C’était juste après l’entrée de la rédaction à laquelle on accédait par 3 marches. C’était aussi le coin où se posaient les pigistes tels Albert Ducrocq, Frédéric Pottecher, Philippe Bauchard, le Dr Europe, etc.
J’étais tout près de la salle des « télex » : une bonne demi-douzaine de télex imprimait en permanence les « dépêches » sur une épaisseur de 5 feuillets. Une jeune étudiante les découpait au fur et à mesure pour les répartir dans des corbeilles à destination des gens concernés selon le thème. Les « chefs » recevaient la totalité. Une clochette tintait lorsqu’il y avait des « urgents ». A force l’époque, nous avions tous plus ou moins les mains sales à force de manipuler le côté carboné des dépêches et les journaux à l’encre baveuse.
Dans le même endroit, se trouvaient aussi les secrétaires, les soeurs « frappe-frappe » comme se plaisait à les appeler Pascal, l’assistant du Directeur Général. Il y avait celles du matin, celles de la journée et celles de la nuit. Elles étaient à la disposition des journalistes présentant les journaux et les flash pour taper leur texte sous la dictée. Il y avait donc beaucoup plus de passage qu’au début. Et le passage crée les rencontres.
J’ai donc fort bien vécu ce déplacement géographique. J’étais dans mon élément : l’animation et l’agitation, et notre bureau était très passager et animé. Gorini me paraissait très amusant… beaucoup plus drôle que mon patron qui paternalisait toujours autant, regardait sa montre quand j’arrivais (toujours en avance) ou quand je partais. En plus de mon travail (qui atteignait facilement plus de 50h/semaine), je m’étais inscrite en 1ère année de licence de droit à Assas. Mes T.D. avaient lieu au lycée Montaigne, le soir après le boulot où je ne chômais pas. J’avais 21 ans et de l’énergie à revendre.
Leroy, lui, administrait la rédaction en même temps qu’il continuait ses éditoriaux et son émission de débat quotidienne. Il ne m’était pas apparu que le droit allait être chronophage jusqu’au jour où… Une après-midi, j’étais en train de peaufiner mon premier exposé en droit constitutionnel prévu pour le soir. (Mon petit copain m’avait conseillé le « plan sciences-po : thèse, antithèse et synthèse ». Mon travail tenait donc sur une page). Las ! Mon boss, arrivé subrepticement derrière moi m’arracha la feuille manuscrite des mains et me convoqua illico dans son bureau. J’ai dû m’expliquer sur ce que je faisais qui n’avait rien à voir avec le travail pour lequel j’étais salariée ! Et j’ai eu droit à un « double avertissement » sans mise à pied. Au prochain écart, je serais mise à pied. Ca m’a complètement bouleversée… il avait été très menaçant et j’avais été humiliée. J’ai eu le sentiment d’être grondée par un père tyrannique. C’était un tyran paternaliste. Je n’ai plus jamais fait un travail personnel au bureau. Une autre fois, j’avais fait un courrier à la machine pour un copain journaliste stagiaire. C’était pendant l’heure du déjeuner, donc sur mon temps de loisir. L’après-midi, je me suis pris un savon. Je ne devais travailler que pour lui, il était mon patron et je ne devais pas travailler pour d’autres ! Quand je lui ai demandé comment il l’avait su, il m’a répondu « j’ai fouillé dans votre corbeille à papier et ai vu le double que vous aviez jeté« ! Pathétique ! Mais j’ai continué à subir.
