Comment un groupe dont Maurice G. Dantec était membre a jeté les bases de l'electro à la française!
Par Eric ‘Riton’ Vennettilli.
Montréal, décembre 2005.
Avertissement :
Ce texte représente la vision personnelle de l’auteur sur l’histoire du groupe Artefact, de sa genèse, de sa disparition et de ses conséquences.
Il n’est pas à l’abri d’erreurs de dates, d’oublis ou de confusions. Il ne cherche pas à être objectif, mais authentique. Maurice
Dantec n’a pas donné suite à ma proposition de collaborer à sa rédaction.
Jean-Bernard
‘Poulpe’ Pouy dit JB
Tonino ‘polard’
Benacquista
Eric ‘Riton’ Maurice ‘G’ Dantec
Vennettilli
William Burroughs J. G. Ballard
Mon nom est Eric Vennettilli, alias ‘Riton’ V., alias Dynamo, né
le 23 janvier 1959 sous le signe du Verseau, élevé à Villejuif,
ville-dortoir de la banlieue parisienne.
Septembre 1975, première rencontre avec Maurice ‘G’
Dantec au foyer culturel du Lycée Romain Rolland d’Ivry-surseine.
Une sorte de salle de perm’ informelle, née des expérimentations
soixante-huitardes, animée par Jean-Bernard
‘Poulpe’ Pouy, grand’frère qui nous initie (ainsi que notre
camarade Tonino Benacquista) à la littérature policière et SF,
aux théories artistico-politiques des Situationnistes ou au
cinéma de Chris Marker (la Jetée) et de George Lucas (THX
1138, American Graffiti).
Mes spectacles marquants : Led Zep et Deep Purple en 73,
Lou Reed à l’Olympia au moment de Rock’n Roll Animal,
‘Foutoir’, pièce de théatre de Marc Caro au festival d’Avignon,
‘Einstein on the Beach’, avec la musique de Philip Glass, le
concert de Nico et Tangerine Dream à la cathédrale de Reims
(un miracle), Kraftwerk au Ba-ta-clan pour la tournée
Autobahn. Au concert du groupe Hawkwind, je rencontre la
fille d’un musicien comtemporain, Paul Mefano, qui m’initiera à
Stockausen, Pierre Henry, Xenakis, Terry Riley et autres
papes des expérimentations concrètes ou répétitives.
Dantec (cheveux longs, tee-shirt Blue Oyster Cult) est un fan
de Heavy Metal et des New York Dolls, moi-même de Lou
Reed et Roxy Music. Nous partageons notre passion musicale
pour les Stooges, Bowie, Kraftwerk ou les Ramones, et littéraire
pour Burroughs (Les Garçons Sauvages), Bukowsky,
Ballard (Crash!), Philip K. Dick (Ubik), Norman Spinrad (le
Chaos Final), et d’autres écrivains cyberpunk.
On se met à rêver de faire de la figuration dans le film de
Jodorowsy, DUNE. Mais, le projet du film ayant capoté, on
part en camionette dans le désert marocain pour l’été.
1976, on se branche sur un mouvement alors inconnu, le
punk. On lit les articles d’Yves Adrien, et de Patrick Eudeline,
que nous rencontrons avec les musiciens de Métal Urbain,
lors du colloque de Burroughs et Gysin au centre Beaubourg,
qui se termine en émeute.
Cette année se passera principalement à sécher les cours
pour parler politique, rock et littérature au troquet St
Christophe, fumer des joints dans les chiottes et faire des
batailles de farine sur les pelouses du lycée. Je lance un projet
de spectacle, ‘Sabotage’, sorte de happening de théatre
rock qui ne verra jamais le jour. Suis viré de Romain Rolland
et me retrouve à 300 m, à Jean Macé.
On se balade alors dans une vieille caisse des années 50,
une Simca Ariane 4 bleu ciel. Après avoir vu Taxi Driver, notre
futur bassiste Marc L’Azou devient pompiste de nuit à la station
de la place d’Italie. On habite le quartier de Tolbiac, et on
se fait ratonner par les ‘bananes’ (les teddy-boys de la porte
de Choisy) qui cassent du pt’it punk à la batte de baseball.
