Du particulier à l’universalité en passant par le singulier, ce sont ingrédients d’une grande œuvre selon Luc Ferry dans « Apprendre à vivre », page 289 et suivantes, pour introduire la notion de « sagesse de l’amour ».
Voici en résumé quelques phrases clefs : « Elle [la grande œuvre d’art] est toujours marquée historiquement et géographiquement par l’époque et l’esprit du peuple dont elle est issue… le particulier d’origine laisse toujours des traces et, si grande soit-elle, si universelle soit sa portée, la grande œuvre n’a jamais tout à fait rompu les liens avec son lieu et sa date de naissance… les particularités, au lieu d’être sacralisées comme si elles n’étaient vouées à ne trouver de sens que dans leur communauté d’origine, sont intégrées dans une perspective plus large, dans une expérience assez vaste pour être potentiellement commune à l’humanité. Et voilà pourquoi la grande œuvre, á la différence des autres, parle à tous les êtres humains, quels que soient le lieu et le temps où ils vivent ». Nous avons là une vue complète de ce qui définit la grande œuvre, mais il manque le troisième larron pour que l’alchimie opère, c’est le singulier, l’individu qui nous livre ce transport d’émotion et qui nous touche, car il est un produit de son temps, il est multiple et il nous renvoie cette somme de vies dans notre existence elle-même tout aussi multiple. Comme les échos des voix dans une cathédrale, à l’unisson de nos chants qui nous galvanisent et nous remplissent de joie à la fois, une sorte rétroaction et de communion des âmes. Par exemple, la musique des « Quatre saisons » de Vivaldi symbolise un temps révolu qui appartient à l’art de la musique classique du XVIIIème siècle avec d’autres grands noms comme Bach et sa fugue. Chacune de ces œuvres véhiculant leurs particularités intrinsèques mais que tout le monde connaît comme œuvres universelles et pourtant si personnelles, si uniques, indissociables de son créateur.
Je reviens sur la pensée élargie et le texte que j’ai déjà cité : « À quoi sert de vieillir ? À cela et peut-être à rien d’autre. À élargir la vue, apprendre à aimer la singularité des êtres comme celles des êtres ». Il est intéressant de noter qu’avec l’âge « apprendre à aimer la singularité des êtres comme celle des œuvres » va de pair. L’expérience permet le recul vis-à-vis du particulier et même de l’universel. Luc Ferry précise que ni l’un et l’autre ne font « l’objet de nos amours et le porteur de nos sens », c’est justement cet intermédiaire, le singulier, c’est-à-dire nous et les autres, ce singulier pluriel, qui nous importe réellement. Luc Ferry donne la définition de ce terme : « on désigne sous le nom de singularité ou d’individualité une particularité qui n’en est pas restée au seul particulier, mais qui s’est fondue dans un horizon supérieur pour accéder à plus d’universel ». Nous sommes le produit de nos racines génétiques et culturelles, le produit de notre époque à travers nos rencontres directes ou indirectes. Nous nous frayons tant bien que mal un chemin entre les particularités de ce qui nous entoure et les apports majeurs de notre civilisation. Aucun des deux ne nous définit, mais aucun des deux ne nous est étranger, nous sommes simplement à un niveau supérieur, nous sommes issus du vivant et libre de vivre comme on l’entend malgré les obstacles sur notre chemin. Nous contribuons autant au particulier comme à l’universel, l’un n’est pas le mal et l’autre n’est pas le bien. La grande œuvre est le travail du singulier, mais cela ne signifie pas qu’elle soit imputable à un individu au sens strict du terme, car le singulier est collectif, il a eu besoin de ces particularités disséminées par d’autres et de grandes œuvres produites par un autre comme lui. Il hérite de ces apports comme un nouveau-né, dont nous sommes toujours à chaque instant de notre vie. En écrivant cette note, ne suis-je pas en train de faire germer une idée en vous et en moi ? nous sommes, à des moments différents, en train de renaître ensembles : « des auteurs d’œuvres singulières , tout à la fois enracinés dans leur culture d’origine et dans leur époque, mais cependant capables de s’adresser à tous les hommes de toutes les époques… »
14 octobre 2010
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