Mercredi 1er décembre, Nicolas Sarkozy se déplaçait à Orbec, dans le Calvados, pour une table ronde organisée sur la médecine de proximité. Il avait choisi Orbec parce qu'on y a installé un pôle de santé, dans une ancienne école maternelle. le village est typique du coin, petit et avec ses maisons à colombage. Et puis, un petit bourg de 2 500 habitants en pleine campagne normande, cela se contrôle toujours plus facilement. Lourdement accompagné de journalistes comme à chaque fois, il a pu se faire photographier au milieu de passants souriants, que l'on devine militants encartés à l'UMP comme à chaque déplacement présidentiel.
Comme la semaine précédente avec les éleveurs, la réunion fut introduite par des remerciements au ton monocorde du député local également médecin orthopédiste: « merci pour tout le pays d'Auge et de votre attention pour les professionnels de santé ». Comme chez les éleveurs, Sarkozy ne leva pas les yeux de ses papiers pendant cet hommage introductif. La démographie médicale est un sujet en or. Il mêle ruralité, social, et médecine, trois axes privilégiés de la communication électorale pour 2012. Il manquait un agriculteur, et le tableau sarkozyen aurait été complet.
Choisir son panel
« Le Président débat avec les professionnels de la santé » nous promet-on. Vraiment ? Quels étaient donc ces professionnels de la santé soigneusement sélectionnés ? Nicolas Sarkozy allait-il débattre avec des contradicteurs coriaces, représentants des syndicats de médecins, d'infirmières ou d'urgentistes ou partenaires sociaux ? Allait-il recevoir des associations humanitaires, telles Médecins du Monde ? Non... Evidemment non. Il voulait une assistance docile.
Orbec est un village de 2 500 habitants. Autour de lui, dans le grand gymnase local qui l'accueillait pour la table ronde, Sarkozy parlait avec des « professionnels » soigneusement choisis : un jeune médecin tout juste diplômé et installé dans le coin pour parler des problèmes de formation, l'un de ses aîné, médecin du village depuis 19 ans président du club local de karaté et installé dans le pôle de santé d'Orbec, pour évoquer la place des personnels paramédicaux, une infirmière libérale installée dans l'agglomération caennaise voisine depuis 19 ans également, et un généraliste retraité de 62 ans, et une mère de famille qui parlera « de ses attentes en tant que patiente ». Sans remettre en cause la sincérité de ces « témoins », force était de constater qu'ils n'en menaient pas large.
Bref, que du lourd ! Le président de la cinquième économie du monde s'était en fait préparé un panel digne d'une émission télévisée avec Jean-Pierre Pernault ! A Orbec, Sarkozy ne craignait pas la contestation, il cherchait l'anecdote de terrain. On parlerait cas individuels pour évacuer les problématiques beaucoup trop sérieuses pour être évoquées en public, que sont la privatisation rampante de l'assurance maladie, l'insuffisance des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine ou les déremboursements croissants.
Préférer l'anecdote
Le discours de l'anecdote est une tactique connue et fréquemment utilisée en Sarkofrance.
Evidemment, Sarkozy débuta par des remerciements, son admiration pour la Normandie, l'accueil qui lui fut réservé, des encouragements pour son nouveau/ancien ministre du Travail Xavier Bertrand qui a « toute sa confiance pour cette mission essentielle » et pour Nora Berra, secrétaire d'Etat à la Santé, et des félicitations pour le docteur Elizabeth Hubert, ancien ministre, « qui a fait un rapport remarquable » sur la médecine de proximité demandé par l'Elysée en avril dernier. Faussement très concentré, Sarkozy avait ses yeux régulièrement rivé sur les quelques notes, par ailleurs publiées sur Elysée.fr, pour assommer l'assistance de ses déclarations.
La séquence est connue. D'abord, insister sur le fait qu'on a déjà beaucoup fait. Ensuite, enchaîner sur des constats dramatisés, réels ou exagérés, pour faciliter l'identification de l'auditoire. Ensuite, alterner grosses évidences et subtiles tartuferies, volontarisme sur les principes et faiblesse des mesures concrètes
Dramatiser
Sarkozy joua donc la séquence prévue. Il démarra par un : « Quelle est notre idée ? On a, sur les trois premières années de mon mandat présidentiel, consacré beaucoup d'énergie à réformer l'hôpital qui se trouvait confronter à des problèmes de gouvernance, ... le pouvoir de décision étant disséminé entre un tel grand nombre d'acteurs que tout le monde avait le pouvoir de dire non et personne n'avait le pouvoir de dire oui... (et oui, ça recommence. Cette fable sur le pouvoir de dire non ou oui, Sarkozy l'a déjà servi aux Maires de France, le 23 novembre, puis aux éleveurs le 25 novembre) ... des problèmes également financiers puisque 69% des hôpitaux étaient en déficit. »
Puis, sur chacun des sujets évoqués ce mercredi, Sarkozy dramatisa le tableau des insuffisances du moment, occultant sa propre responsabilité. Sarkozy s'étonna ainsi que les urgences soient si chargées : « maintenant, dès qu'il y a un problème, on va aux urgences. » Quel constat ! Le président français ne s'interroge pas plus. Pourquoi les urgences sont-elles devenues le refuge des plus pauvres ? Sept millions de Français n'ont aucune mutuelle. Les vagues de déremboursements et autres franchises médicales ont accru la précarité des classes populaires.
