenne est de 49 jours en HDT et de 82 jours en HO. Peut-on se satisfaire du maintien de telles inconstitutionnalités et inconventionnalités en série, portant atteinte à la sûreté et à la liberté, droits « naturels et sacrés », sous prétexte de protéger la sécurité juridique et, in fine, l’ordre public ?
Cons. constit. n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Melle. Danielle S. [non-conformité partielle avec effet différé]
Actualités droits-libertés du 2 décembre 2010 par Cédric ROULHAC
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- Cette lettre sur droits-libertés
- Communiqué du GIA suite à la décision du Conseil Constitutionnel
- Bertrand Mathieu, “Le rôle proactif des groupements d’intérêt dans le cadre de la QPC”, Le club des juristes, 6 décembre 2012.
“En effet, les visas de cette décision font référence aux observations en intervention produites par une association représentée par un avocat, aux observations en réponse à cette intervention de la requérante et aux pièces produites pour l’association intervenante.
Celle-ci a même été autorisée à plaider, ce qui constitue une novation. Dans le même sens, le Conseil d’État a admis les
interventions du Conseil national des barreaux et de l’Association des avocats conseils d’entreprise à l’appui d’une QPC posée par l’Association nationale des sociétés d’exercice libéral et leur association à la question par un mémoire distinct ( CE, 14 juin 2010, n° 328937, ANSEL). (…)
Ces interventions peuvent, notamment, permettre à tous ceux qui représentent des intérêts économiques ou sociaux de jouer un rôle proactif, (…) Alors même que le Conseil constitutionnel ne retiendrait pas l’intervention, elle peut jouer une fonction d’infl uence.
De telles interventions existent déjà, de manière moins visible, dans le cadre du contrôle a priori exercé sur saisine politique entre le vote et la promulgation de la loi. Comme le relève la directrice des affaires juridiques du Medef ( Rev. Constitutions 2010, n° 3, p. 351 ), dans le cadre de la QPC la procédure est pleinement transparente et contradictoire. “