Ce dernier roman de Miano a de quoi surprendre ses lecteurs habituels. En effet, c'est comme si l'auteure avait décidé ou accepté de descendre un peu de son piédestal pour être plus en phase avec les préoccupations immédiates du commun des mortels. Ses précédents romans étaient tracés selon une ligne philosophique et existentielle qui n'est pas totalement absente dans celui-ci, mais n'y apparaît qu'en arrière-plan. L'écriture même, plus abondamment baignée de musique, paraît moins... comment dire ? agressive ? Je veux dire par là que ses textes avaient quelque chose de percutant dans la forme et le fond, on sentait que l'auteure avait des choses à dire et que celui qui n'avait pas d'arguments valables n'avait pas intérêt à l'arrêter pour rien. Comme les femmes dont il est question dans le roman, notamment Akasha de qui je rapproche le plus l'auteure, elle pouvait jusque-là sembler une "guerrière", une "amazone" ou tout simplement une femme qui montrait qu'elle avait des griffes pour se défendre, ce qui pouvait effaroucher ceux qui s'arrêtaient à cette combativité affichée.
Dans Blues pour Elise, Léonora Miano paraît plus ouvertement sensible. Elle nous présente plusieurs tableaux de femmes, des tableaux dressés de telle sorte que les uns éclairent les autres de leurs reflets. Femmes aux blessures multiples : familiales, sociales, sentimentales..., des femmes qui ne demandent à la vie qu'un homme à aimer, qu'à être aimées telles quelles sont. Il y a d'abord la bande de filles baptisée les "Bigger than life" et composée de quatre jeunes femmes : Akasha, Amahoro, Malaïka et Shale. Chacune avec son style, son physique, sa personnalité. Il y a aussi quelques uns de leurs proches : Estelle, la soeur de Shale. Elise, leur mère. Fanny, leur tante, soeur d'Elise. Au milieu de ces tableaux de femmes, celui d'un jeune homme : Baptiste, alias Bogus, le fils de Fanny. Tous avec leur vie à porter, à inventer ou à réinventer.
Léonora Miano l'annonce dès le départ : elle montre dans son Blues pour Elise des "Afropéen(ne)s" qui ne sont pas en quête des allocations familiales, car c'est généralement le reproche qu'on fait aux immigrés en France, notamment les Noirs. Tout leur être ne tend que vers un objectif : l'amour.
Un petit extrait pas du tout choisi au hasard, vous comprendrez pourquoi :
"Sa voix l'enveloppait. L'homme était un maître de la parole. Ah, la magie de son verbe... Il parlait des vies antérieures au cours desquelles leurs âmes avaient cheminé. Ils étaient l'un avec l'autre, l'un à l'autre, depuis que la vie était apparue. Il disait les constellations qu'ils habitaient en esprit, et dont leur peau mate emprisonnait jalousement l'éclat, contait les paradis perdus, les aubes à conquérir, bientôt, à force d'amour". (Blues pour Elise, page 31)
Alors, pourquoi cet extrait ? Pas simplement parce qu'on s'y trouve en plein dans le sujet même du livre, l'amour, mais surtout parce qu'on y entend l'écho des précédents titres de l'auteure : "constellations", "éclat", "aubes", comme pour mieux se démarquer avec eux.
Léonora Miano, Blues pour Elise, Editions Plon, octobre 2010, 206 pages. 18 euros. Une invitation à l'amour.