Avec ma mèche peroxydée, veste de la RATP et pulls
troués, je suis le premier (et seul exemplaire) punk du
lycée. Au ciné-club, on prête des caméras super-8 et de
la bobine. Vingt ans avant le ‘scandale’ Cronenberg, je
décide de tourner un film inspiré de Crash!, et embauche
Dantec dans le role de Vaughan, le neuro-chirurgien
fou. Pendant des semaines, on va hanter les casses
de la nationale 7, les garages, les échangeurs d’autoroutes.
Je filme des chats écrasés, Mo se masturbant
sur le cuir d’une Citroen SM de 73, Marc vomissant
dans la carcasse d’une Chambord. Nous passons nos
nuits dans un bar à bière de l’ile St Louis, au TapeCul,
ou viennent nous rejoindre Jacno et ses Stinky Toys.
Marc sort avec une strip-teaseuse de Pigalle, et on va
la chercher à la fin de sa tournée, au Tamaris ou au
Folie’s, armés de cuir noir et de lunettes Velvet. Vers 5
plombes du mat’, on croise souvent un Eudeline blafard
dans le seul resto de hamburgers de Paris, le Wimpy’s.
Mon film, avec sa bande-son originale des Stooges, de
Suicide et de Pere Ubu, scandalise un parterre de féministes
qui assoit définitivement ma réputation de martien
déjanté.
En 1977, le mouvement se radicalise. On est fascinés
par Baader et Mesrine. On rejoint la grande manif antinucléaire
de Creys-Malville au son des Sex Pistols,
après avoir envoyé un texte commun, ‘Comment garantir
le caractère violent de la Manifestation de Creys-
Malville’, qui sera publié par Libé. On écume les
concerts : Clash, Jam, Cherry Vanilla et Wayne County
au palais des Glaces, Iggy Pop à Pantin, Johnny
Thunder et les Heartbreakers, Dave Vanium & the
Damned. L’idée de fonder un groupe de punk rock ultraviolent
nous obsède, mon pote Marc et moi-même.
Fin novembre, le projet se concrétise. Maurice se
décide, et on se réunit dans la cave du pavillon de banlieue
de son père, à Nogent sur marne. Le groupe s’appelle
alors État d’Urgence. Quelques semaines après
sa formation, Jean Ternisien nous rejoint, et notre premier
concert a lieu dans l’amphi N de l’université de
Tolbiac, au milieu d’une manif. On joue nos quatre morceaux
cyberpunk (RAF Propaganda, Sans Contrôle,
Massacre à l’Électrode, Brigade Interférences), puis on
s’enfuit avec le matos pourri avant les charges de CRS.
Quelques temps plus tard, autre concert organisé dans
un squatt d’autonomes, se termine en baston généralisée.
Voici ce qu’en raconte Jean-Eric Perrin, alias Johnny
Gueule d’Amour, dans Rock’n folk :
Moi-même au concert des Damned
(in Punkitudes, Albin Michel 1978)
Concert de Clash, Jam, Wayne County et
Cherry Vanilla au Palais des Glaces
Dantec dans mon film adapté de Crash!
Affiche d’un de nos premiers concerts
Riton, Maurice et Marc à Tolbiac Jean et Mo à Tolbiac
Le Kawai de Mo
Ma collection de tickets de concerts de l’époque
Mo en répet à Nogent
En 1978, on commence à savoir jouer de nos instruments. Mo s’est acheté son
premier synthé, un Kawai monophonique à mémoire en carton (c’est des feuilles
trouées sur lesquelles on note le niveau des potentiomètres qui permettent
de ‘retrouver’ les sons). J’ai investi dans un synthé de percussion, que j’insère
dans un fût de produits chimiques toxiques sur scène. On garde le contact avec
le milieu parisien, notamment Yves Adrien, à qui on envoie des cassettes sous
le nom de Section Sonique Industrielle.
Sur nos platines, Suicide et Devo, les Talking Heads ou les Stranglers. L’Été
de la Haine punk est terminé, le mouvement s’est officiellement autodétruit,
pour laisser place à ce qui s’appellera New Wave, Cold Wave ou Indus.
