Avant l'internet, la critique du vin était l'apanage de journalistes et spécialistes dont les commentaires et notes étaient pris ± tels quels, chacun y accordant une valeur absolue ou relative, en fonction généralement de goûts et opinions partagés.
Robert Parker est devenu le critique le plus influent et de loin le plus suivi avec sa revue THE WINE ADVOCATE où il apporta une nouveauté remarquable : il indique en première page de tous les n° de cette revue la méthodologie qu'il suit, qu'il préconise, qu'il revendique. Cela se résume en deux phrases :
- autant que possible, je déguste à l'aveugle dans des séries de vins homogènes (même AOC, même millésime, ou même région).
- seul le contenu compte : ce qui est dans le verre.
Personne ne réclamait à l'époque quoi que ce soit. Mais chacun de louer cet engagement à clairement expliquer une méthodologie, une réelle transparence dans un monde où cela n'était pas évident.
Ces principes fondamentaux ont été ± suivis par d'autres critiques, et particulièrement par le WINE SPECTATOR qui insiste maintenant sur ses propres méthodes de dégustation à l'aveugle. Decanter s'y est mis également en publiant régulièrement des notes de dégustations réalisées collectivement par des comités idoines. C'est également la méthode utilisée par THE WORLD OF FINE WINE, et naturellement, depuis son origine en 1996, par le GJE.
Les faits, malheureusement, depuis quelques années, mettent en doute une pratique constante de cette méthodologie, Robert Parker lui-même reconnaissant volontiers qu'en de nombreuses circonstances, il ne déguste plus à l'aveugle.
Bien des billets ont été écrits sur ce sujet, notamment sur la nécessité - que nous comprenons parfaitement - de prendre en compte l'histoire d'un cru, tant il est vrai que l'expérience sur des millésimes mûrs ouvrent des perspectives de jugement pratiquement impossibles à avoir correctement lors de dégustations à l'aveugle. Personne ne conteste plus cet fait fondamental.
Cela soulève quand même quelques questions.
La première est celle de savoir à quel point un critique sera ± sensible au prestige de l'étiquette en face de lui, tant il est vrai que pour un cru célèbre, il fera inconsciemment plus attention à son commentaire. Il doit être évident pour chacun que plus un critique est indépendant de la propriété, plus on peut, en fonction de sa réputation, croire qu'il donnera toujours un point de vue objectif. A terme, au bout de quelques années, tout amateur a la capacité de vérifier si effectivement le commentaire mis sur un vin correspond à une réalité ou non. On comprend là que l'honnêteté du critique est une condition sine qua non de sa survie dans le métier, sinon il passe vite à la trappe des médiocres.
La seconde question vient quand même du fait des domaines de prestige, particulièrement à Bordeaux, qui veulent de plus en plus pour la campagne des primeurs que le critique vienne à la propriété. Il n'a donc pas la possibilité de déguster à l'aveugle. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les propriétaires veulent imposer ce système. Michel Bettane s'était violemment élevé lors d'une campagne "primeur" contre cet état de fait, et c'est à l'honneur du CIVB d'avoir mis en place, depuis, des salles où les vins de ses membres (pas tous, hélas) sont servis à l'aveugle. Il n'empêche : la tendance des grands noms est bien de ne pas proposer une telle méthodologie.
Mais ceci, la question de la méthodologie suivie par le critique, n'est qu'un petit élément du contexte des dégustations. Bien d'autres biais sont aussi sinon plus importants, tels que le fait de déguster en série ou le cru seul, de déguster un millésime accompli qu'un vin en devenir, de déguster à table ou non, bref, les circonstances d'une dégustation jouent un rôle éminemment fondamental tant il est difficile de s'extraire du contexte pour un jugement en absolu.
Grosso modo, chaque méthode a ses inconvénients et avantages, et plus le critique s'est forgé une réputation d'indépendance, plus ces inconvénients et avantages sont "lissés" pour ne devenir qu'un facteur secondaire. Et surtout, il faut impérativement éviter des procès d'intention, dans quelque sens que cela soit. In fine, c'est bien l'amateur qui, par ses réactions d'achats, octroie au critique qu'il suit ses lettres de noblesse.
Où l'on constate ici qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat et que tout cela peut se discuter sans passion excessive.
Alors : où veut-on en venir ?
A ceci : pour éviter toutes questions inutiles, sous-entendus néfastes, il deviendra de plus en plus impératif que chaque critique digne de ce nom indique dans ses rapports ou publications, comment il déguste, les circonstances (ce que font par ailleurs de plus en plus les Guides annuels). S'il affirme une méthodologie précise et que pour des raisons x ou y il ne peut s'y tenir dans telle ou telle circonstance, il me semble honnête que cela soit clairement indiqué.
Est-ce trop demander ? Que craignent donc les critiques qui ne veulent pas s'astreindre à cette transparence ? Si leur politique est un peu le "take it or leave it", ils créeront autour d'eux, fatalement, un doute sur leur objectivité, tant il est vrai que se dégager de toutes influences est une tâche particulièrement redoutable. Et c'est créer un climat inutile d'éventuels suspicions, doutes, incertitudes.
A titre perso - ce n'est que mon opinion - je reste convaincu qu'il existe une poignée de grands critiques qui, vu leur réputation et surtout le passé de commentaires confirmés par les faits, sont au-dessus de ces problèmes. Mais alors, qu'ils nous disent clairement comment ils ont dégusté, les circonstances, car une telle transparence serait tout à leur honneur. Chacun ensuite accordera, selon ses propres vues, l'importance, la foi à donner à ces critiques.
Et qu'on sache bien que derrière tous ces billets traitant de ce sujet, mon souci majeur est que la critique ne traite pas les vins moins connus de façon plus cavalière. C'est là le problème actuel majeur : porter la même attention d'analyse à un cru célébrissime qu'à un vin bien moins connu.
A cet égard, l'amateur se doit de lire avec attention aussi bien les sections "vins plaisir immédiat" du Guide Bettane-Desseauve que les "Sleepers" du Wine Advocate. On y trouve là des pépites à prix correct tout à fait capables de nous offrir de belles satisfactions, sans penser sans arrêt au prix que cela a coûté.