Il était odieux avec tout le monde. Lorsqu’il a fallu virer l’éditorialiste économique du matin (Pierre Meutey) parce qu’il avait eu le malheur de critiquer un des principaux clients de la régie publicitaire, c’est Leroy qui s’en est chargé. C’était lui l’exécuteur des mauvaises tâches ! Un matin d’ailleurs, j’eus la surprise de voir le verre de son bureau à l’entrée de la rédaction -encore une cage de verre- complètement fendillé. C’était Levaï qui s’était énervé au cours d’une prise de bec avec J.C. Dassier -deux tempéraments volcaniques et opposés-. Il avait donné un coup de poing dans la vitre pour se défouler puisque certains les avaient séparés ! Quelle ambiance ! En fait, je me frottais avec l’atmosphère qui régne dans les médias, qui n’avait absolument rien à voir avec celle, finalement très décontractée et harmonieuse dans laquelle j’avais évolué avant, chez les Amerlocains.
J’avais de grands moments aussi, par exemple lorsque Frédéric Pottecher arrivait, immédiatement il y avait foule autour de lui pour l’écouter raconter le procès qu’il couvrait pour Europe 1. De temps en temps, les éditorialistes offraient des « pots » à la rédaction… c’est là que j’ai commencé à me faire plein de copains, même l’équipe qui travaillait pour Siégel. Dudu, son chauffeur ne me faisait plus peur, je supportais mieux ses blagues, d’autant qu’il avait cessé de me draguer. Comme c’était le soir, mon patron était à l’antenne, et l’ambiance de la rédaction devenait beaucoup plus conviviale. Je commençais à connaître des techniciens, des monteurs-son et à rigoler avec eux. Ca me changeait de la psycho-rigidité de mon boss. Jeannine était une collègue agréable mais nous n’avins pas les mêmes préoccupations. Elle cherchait l’âme-soeur, moi je l’avais trouvée (pour un certain temps). Je vivais ma vie de soixante-huitarde avec mon petit copain soixante-huitard et je faisais mon boulot. J’avais trouvé un petit studio dans le 18e arrondissement, en bref j’étais bien… heureuse.
En Suisse, j’avais pris la pilule donnée sans problème par les médecins mais à Paris, le toubib conseillé par ma collègue m’a ordonné des examens supplémentaires à faire. J’ai eu l’impression qu’il n’était pas vraiment « chaud » pour me donner la pilule. Et, bien sûr c’est à ce moment-là, « grâce à un préservatif », que je me suis retrouvée enceinte ! C’était d’ailleurs au moment où le Nouvel Obs avait titré sur le »manifeste des 343 salopes« , toutes des femmes en vue qui avouaient s’être fait avorter et demandaient qu’on libéralise l’avortement en France où il était réprimé. Inquiète, je lisais tous les témoignages de ces pauvres femmes passées entre les mains de « faiseuses d’anges », dont la vie avait souvent tourné au drame suite à des infections. Je n’étais pas prête du tout pour une grossesse. Je devais donc me faire avorter. Quelques copains « mis dans la confidence » m’avaient trouvé des adresses qu’on se passait sous le manteau. La police de Poniatowski s’était raidie suite à l’article du Nouvel Obs. De mon côté, j’étais désespérée. Si je trouvais un avorteur, il se défilait toujours quelques jours après et je ne voulais pas être « sabotée » par une faiseuse d’anges.
J’ai donc pris la décision de partir du côté de Genève, non sans m’être assurée qu’on me donnerait des adresses là-bas. Je pris officiellement 5 jours de vacances et partis pour la Suisse après avoir déménagé du 18e au 5e arrondissement de Paris. Jeannine assurerait le secrétariat en mon absence. Elle était au courant de mes déboires, sans plus. Grâce à ma double nationalité, ce fut fait très rapidement et dans de bonnes conditions d’hygiène.
Ce que je ne savais pas, c’est qu’elle a « craché le morceau » à mon patron. Je le saurais un an plus tard, alors qu’enfin mariée, elle était partie s’installer avec son mari en Alsace. C’est là que je me rendrais compte de la capacité de bavardages nocifs qu’il peut y avoir dans une rédaction, dans des esprits mesquins ou légers. Ce sera pour le prochain épisode. Certains vont juger ces révélations plus personnelles que « PAFesques ». Elles ont leur importance sur mon avenir et j’assume sans aucun problème.