L’esprit ‘commercial-arriviste’ des années 80 pointe son nez.
Mutation. Notre nom devient Artefact, vocable qui m’a été inspiré par
un livre de Dick. Sous la pression de Maurice, Marc (jugé trop faible
musicalement) est remplacé par Jean Paul Ruard, ancien chanteur du
groupe Warm Gun. Celui-ci apporte un swing funky et un potentiel
vocal plus étendu. Maurice invente le concept de hard-muzak, sorte de
disko conceptuelle destinée à opérer une déprogrammation neuronale.
Son slogan, ‘Une chimiotérapie à l’Usage de Tous’ est inspiré du
constructivisme et de Science & Vie. Notre logo représente un paquet
de lessive atomique, sous l’influence croisée de Debord et de Dick. La
cave de Nogent devient un laboratoire de chimères musicales, siège de
manipulations génétiques où Gene Vincent rejoint la NASA (Be-Bop-
A-Logic), Orwell le cha-cha-cha (Consommateurs), l’idéologie croise
la disco (Internationale Disko) ou la guerre électronique (Irradieur
Soviétique). James Brown se robotise (Sex Computer), le docteur
Frankenstein découvre le cyber-sadisme (Massacre à l’Électrode),
Freud rejoint la RAF (Sans Contrôle), et les terroristes détournent le
système médiatique global (Brigade Interférences).
De manière générale, les compositions étaient réalisées à partir d'improvisations
collectives, sur la traditionnelle base rythmique basse/batterie.
Puis, Maurice adaptait un texte qui collait à la couleur du morceau.
Le spectre très large d'inspiration reflétait à la fois les différences
de goût et celles de personnalité des membres du groupe. Jean passait
du disco bouffon au riffs heavy. Jean-paul pouvait incarner l'esprit du
rockabilly comme celui de la sensualité et du swing funk. Maurice affichait
clairement ses orientations cold et métal, avec un arrière-plan
folk celtique. Pour ma part, je me reconnaissais dans l'ensemble de ces
sensibilités, plus une prédisposition vers les rythmes africains. Claude
Arto, collaborateur plus ponctuel, était le maître bruitiste.
Chacun de nous avait une place dans le travail commun, en fonction de
son profil psychologique. Jean-paul était un compositeur naturel. Jean,
qui aimait se déguiser en caricature de vendeur de savonnettes, était
orienté vers le côté promo. Maurice, cérébral introverti, trifouillait ses
cicatrices pour en livrer le jus obsessionnel. La part qui m'était dévolue,
en tant qu'intuitif extraverti, consistait à transcender ces catégories,
et générer des catalyses. Dans le but de réaliser les futurs clips du
groupe, et après le tournage du film, j'étais en charge de l'image, prise
aussi dans son sens général, l'harmonisation des différents ingrédients
de notre 'recette'. Il m'arrivait le plus souvent de produire des idées les
plus surréalistes possibles, que je transmettais à Maurice pour les développer.
J'avais appelé mon film un 'reportage de fiction vécue', concept
popularisé 25 ans plus tard sous l'appellation d'autofiction. Le projet
musical d'Artefact était pour moi une transposition du travail de
Stanley Kubrick au cinéma : le détournement de genre, ce que j'appelle
l'échantillonnage conceptuel. De la même manière que le maître osait
mettre une valse sur une station spatiale dans 2001, j'aimais coller
l'image d'un robot avec celle d'Eddy Cochran à l'intérieur d'un morceau.
Mais aussi de juxtaposer plusieurs de ces collages, totalement
différents, à l'intérieur d'un même album. C'était relativement abstrait,
et donc un peu intellos, mais à mon avis pas trop péteux.
L'ironie était là pour désamorcer la lourdeur, sans sacrifier notre amour
pour l'objet d'expérience. Nous savions aussi que cette distance, cette
vision 'universaliste' de branchés chic de la culture pop pouvait coller
avec l'image que les étrangers ont de la France. La réussite des DJ's
français l'a amplement prouvé par la suite.
