Ouverture du procès de la dictature chilienne à Paris

Publié le 06 décembre 2010 par Anthony Quindroit @chilietcarnets

Me William Bourdon représente trois familles françaises dont les proches ont disparu après le coup d'Etat de Pinochet, le 11 septembre 1973 (photo DR)

Plus de douze ans après le début de la procédure, le procès de quatorze militaires chiliens accusés d’« arrestations, enlèvements, séquestrations arbitraires avec torture ou actes de barbarie » sur quatre français disparus dans les mois qui ont suivi le coup d’Etat de 1973 va enfin s’ouvrir mercredi 8 décembre devant la Cour d’Assises de Paris (lire aussi ici). Depuis le début, l’avocat parisien, Maître William Bourdon, représente trois familles. Celles d’Etienne Pesle, Alphonse Chanfreau et Georges Klein. Enfin, après avoir transité dans les lents rouages de la justice internationale, ce dossier, dans lequel Augusto Pinochet était cité, va être jugé. Une bonne nouvelle pour l’avocat. Même s’il reste encore du chemin à parcourir.
Comment êtes-vous arrivé sur cette affaire ?
William Bourdon : « J’ai été contacté par les familles après l’arrestation d’Augusto Pinochet en novembre 1998. Il fallait réfléchir sur l’aspect juridique de cette plainte. Jamais la justice française ne s’était prononcée sur la disparition de ces quatre personnes. Pour Pinochet, c’était pratique : il suffisait de faire disparaître l’opposition pour ne pas être inquiété. Mais il y a eu une riposte de la communauté internationale en 1992 avec une suspension de la prescription pour les disparitions. Nous nous sommes appuyés là-dessus. »
Comment avez-vous travaillé ?
« Je me suis rendu deux fois au Chili. Pour y rencontrer des témoins et me rendre compte du blocage de la justice chilienne. Je me suis aussi rapproché de l’avocat chilien Alberto Garreton et je l’ai fait désigner afin qu’il convainque la Cour suprême chilienne de coopérer avec la justice française. Au final, cela a permis au juge français d’exécuter la commission rogatoire. »
Il aura quand même fallu douze ans pour arriver devant le juge. Pour quoi une telle attente ?
« Il y a deux facettes. Les raisons acceptables d’abord : l’affaire est complexe, ce sont des faits anciens, dans un pays lointain. Tout cela complexifie forcément la procédure. Après, ce qui est moins acceptable, c’est qu’avant 2006, il n’ait pas été créé, en France, un poste de juge pour les affaires de génocides ou de crimes contre l’humanité. Cela aurait changé les choses. »
Avant 2006. Avant la mort de Pinochet donc. Il faisait partie des accusés…
« La charge symbolique du procès est atténuée. Mais fondamentalement, pour les familles, le box des accusés vide ne change rien. Ils veulent que soient jugés ceux qui sont responsables de la disparition de leurs proches. »
Mais aucun des accusés ne sera présent ni même représenté. Cela change quelque chose ?
« Pour moi, c’est une stratégie politique. Ils pensent qu’en se faisant représenter, ils légitimeraient ce procès. Mais ils ne trompent personne. Ils vont être condamnés à perpétuité. Pour les familles des disparus, c’est important. C’est une partie de l’organigramme de la dictature chilienne qui va être condamnée. »
Augusto Pinochet étant décédé, les familles peuvent-elles se retourner contre le gouvernement chilien pour demander réparation ?
« Il y a eu des processus d’indemnisation après la fin de la dictature. Mais, dans le cadre de cette affaire, les familles ne semblent pas motivées par l’argent. »
Entre le délai et les vides juridiques, la France peut-elle tout de même tirer satisfaction d’un tel procès sur son territoire ?
« La justice française a la compétence dans ce dossier car elle est fondée sur la nationalité des victimes. Mais la justice française n’est pas pionnière. Ce procès, il faut le remettre dans le contexte actuel. N’oublions pas que le 9 août 2010, une loi a été votée donnant seul au Parquet la possibilité de poursuivre les auteurs de crimes internationaux. Ce qui a fait dire aux ONG que la France devenait « terre d’accueil des bourreaux » ! Il y a aussi les dossiers rwandais qui patinent. La lutte anti-terrorisme cannibalise aussi la justice. Toutefois, ce procès des militaires chiliens est une très bonne chose. Un symbole dans un contexte de basses eaux… »