Jacques Jouet publie L’Histoire poèmes, chez P.O.L.
Rappel de la présentation du livre :
Le lecteur est amené, dans une première partie, à remonter la chronologie depuis le moment présent jusqu'à la préhistoire, tandis que dans une seconde il retrouvera, de la préhistoire jusqu'à aujourd'hui, le temps linéaire de l'Histoire.
Un intermède donnera des anecdotes versifiées sur l'histoire des langues humaines.
Chacun des poèmes évoque un événement historique précis, documenté par un ouvrage, livre, film, document, dont la source est donnée explicitement au rez-de-chaussée du poème.
Ce ne sont pas toujours de « grands événements » supposant la présence de « grands hommes », mais parfois oui.
Il fallait que l'événement choisi « inspire » le poème de façon nécessaire.
Parmi les 200 et quelques poèmes du livre, on trouvera, par exemple, un long poème sur l'émigration portugaise en France dans les années 1960, un sonnet sur l'Inde fraîchement indépendante, une litanie des cons de Daladier, une série sur les exactions napoléoniennes, une méditation sur les noms des mois dans le calendrier révolutionnaire, un poème sur Vauban, deux sur Luther et un autre sur la bataille de Salamine... Les poèmes viennent dans des formes extrêmement diversifiées, l'ensemble ayant l'ambition de constituer, dans le plus grand désordre chronologique, une Histoire (fragmentaire et portative) de la poésie. (site de l’éditeur)
96 – Bois et pucelle
Petite, elle cousait avec sa mère.
Elle n’était pas, de loin, si bergère
que le voulaient ses juges d’église.
Car c’était dangereux d’être bergère
de se retrouver seule au magique plein air
de parler avec les animaux, avec l’arbre des fées
celui qu’on appelle aussi le fou, le fagus, le hêtre
près de la fontaine, une Lecture, peut-être.
Afin que Charles fût du diable et perdît
ce qu’il avait de carte de France
il fallait pour l’Anglais et pour le Bourguignon
que sa générale eût le guignon
eût fait les quatre cents coups en accrochant des guirlandes
aux branches du fou et dansant à son pied
prêtresse de sorceries, mauvais art et malignités
sous une méconduite de marraine et de devineresse.
De l’arbre qui lui cachait heureusement la forêt des prêtres
les branches avaient des voix, elles le devaient
bois la ligne directe entre Jeanne et l’Obscur
bois de la lance de bois de saint Michel
bois enchanté de l’étendard
bois de la roue brisée de Sainte Catherine
bois du bois de l’authentique croix
bois dressés des points d’exclamation de la prose de Michelet !
Le bois est périssable
le travail de charpente promis à combustion
jusqu’à la petite croix de bois qu’un Anglais
lui glissa gentiment sur la poitrine
au moment ultime
petit bois dans le grand amoncellement de bois. Sur un bûcher
on ne noie pas sa chienne
même en l’accusant de toutes les rages.
Tu n’iras plus au bois, Pucelle
passée ta dernière corvée de bois.
sources : Les procès de Jeanne d’Arc, présentés par Georges et Andrée Duby, Gallimard/Julliard, coll. « Archives », 1973 – Michelet, La Sorcière, 1862 – Thomas De Quincey, Jeanne d’Arc, A propos de l’Histoire de France de M. Michelet, 1847 – Michelet, Histoire de France, V, 1841.
Jacques Jouet, L’Histoire poèmes, P.O.L., 2010, p. 161.