On cherche maintenant activement à signer dans une maison de disques,
grâce à Jurgen, notre nouveau manager Allemand, ancien amant
de Brigitte Bardot qui nous a décroché ce premier vrai concert, à la
Main Bleue de Montreuil. Cette énorme boite proto-techno, le plus
grand dance-floor d’Europe, est établi dans un sous-sol de supermarché.
C’est le fief des mondains des Halles comme Thierry Ardisson et
son magazine Façade, ou Serge Kruger, designer de mode, animateur
de radio et DJ de soirées africaines. Dans un light-show au laser, les
premiers jeux vidéo d’arcade (Pong) parsèment la salle et la vodkatonic
fluorescente font un décor parfait pour des fans de SF comme
nous.
Cagoulés comme des terroristes (clin d’oeil aux Residents), vétus de
combinaisons de travail blanches et de chaussures de sécurité industrielles,
le concert est un magma noisy car la fumée artificielle nous
aveugle, empêchant Maurice de programmer son synthé qui rend des
sons absolument incontrôlables. Après cette première expérience, notre
manager nous emmène dans un château franc-maçon, près de Troyes
pour nous coacher. Quelques semaines de répétitions intensives dans
une cave du 13ème siècle, avec jogging matinal pour polir notre futur
album. Mais, après des négociations avec CBS ou Barclay infructueuses,
Jurgen démissionne.
Riton & Mo en CyberTerroristes à la Main
Bleue (sept 78)
Nous passons alors nos soirées au Rose Bonbon, un petit club -récemment
ouvert sous l’Olympia- qui devient la mecque de la New Wave
française. Une dizaine de concerts en tout, avec projection de mon film
Crash! sur les musiciens, dans la tradition de Wharol. Quelques solos
d’aspirateur. Un soir, je joue de dos sur le devant de scène, un masque
de mickey sur la nuque. Jean se lie avec les filles de Bernadette Lafont
, Pauline et Elisabeth. Nous y fréquentons des groupes qui nous ressemblent
enfin: Modern Guy et son incroyable chanteur Guillaume,
Suicide Roméo, formé des anciens musicien du groupe 1984 d’Henry
Flesh, Indochine, plus tout une tripotée d’autres tombés dans l’oubli.
Nous y croisons Gainsbourg. Et puis il y a Taxi Girl, nos plus proches
cousins d’esprit. La poésie noire de Daniel Darc, et la modernité du
son de Mirwais.
Un de nos concerts au Rose Bonbon, avec Jean-Paul dans un fauteuil de dentiste
Jean-Eric Perrin, Rock n’ folk
Nous rencontrons un chanteur
Hongrois fou, Gregor Davidow, ami
de ‘M’ (Mr Pop Muzik) avec qui nous
commençons à collaborer.
Concert en février 79 dans l’ancien
cinéma Eldorado, siège d’un éphémère
festival du fantastique, en compagnie
de nos amis Suicide Roméo.
Une maquette est enregistrée au studio Ramsès, à Paris, ou travaille
Richard Pinhas, incidemment producteur de Panik, fabuleux 45 tours de
Métal Urbain. On a alors accès à du matériel semi-pro : un magnéto
Scully 8 pistes, le synthé et le Vocoder Ems de Pinhas. (Ces morceaux
sont disponibles en téléchargement sur le site, rassemblés sous le nom
Implosion Modèle X). On présente cette maquette à Jean Karakos, organisateur
du premier festival de rock en France avec les gens d’Actuel.
C’est le producteur visionnaire de Bill Laswell, Herbie Hancock, Soft
Cell, d’une bonne partie des meilleurs groupes africains (ainsi que de
l’escroquerie de la Lambada). Celluloid, sa maison de disque, vient de
lancer un nouveau label consacré à la cold-wave, Dorian. Les négociations
aboutissent, et nous signons un contrat pour la production de plusieurs
albums, ainsi que nos potes de Modern Guy, Jacno et son protégé
Etienne Daho.
Le 22 avril, concert de la Nuit Moderne/HEC au Palace. Notre premier
et seul concert au Palace, en compagnie de Modern Guy.
