Nous ne notons pas les fleurs, dit le géographe
Publié le 06 décembre 2010 par Marc Lenot
Vous vous souvenez ? “Parce que les fleurs sont éphémères”. L’exposition à Bétonsalon (jusqu’au 15 janvier) ainsi titrée, conçue par l’antiphrasique collectif bo-ring ne traite pas tant de l’éphémère que du territoire, du désert, du non-lieu (textes ici, en cours). On y voit une liste de lieux hors des cartes, car top secrets, camps militaires ou de la CIA, aux noms poétiques (ces noms d’atrocité sont toujours poétiques, ainsi les noms de campagnes militaires, comme ‘Pluie d’été’ ou ‘Plomb durci’) : Code names, de Trevor Paglen. Tacita Dean raconte sa tentative vaine de trouver Spiral Jetty dans le désert autour du Grand Lac Salé. Lara Almarcegui explore les friches d’Amsterdam, Ursula Biemann fait une encyclopédie sur les migrations (et au passage met à mal l’image noble des Touaregs, passeurs vénaux d’Africains tentant de rejoindre la Méditerranée). Michael Höpfner nous fait courber la tête sous sa tente mongole en fil (”Outpost of Progress”, 2010). Mais le propos se disperse un peu trop vers les jardins communautaires, l’urbanisme et les villes nouvelles.
Surtout il y a
Ellie Ga, new-yorkaise qui fut, pendant sept mois, artiste en résidence sur le
Tara, vaisseau (affrété par Agnès B.) dérivant dans la banquise arctique. Sept mois où tout repère physique se dissipe, où on ne sait plus où est le Nord, trop proche, rendant folle l’aiguille des boussoles, où, ayant perdu tout repère géographique, il faut recréer une carte, une topographie imaginaire, nommant
Copenhague l’endroit de la banquise où on a installé l’anémomètre, Moscou celui où est la balise, et
Bruxelles celui où sont les latrines. Plus de temps non plus : la nuit en permanence, l’ignorance du fuseau horaire dans lequel on est, le moindre mouvement vous faisant changer de fuseau, et l’effort régulateur de garder un calendrier, un horaire (et cela rend fou aussi : on en vient à noter que, dans les magazines qu’on feuillette à bord, les publicités pour des montres indiquent toujours
10h10). Ni espace, ni temps : peut-on rêver d’un univers plus propice à la méditation, à l’abstraction du monde, à la création ? Ellie Ga en Petit Prince de la banquise,
explore ce monde avec méthode et naïveté; elle ramène des photos, des dessins, des cartes sommaires (
elles aussi), trois petits livres (disponibles
ici), des conférences-performances (mais je l’ai hélas manquée). J’aime ces aventures artistiques qui englobent tout, qui sont la vie même, et j’aime cette impossible cartographie en quatre dimensions.
Photo Höpffner de Ouidade Soussi-Chiadmi.