Etat chronique de poésie 1068

Publié le 05 décembre 2010 par Xavierlaine081

1068 

Dans un grand cliquetis de clefs et de portes blindées, on entre. Sans un mot, on dépose quelque chose sur la table blanche, dans l’assiette blanche.On sort. 

Tu n’as rien entendu, même pas ouvert tes paupières. Tout est si loin de toi désormais. Tu te lèves avec lenteur, tardes à ouvrir tes yeux qui ne servent pas à grand-chose, dans l’univers livide qui est le tien.

Assis devant le brouet, il te faut une force colossale pour soulever l’assiette et la porter à ta bouche. 

Dans ce temps infini que tu occupes à tenter ce seul geste qui t’es encore accordé, quelque chose se met en route dont tu ignores les ressorts. 

« Je me souviens. 

C’était au début. 

Mais c’était quand le début ?

Très rapidement, 

J’avais perdu la notion du temps. 

Alors, pour me rattacher à quelque chose, 

Je mesurais à la longueur de mes pas, 

puis de mes pieds, 

puis de mes orteils, 

et je recommençais avec mon bras, 

mon avant-bras, 

ma main,

mes doigts. 

Je mesurais l’espace. 

Tout y passait : 

La largeur de mon grabat, 

Puis sa longueur, 

Puis sa hauteur. 

Je procédais ainsi avec les rares objets présents, 

Mes compagnons d’infortune. 

Je passais ensuite à la distance qui les séparait. 

Je cherchais à me situer dans ma cellule. 

Combien de temps ça m’a pris ? 

Je ne sais.

Ce dont je suis sûr, 

C’est d’avoir recommencé, 

Car je me perdais. 

C’est pas grand pourtant. 

Mais je me perdais… » 

Tu ris tout seul, penché au-dessus de cette table, scellée au beau milieu de la pièce. 

Ton esprit s’évade : il te vois monter sur la table qui se découvre des pieds télescopiques. 

Tu montes ainsi jusqu’à la fenêtre et les nuées noires qui s’y dessinent, à cet instant (mais que vaut l’instant sans passé ni avenir ?). 

Tes mains passent à travers la vitre hermétiquement close, mais tes yeux, eux , restent dans le blanc informe de ta prison. 

Te voilà passé à ce stade ultime avant que tout bascule : tu peux encore tenter l’évasion par l’esprit, mais tes organes, eux conservent les chaînes et ne peuvent quitter l’espace restreint de ton confinement. 

C’était juste avant que tu ne daignes plus te lever du tout, la partie physique de ton être ayant déserté de toute espérance. 

Manosque, 5 novembre 2010 

©CopyrightDepot.co 000455677