Le 2 mai. On achète un ancien corbillard pour le relooker en soucoupe
volante noire et acier, et transporter notre matériel pour participer au
festival de science-fiction de Metz, celui ou le grand Dick a fait une
apparition l’année précédente. Nos affiches ont été envoyées, mais pas
collées par l’organisation déficiente. Arrivés au Sofitel, notre corbillard
se coince dans la rampe du garage. Les pompiers débarquent avec leur
grande échelle pour débloquer l’intrus, ce qui crée l’attraction du
dimanche après-midi, dans la morne ville de garnison qu’est Metz. Sous
ces auspices, le concert est une vraie cata. On se retrouve à faire la première
partie d’un groupe espagnol de musique planante devant 12 personnes
endormies.
Jean-Eric Perrin, Rock n’ folk
Gregor Davidow
Le flyer catastropho-situationniste de la Nuit du Fantastique
L’affiche du concert au Palace
Été 1979. Concert à Compiègne, avec Modern Guy. On commence à
s’éclater sur scène. Les picards restent de marbre devant notre prestation,
le punk étant à peine arrivé dans ces contrées ‘primitives’. Décidés
à tout tenter pour dérider un public rétif, on se lance dans une version
déjantée de Louie Louie de vingt minutes, à 9 musiciens. Chaos total.
Enregistrement de l’album. On loue un 16 pistes chez Publison. Le
jour où on vient le chercher, les gars de Kraftwerk sont là, et se font
faire une démo d’un nouveau matériel, le DHM-89 B2, c’est-à-dire le
premier échantilonneur du monde, invention française comme tout le
monde ne le sait pas. Malheureusement, on a pas les moyens de se payer
ce nouveau joujou..
On part s’installer dans la maison de campagne de mes parents, à
Salency, (qui devient ‘le château de Lancy’ sous la plume de Jean-Eric)
près de Noyon. On bricole un véritable studio d’enregistrement là-bas.
Les voix sont prises dans les chiottes, la batterie dans la cuisine (comme
il se doit). Le prix des synthés dernier cri qui encombrent la chambre à
coucher dépasse celui de la baraque. Plusieurs fées se sont penchées sur
notre berceau : Marc Caro nous a prêté son vocoder, Clode Arto de
Mathématiques Moderne prépare les séquences sur son Oberheim modulaire,
Maurice vient de s’acheter un merveilleux Roland Jupiter 4, synthé
polyphonique à mémoire, et nous passons nos nuits à peaufiner les morceaux.
Jacno et Hervé Zenouda passent nous voir, pour jouer au billard
dans le salon.
On enregistre en deux mois, l’album Agit Pop sous le nom d’Artefact, et
le maxi 4 titres The Party avec Grégor Davidow. Ils seront mixés au studio
d’Auteuil, où vient d’être fait le premier album d’Étienne Daho ou
celui de Jacno. Les Modern Guy reviennent de New York, où John Cale
(du Velvet) a produit leur album au studios du Radio City Hall.
Lancement du maxi-single. Trois morceaux sont extraits de l’album,
Massacre à l’Electrode (MAE), Be-bo-a-Logic, et Sex Computer. Le disque
est plutot bien reçu par la ‘critique’, c’est à dire pour Patrick et Jean
Eric, seuls représentants du showbiz à s’intéresser à des martiens comme
nous, le reste étant persuadé que Starshooter représentent l’espoir du
rock gaulois à l’exportation !
Jean-Eric Perrin, Rock n’ folk
Jean-Eric Perrin, Rock n’ folk
Riton, Jean et Mo dans une mise en scène
surréaliste inventée par Jean
Riton et Jean
Jean en cyber-yuppie dans un article d’Actuel
Artefact photographié dans l’usine de mon père
1980. La décennie maudite commence. Pourtant, tout n’est pas négatif.
Gainsbourg passe notre Internationale avant son spectacle du Palace.
Adrien donne une cassette du groupe à Devo. De New-York, ma petite
amie Amalia Escriva m’envoie une critique parue dans le magazine
d’Andy Warhol, Interview, écrite par le journaliste découvreur de
Kraftwerk aux States.
L’ambiance se dégrade rapidement. Les tensions se sont exacerbées pendant
le mixage. Dantec, obsédé par la réussite commerciale, tient absolument
à cleaner le son pour se rapprocher le plus possible de la disco.
