Irlande du sud-ouest, 666 de notre ère. L’auteur, historien et écrivain celtisant n’a sans doute pas choisi cette date par hasard. Il a pris un malin plaisir à utiliser le « chiffre de la Bête », cité dans l’Apocalypse de Jean comme année de fin du monde. Cette fois, il s’agit de la fin du monde druidique…
Sœur Fidelma poursuit son exploration de la contrée où règne son frère, le roi de Cashel. Suivant de livre en livre le sens horaire, elle aborde cette fois le nord-ouest, une contrée fermée, entourée de collines escarpées et protégée de forêts – en bref sauvage et passablement archaïque. Tout le monde y est cousin et les ambitions, la cupidité, le sexe, y sont les passions de base.
Appelée pour un crime, le meurtre au poignard du chef du lieu nu dans son lit, Fidelma et Eadulf, son fidèle comparse, auront à débrouiller l’intrigue tissée par une diabolique aragne. Le titre anglais est en effet plus net que la traduction française : il s’agit bel et bien d’une toile d’araignée qu’a patiemment tressé le meurtrier. Tout se tient, tout s’englue, tout est miroir. D’où la particulière difficulté de cette enquête où, comme dans les intrigues de l’inventive Agatha, le lecteur n’y voit clair qu’à la fin.
Entre temps, il aura pénétré les mœurs du temps et fait connaissance avec les gens du pays. Comme partout au monde, il y a les lâches et les courageux, ceux ouverts aux autres et ceux fermés, emmurés dans leur ambition, leur orgueil ou leur fanatisme. Il est loin, le monde d’avant, où les druides étudiaient longuement pour découvrir qu’il y a plus de chose dans le ciel et sur la terre que ne peut embrasser notre entendement. Désormais, la foi de Rome « sait ». Par révélation. Garde à vous, en rang par deux, veux pas l’savoir ! Toute « vérité révélée », à laquelle on croit comme au Savoir ultime, rend aveugle, arrogant et sans aucune tolérance. Le père Gorman, chef de l’abbaye du lieu, est de ceux-là. Un vrai commissaire politique du Parti de Rome.
Mais il ne s’agit pas, pour l’auteur, d’opposer le monde d’avant, qui aurait été idyllique, au monde nouveau, plein de noire fureur. Ce qui compte est l’humanité des êtres, l’humanisme dira-t-on quelques siècles plus tard. « Avec le temps, dit Fidelma, les coutumes changent, nous avançons avec elles et il n’est point de retour en arrière possible. Mais je crois que nous partageons les mêmes convictions. » p.318 Ces convictions tournent toutes autour du « libre-arbitre », qui est dans « l’ordre spirituel du monde. » Ce libre-arbitre est permis et étayé par le droit dans les sociétés dignes de ce nom. Et, quoique reculée et archaïque, la petite chefferie du lieu a la sagesse d’y obéir. Fidelma doit imposer son savoir juridique et son impartialité de juge. Elle y excelle.
Le droit en commun, plus que la loi de la majorité si chère aux Jacobins, importe aux Celtes que sont les Irlandais, tout comme aux Angles et aux Saxons des contrées voisines. La législation est comme « un mur pour se défendre contre une armée ennemie », « le résultat de bien des siècles de sagesse humaine et d’expérience pour protéger et punir. » Mais « il faut soumettre la loi au bon sens et à son propre jugement. Saint Matthieu a très bien résumé ce dilemme en nous prévenant de ne pas juger si nous ne voulons pas être jugés. » p.318 Telle peut être la belle leçon de cette intrigue qui, sans en avoir l’air, puise dans le passé lointain pour mieux nous parler du présent.
Peter Tremayne, Le secret de Moen (The Spider’s web), 1997, 10/18 2005, 319 pages