Autre exemple choyé, les médecins de proximité s'installent trop tard : « Les chiffres sont catastrophiques (il se plonge sur ses notes). Il y a 25 ans, on s'installait en médecin généraliste à 30 ans. 25 ans après, on s'installe à 37. Plaignons-nous après du vieillissement de l'offre médicale de proximité. ... Comment voulez vous... 37 ans ! Pire, nous avons aujourd'hui, sur 10 internes sortants de l'hôpital, avec une excellente formation, sur 10 internes, ... il y en a un seul qui s'installe en cabinet libéral... vous vous rendez compte ! 10% ! »
S'indigner facilement
De temps à autre, il fallait enfoncer des portes ouvertes : ainsi, médecine de proximité et hôpital seraient complémentaires et il est scandaleux de penser l'inverse. On ne souvient pas de grandes polémiques sur le sujet. « Auparavant, il y avait une opposition entre les uns et les autres. Avec les Agences régionales de santé, on créé les conditions d'un lieu unique pour décider de l'organisation de la santé dans une région ».
Autre porte ouverte, « on n'sait pas vraiment comment l'appeler la médecine de proximité ». Sarkozy s'interroge à haute voix sur cette question inutile : médecin de ville ? Médecin libéral ? Médecin généraliste ?
Sarkozy parla aussi de « crise identitaire », curieux concept pour la médecine; Il s'indigna sur le manque de médecins à la campagne : « ll n'y a jamais eu autant de médecins en France - 210.000 - et jamais il n'y a eu autant de régions (...) sous-représentées médicalement. On ne peut pas continuer comme ça. » Et d'ajouter : « Je suis persuadé que la coercition ne marche jamais mais l'incitation peut marcher. »
Crier beaucoup, proposer un peu
« Vous n'aurez pas longtemps à attendre avant de voir la détermination réelle du gouvernement en la matière » expliqua le Monarque. On allait voir ce qu'on allait voir. Quelles furent, concrètement, les propositions ?
1. Sarkozy a proposé d'instaurer une rémunération à tiroirs : « trois étages » pour la rémunération principales des médecins (paiement à l'acte, forfaitaire « pour rémunérer des activités ou des contraintes spécifiques », et bonus sur objectifs de santé publique); mais aussi compensation au titre des cette « mission de service public », voire « rémunération pour la permanence des soins ». Moduler les rémunérations en fonction des résultats ? Après la police, la politique du chiffre d'appliquerait à la médecine. « Le médecin qui fait un travail de prévention n'est pas récompensé par rapport à son confrère qui ne s'en occupe pas » a déclaré Sarkozy. Pourtant, comme le rappelle les Echos, l'assurance-maladie propose déjà, depuis 2009, « des primes aux résultats pour les généralistes qui signent des contrats d'amélioration des pratiques individuelles.» Sarkozy n'est pas allé, ce mercredi, jusqu'à reprendre certaines des recommandations de Mme Hubert, qui suggérait dans son rapport sur commande, de prévoir des tarifs de consultations modulables en fonction de la complexité du diagnostic. Une démarche qui faisait fi des inégalités de revenus des patients.
2. Contre les déserts médicaux, Sarkozy recycla sa proposition de la semaine précédente, faite devant les maires de France : « Nous avons donc décidé de financer les études d'un certain nombre d'étudiants en médecine, nous l'Etat. En échange de ce financement, ces étudiants en médecine devenus médecins s'installeront pendant quelques années dans une région où il y a une sous-densité médicale.»
3. Sarkozy a aussi rappelé une ancienne proposition de mai 2010 de subventionner à hauteur de 35% la création de 250 maisons de santé d'ici 2012. 160 existent déjà. En fait, le plan gouvernemental est de conditionner ces subventions à « l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération des professionnels », avait expliqué Roselyne Bachelot en juillet dernier.
4. Enfin, Sarkozy « aimerait » faire une meilleure place à la formation des médecins généralistes et la création « rapidement » d'un nouveau statut juridique pour les pôles de santé pluridisciplinaires et d'un « guichet unique avant le 1er juillet 2011, autour des Agences régionales de santé (ARS) »
N'a-t-il pas oublié quelque chose ? Ah si... les patients, la sécurité sociale, les remboursements... Une récente étude de l'Institut de recherche et documentation en santé (IRDES) explique que 14% des plus modestes (moinds de 870 euros de revenus mensuels) ont modifié leur comportement. L'IRDES détaille : « les franchises de 0,5 € sur les boîtes de médicaments, mises en place le 1er janvier 2008, avaient notamment pour objectif d’inciter les individus à réguler leur consommation de médicaments. Néanmoins, la somme prélevée par boîte étant la même quels que soient la nature du médicament, le niveau de ressources et l’état de santé des individus, cette charge financière pèse plus fortement sur les individus malades ou à faibles revenus et peut les contraindre à renoncer à des soins utiles.» L'IRDES rappelle encore que les franchises ne sont pas couvertes par la majorité des contrats de mutuelle.
Après ses deux heures et demi, dont une heure de visite, Sarkozy est reparti avec ses ministres. Aussi rapidement que les annonces promises. Dès la fin de l'année, c'est-à-dire dans trois semaines, Xavier Bertrand et Nora Berra annonceront des mesures contre les déserts médicaux. Quels furent les échanges, ce mercredi de décembre ? Ils furent nuls. Sarkozy, ce mercredi, ne parlait pas de santé, mais de médecines; il ne parlait pas de soins, mais de coûts. Pas un mot sur la résurgence des maladies hier disparues. Coïncidence, on apprenait la même semaine que la jaunisse du nourrisson réapparaît en France. Maladie bénigne si elle est soignée tôt, elle peut entraîner des atteintes cérébrales faute de traitement. L'Académie de médecine a lancé un cri d'alerte, regrettant « la pression administrative pour une sortie de maternité de plus en plus précoce, parfois sans avis pédiatrique et sans information adéquate des parents ».
Ami sarkozyste, ne tombe pas malade.