Notre producteur artistique, Jean-Marie Salaun, se révèle être un opportuniste
à la sensibilité plus publicitaire que ‘révolutionnaire’. L’ingénieur du
son, Roger Politis trippe sur les fréquences médium, rendant notre musique
carton-pâte. Sans l’énergie et le gros son sale qui nous portait sur
scène, ce ‘laminage’ sonore révèle les défaillances techniques dues à notre
inexpérience. L’arrivée de la Linn (première batterie synthétique samplée
avec un son réaliste) sonne l’heure du chômage pour de nombreux batteurs
comme moi. Isolé, déconsidéré, sans plus aucun pouvoir sur le
groupe que j’ai animé et dirigé pendant deux ans, je me sens acculé,
agressif.
Jean-Paul a de fréquentes crises de remises en question, et
de gros problèmes financiers. Par chance, nous décrochons
un contrat de musiciens/comédiens dans la pièce
Aux limites de la mer, d’Armando Llamas, mis en scène
par Catherine Dasté au théatre de Sartrouville. Mais nous
ne nous entendons pas avec la metteuse en scène, qui a
travaillé surtout pour les enfants. Rita Mitsouko nous remplace (avec un
détour de Catherine par le lit de Jean-Paul), et c’est encore un échec.
Jean, lui aussi, commence à déconner. Il passe son temps à frimer aux
bains-douches plutôt qu’à bosser en répét’. Brancherie bidon et topmodels
ont remplacé les potes zonards. Grace à ses relations avec Zerbib,
il décroche une pleine page dans Actuel, sans nous prévenir. Le jour de la
parution, on se découvre avec stupeur, Mo et moi, relégués à l’état de
tâcherons dans ‘SON’ groupe, Artefact. Sans parler du sujet absolument
ridicule de stupidité (Les Jeunes Gens Modernes Aiment Leur Maman !
...pour d’ex-fans de la bande à Baader, ça craignait velu.)
Furieux, Mo et moi-même décidons de le virer. Jean et sa maman
A l’extérieur, l’esprit de compétition a remplacé la collaboration dans le
milieu. Daniel Darc casse la gueule de Mo un soir de beuverie à l’entrée
des Bains, car Taxi-Girl a remporté le ‘gros lot’ en la personne d’Alexis,
le manageur new-wave le plus courtisé du Rose Bonbon. La dope commence
à faire des ravages : leur batteur est retrouvé une semaine après
son OD, à cause de l’odeur de viande pourrie. Daniel, Guillaume, sans
parler de tous les punks comme Maldoror ou Maxwell, sont à fond dans
la poudre.
Arto, notre dandy techno, auteur des séquences de synthé les plus ahurissantes
de nos productions, (et, avec le recul, prototype de plusieurs
générations de DJ’s depuis trente ans), fonde tous ses espoirs dans une
tournée japonaise qui ne se fera jamais, puis tombe malade. Et ne s’en
remet pas. (En 1984, j’ai revu par hasard la chanteuse des Maths
Modernes, Edwige Gruss la-reine-des-punks, devenue serveuse junky à
la Danceteria, la boite branchée de New York. Hervé Z, le batteur des
Stinky Toys, s’est perdu lui aussi là bas.)
Mars 1980, on fait la première partie des Simple Minds au pavillon
Baltard de Nogent. Devant 7000 personnes, notre prestation se transforme
en catastrophe avec la défaillance de ma boite à rythme. Karakos
nous fait la gueule, la presse nous étrille. Après ces problèmes, le lancement
des deux disques est retardé, ce qui nous empêche de pouvoir
organiser une tournée.
De plus, Maurice ne veut rien savoir de la scène. Il croit qu’on peut
concocter un tube bien au chaud dans sa tour d’ivoire (malheureusement,
le dentiste d’à coté a porté plainte, et nous n’avons plus de local
de répétition !).
Mai 1980. Concert de l’Olympia, avec Jacno, Lio et tous les potes. Mo,
tétanisé, oublie son jeu de scène dans la composition de théatre
constructiviste qu’on a préparé pour l’Internationale. Marc a reintégré le
groupe pour quelque temps, comme saxophoniste.
