Comme je vous l'ai dit, je suis en train de lire le livre de Michel Villette, Sociologie du conseil en management. L'auteur aborde à un moment la question de la mode managériale. En citant Midler (1986), il explique qu'alors que la mode vestimentaire se substitue à une autre, permettant une sorte de roulement des gardes robes, les modes managériales viennent s'ajouter les unes aux autres, comme des "couches sédimentées, matérialisées par des procédures, des logiciels informatiques, des outils de gestion, des personnels de services spécialisés".
Il dresse ainsi un tableau listant les principales modes que nous avons pu connaître telles que le TQM (Total Quality Management), ZBB (Zero Based Budgeting), JIT (Just in Time), ..., OK (Organizational Knowledge), et enfin, l'EVA (Economic Value Added).
Même s'il y a énormément de choses à dire, je ne m'arrêterai que sur un ou deux petits détails. Tout d'abord, en retraçant chacune de ces modes, nous pouvons comprendre les préoccupations de chacun à une époque donnée. Oui, je suis d'accord, c'est très facile à dire. Seulement même si les théories à l'origine de ces modes de management ont pu avoir été émises plus d'un siècle avant leur "réutilisation", cela prouve bien que la problématique sous-jacente qui est au coeur des préoccupations de chacun reste grosso modo la même au fil du temps. Comment faire du profit et surtout comment le mesurer (ou comment être le plus rentable possible, c'est à dire dégager un maximum de valeur ajoutée avec le moins de moyens possibles) ? Comment être vivant demain (ou comment se différencier de sa concurrence, comment garder cet avantage concurrentiel) ? Tant de questions que tout décisionnaire se pose, tant de réponses que nous pouvons créer au cas par cas à partir de ces lois universelles. Notons que nous pourrions rejoindre la question de la performativité des lois économiques que je mettais en avant ici puisque ces lois ont d'abord été émises dans un cadre particulier, très très différent de celui que nous pouvons connaître actuellement.
Prenons l'EVA par exemple. Même si elle peut être quelque peu décriée pour des raisons que nous pourrons comprendre, la problématique demeure et nous ne pouvons pas toujours trouver de réponse. Dans le cas présent, je dirais simplement attention à la façon dont nous pouvons manipuler les chiffres : la mesure du profit que nous pouvons dégager met sur un même pied d'égalité des facteurs pourtant très différents, une piste d'optimisation peut se trouver dans la réduction des capitaux engagés (je pense notamment à la question du hors bilan). Ainsi, même si beaucoup de retraitements sont nécessaires à une bonne utilisation de cette formule, l'information permettant ces derniers n'est pas toujours des plus disponible ou ne reflète pas forcement au mieux la réalité.
Et donc, à votre avis, quelle sera la prochaine mode ? Petite analyse du monde actuel pour tenter de le deviner. Crise oblige, tout le monde est au plus proche de sa trésorerie. Crise, oui, mais quelle crise ? Tout d'abord, crise de la dette. On ne prête sans doute plus autant qu'aurapavant, ou en tout cas moins facilement. Crise de la confiance et pessimisme général de plus en plus manifeste. On a maintenant bien compris que même l'hypothèse la plus "conservatrice" d'un business plan est - dans la majorité des cas - au dessus de ce qu'on va réaliser. Du court terme donc, avec des résultats "immédiats".
Pour étayer mes propos, il nous suffit simplement de lire quelques blogs et autres journaux spécialisés start-up, levées de fonds, entrepreneuriat, etc. On aime quand on parle de "modèle qui a fait ses preuves outre atlantique ou dans un domaine différent", de "modèle scalable et très rapidement adopté", etc. On ne parle plus d'avenir avec des questions du type "vous pensez avoir combien d'utilisateurs d'ici la fin de l'année', mais de présent : "vous en êtes où niveau inscriptions ?"
D'autre part, nous pouvons souligner une certaine tendance à l'individualisme. On aime le statut de consultant, d'indépendant et plus que de travailler pour un patron, on œuvre de façon indépendante à la réussite d'un projet. C'est joli sur le papier, mais en réalité, cela se traduit par une certaine précarisation des conditions de travail (pas de contrat indéterminé et donc de fait accès plus difficile à l'endettement personnel par exemple) et une rotation des effectifs de plus en plus forte.
Par conséquent, nous pouvons souligner une véritable problématique pour la société, qui devra en plus de gérer le projet en tant que tel se concentrer sur la sauvegarde de la valeur ajoutée qu'a pu apporter l'indépendant. On (re)parlera donc de knowledge management, mais on va surtout se (re)concentrer sur des questions de ressources humaines : comment gérer au mieux la rotation des effectifs ? Comment trouver les meilleurs à moindre coût ? Que proposer à un indépendant pour le fidéliser à la société ? Tant de questions...