2010 laissera probablement un bon souvenir à Nicolas Jaar. L’année aura suffi au jeune homme pour s’imposer parmi les producteurs les plus surveillés de la planète grâce à quelques brillants EP. Avant d’entamer 2011 avec Space Is Only Noise, son premier album à paraître sur Circus Company, le New Yorkais d’origine chilienne se paie le luxe d’une dernière sortie avec la première compilation de son propre label, Clown & Sunset, disponible uniquement en téléchargement et sur clé USB. Si l’on peut regretter ce snobisme digital, il est difficile de nier la qualité intrinsèque de l’objet, qui donne l’occasion de découvrir les deux artistes en devenir qui gravitent autour du prodige. Ou du moins, c’est ce qu’affirme le communiqué de presse.
On nous présente Nikita Quasim et Soul Keita comme de très talentueux nouveaux venus sur la scène électronique. La première serait d’origine russo-afghane, et âgée de 19 ans, le second aurait 17 ans ( !) et vivrait en Ethiopie. Moi je veux bien. Mais cette histoire a quelque chose de louche. D’abord, aucune information n’est disponible sur les deux musiciens, en dehors de celles, lapidaires, fournies par le label. Pas de photo, ni d’interview. Encore moins d’apparitions en live. Ensuite, les productions des deux prétendues signatures de Clown & Sunset sont tellement proches de celles de son fondateur lui-même que, selon moi, la supercherie est évidente : Nicolas Jaar est le seul et unique auteur de cette compilation. Quasim et Keita n’existent pas. De nombreux sites sont pourtant tombés dans le panneau, y compris le très influent Resident Advisor…
En dehors du plaisir de berner quelques critiques peu attentifs, pourquoi s’inventer ainsi deux alter-égos ? Simplement pour distinguer les différentes facettes de son travail. Sous le nom de Soul Keita, il développe son obsession déjà bien connue pour l’éthio-jazz, comme le montre le final de "Dusties N 808", qui marie un beat hip-hop à un solo de saxophone rappelant fortement Mulatu Astatke. En tant que Nikita Quasim, il propose des sons plus délicats, évanescents… la fameuse « touche de féminité » du métrosexuel, en somme. Mais impossible d’être dupe, sa patte est bien là, sur tous les titres : piano omniprésent, mélodies mélancoliques jouées à une main, textures granuleuses et aquatiques, jeu permanent sur le silence et les décalages rythmiques… Ceux qui connaissent Jaar, et notamment son récent Marks & Angles, s’y retrouveront facilement.
Les techniques de fabrication n’ont certes pas changé, mais le beat a encore ralenti. La plupart des tracks lorgnent vers l’ambient et sont agrémentés de dizaines de sons concrets : portes qui grincent, éboulis de pierres, crissements de gravier… Des ajouts qui n’ont rien de décoratif, mais participent à l’étrangeté et au côté organique de morceaux comme "Goin’ Bad" ou le très fin "Dubliners". Le LP offre aussi des moments plus groovy, comme le petit bijou broken beat "Love You Gotta Lose Again", déjà entendu début octobre sur le 10’’ du même nom. Nicolas Jaar conclut donc en beauté cette année exceptionnelle, même si l’on devine qu’il garde ses meilleures cartouches pour l’album.
En bref : Nicolas Jaar trompe son monde avec cette vraie-fausse compilation dont il est sans doute l’unique auteur. Au menu, dix plages downtempo obsédantes, imprégnées d’éthio-jazz, de soul et de hip-hop. Idéal pour patienter jusqu’à février et la sortie de son premier album.
Le site et le blog de Clown & Sunset
Le site et le Myspace de Nicolas Jaar
A lire aussi : N. Jaar - Time For Us (2010) et N. Jaar - Marks & Angles (2010)