Concert de la fête d’Actuel. Jean Ternisien ayant été adopté par Bizot
et sa bande de maquereaux de la culture alternative, ils font appel à nous
pour animer l’anniversaire du magazine. En notre compagnie, Parazite,
le groupe de Marc Caro. Maurice-le-gaffeur renverse du Coca sur son
synthé, qui rend l’âme. La prestation est lamentable, Dantec se battant
avec l’Ems de Caro pour lui faire sortir des sons décents.
Riton V. et Marc Caro à la fete d’Actuel
Jean, Jean-paul, Maurice et Riton (Underground, par Jean
François Bizot , éditions Denoel , Paris 2001)
Ticket du Marquis au festival Rock 80, Halles
Baltard de Nogent
Flyer du concert de l’Olympia
L’entrevue suivante est la dernière du groupe originel. La photo transcrit bien son état d’esprit : des
apprenti sorciers morbides devenus prisonniers de leur subconscient.
Quelques semaines plus tard, Maurice met en oeuvre son ‘putsch industriel’. Il dépose l’intégralité des droits
d’auteur à son nom. Marc et moi sommes virés. Le “trip” gagnant est alors de se lancer dans des projets yuppies
: look néo-romantique à la Adam & the Ants, musique celtique matinée de Gary Numan.
1981. Sans aucun soutien, ni de l’éditeur et encore moins de ses ‘auteurs’, l’album sort des mois trop tard, et
fait un flop. Maurice s’acoquine avec de douteux personnages, comme Stéphane Piétri. Piétri et Jean l’ont
convaincu de lancer un annuaire du rock alternatif, RockBiz, concept foireux sur un marché inexistant. Le projet
se casse la gueule. Dantec, endetté, devient pion au lycée Romain Rolland pour survivre.
Nous ne nous parlons plus pendant dix ans.
Pendant ce temps, Marquis de Sade, Modern Guy, Suicide Roméo, et la plupart des groupes de la période
punk et new-wave originelle se cassent la gueule. Seuls survivants : Indochine et Rita Mitsouko. Le ‘marché’
est mûr pour les daubes à la Soft Cell, Human League, Cure et autres poseurs du même tonneau.
Derniers soubresauts de la New-Wave authentique
Epilogue 1 : 10 ans plus tard, deuxième passage de la spirale.
Après l’échec du groupe, je fais une seconde tentative avec Tabou, en compagnie d’Eric Weber (ancien Casino
Music), et Eric Fitoussi (ex Marie et les Garçons). Nous sommes le premier groupe de java-rock, cinq ans
avant les Négresses Vertes et autres avatars du néo-swing. Tabou reprend du Piaf, du Chevalier ou du Dario
Moreno, devant un public qui porte encore les petites cravates de cuir et les costards yuppies de la cold-wave.
C’est encore l’incompréhension totale, et il m’apparait clairement qu’il est impossible d’être un tant soit peu
d’avant-garde dans ce pays. J’abandonne la musique en juillet 81 après un concert à l’Olympia en première
partie d’Indochine et des Civils.
Comme d’autres ‘jeunes gens modernes’ (Hervé Z.), il est temps de reprendre des études : l’informatique me
tend les bras. Programmeur, roboticien, puis en 1987 je monte une des premières boites de production d’animation
3D. Mon passé New Wave me rattrappe une première fois : le vidéoclip du remake de ‘Re-bop’, par mes
ex-collègues de Marie et les Garçons, est réalisé dans les locaux de mon entreprise par Eric Roussel. Fitoussi,
Vidal, Lizzy-Mercier Descloux, Weber, plus un paquet d’autres que j’ai oubliés, sont là.
