Hypothèse : le beatmaker le plus influent de l'année s'appelle DJ Screw. Problème : il n'a sorti aucun nouveau morceau et pour cause, il est décédé en 2000. Malgré l'évidence du handicap, l'homme règne de façon fantomatique sur des pans entiers de la musique électronique déviante depuis des mois. Mixeur hip-hop originaire de Houston, soit le lieu saint le plus vénéré de tout fan de rap yankee à la fin des 90's, DJ Screw a créé de toutes pièces sur ses innombrables mixtapes un nouveau genre , le "chopped & screwed", à partir d'une idée simplissime mais diablement efficace, à savoir ralentir tous les morceaux qui lui passaient sous la main. L'acte peut certes s'envisager comme une résistance à la tyrannie des bpm à l'heure où la vitesse définit la modernité mais plus prosaïquement il semble avant tout résulter d'une consommation massive de codéine interdisant donc toute frénésie. Quelle que soit l'intentionnalité du geste , le style Screw produit un effet déréalisant assez , euh, stupéfiant sur l'auditeur : les vocaux décélérés associés à des basses étirées au-delà du raisonnable se confrontent mollement aux beats invariablement moelleux, à la limite de l'invertébré, le tout générant une étrange ambiance de fin du monde lounge.
Approche de l'apocalypse version maya aidant , nombre de laborantins musicaux semblent avoir redécouvert le Texan ces derniers temps. Côté ricain , certains acteurs du footwork , DJ Nate en tête , triturent leur vocaux façon Screw enfantant par là-même un psychédélisme empirique assez enthousiasmant. Malgré une intention initiale similaire, les papes de la witch house Salem échouent sur leur album King Night à fusionner le "screwed & chopped" et le shoegazing pour , de fait , produire la cloonerie gothique la plus surestimée du moment. Bien qu'affreuse, leur démarche témoigne néanmoins du rayonnement important de DJ Screw bien au delà des cercles hip-hop traditionnels.
Mouvement aux inclinations latines, le Moombahton promu par Dave Nada peut toutefois aussi s'envisager comme une version codéinée de la house et vient confirmer la tendance à la décélération générale question tempo.
Plus étonnant , le prodige post-dubstep James Blake converge étrangement vers le Screw sur son anthem CMYK et surtout à travers son side-project Harmonimix consacré à des relectures abstraites de morceaux hip-hop , r'n'b ou grime.
Enfin , en pleine hallucination auditive, on a également cru repérer la patte "chopped & screwed" dans le dernier single de... Cassius.
Mais promis, on va y aller plus doucement niveau codéine.
Bonus Track :
Tek 9 - You Got To Slow Down (Reinforced / 1993)