1993. Dans un salon consacré à la communication, je croise Dantec qui vient de monter
un projet de boite vidéo. On se parle. Puis on se revoit, assez régulièrement. Sa boite se
casse la gueule, la mienne aussi. Il a écrit un bouquin, paru chez Gallimard. Et aussi
Backstage, un roman inédit qui raconte de façon romancée nos années rock’n roll. Petit
à petit, je deviens son ‘conseiller technologique’, lui apportant des concepts tirés de
mon métier. Comme au temps de notre collaboration dans Artefact, il tire de ces
multiples conversations autour de la cybernétique la matière de son second roman,
Les Racines du Mal. Le roman connait un grand succès, et Canal fait appel à moi pour organiser une petite
surprise pour son passage à Nulle Part Ailleurs, l’émission d’Antoine de Caunes (qui est fan) et Gildas. Je propose
d’aller tourner une séquence au Gibus avec les anciens membres du groupe. Mais Jean est mort, Jean-paul
en amérique du sud, et Marc ne veux rien savoir. On se retrouve, Clode Arto et moi-même, sur la scène du Gib
à faire un play-back sur ‘Consommateurs’ (clin d’oeil à Debord) affublés de nos cagoules du concert de la
Main Bleue. Le lendemain, de passage chez Dantec, je décroche le téléphone, et c’est Jean-François Bizot,
qui, me prenant pour lui, commence à me féliciter comme si on s’était quitté la veille - alors qu’on n’a pas eu
de se nouvelles depuis dix ans ! (Fame ! What’s your name ? Comme dit Bowie...)
A cette époque, Mo a encore du respect pour les ‘allumés’ qui sont ses lecteurs et qui le soutiennent. On a fait
le bilan de notre passé, de ce groupe dont la valeur était supérieure à l’addition de nos talents individuels, et
qui fut totalement boudé par le showbiz traditionnel. La nouveauté est étrange, d’autant plus dérangeante si elle
vient de banlieue. Qui plus est, si elle se révèle rétive aux classifications habituelles. Pour les décideurs de
Neuilly tout banlieusard ne peut être que bronzé, parlant argot et dansant petit nègre; il est d’autant plus urgent
d’ignorer le reste...
On tombe d’accord sur la faillite virtuelle de la France. Et petit à petit, on décide de se casser. Comme, vingt
ans plus tôt, on était partis visiter le désert marocain, on se retrouve vite fait dans les bidonvilles de Bangkok,
cherchant une issue asiatique à notre pessimisme. Puis sur une plage de Koh Tao, je lui conseille de s’occuper
de ces myriades de jeunes technos qui viennent raver sur les plages les nuits de pleine lune : ce sont ces futurs
clients. La vie sous les cocotiers nous séduit, mais le fossé culturel avec les impénétrables Asiatiques est trop
grand. Il faut trouver autre chose. Au retour de ce voyage, une piste se présente : Mo est invité au salon du
livre de Québec. Au mois de juin 1994, je me colle à ses basques dans son périple en Nouvelle-France. Le
tapis rouge est déroulé : réceptions chez l’ambassadeur au château Frontenac, balades en Lincoln blanche par
le représentant de Gallimard-Amérique, soirées avec la crème des journalistes et jeunes auteurs québécois, rien
n’est trop beau pour impressionner le jeune loup du cyber-polard. Nous sommes enchantés par la gentillesse
des Montréalais, la vie relax et le look New-York années 50 de la ville.
Arto en cyber-terroriste à
NPA, Canal +
A la bastoche, j’ai revu par hasard Clode Arto au café de la Fontaine. J’y bois une bière de temps à autre avec
Eudeline, qui a déménagé de son troquet de Montmartre pour s’enfiler ici ses expressos-pastis. Un autre jour,
un junky salement amoché, la tronche tuméfiée, m’accoste sur le trottoir. Il s’agit de Daniel Darc. On se
tombe dans les bras, mais vu son état, je suis persuadé que c’est la dernière fois que je le vois vivant. En octobre,
j’effectue un second séjour à Montréal, pour tâter le terrain autrement que dans l’euphorie estivale. Le
second test est positif, et je vais à cette occasion faire les contacts qui me permettront de créer le tissu social de
ma future installation.
Retour sur le plateau Mont-Royal à l’été 95, en compagnie d’Arto. C’est la teuf, le party,
la surboum, pour ce qui restera comme la seconde adolescence de ma vie. Un loft de 150
m2 en centre ville se loue une misère, l’ecstasy est de bonne qualité. Au bout de deux
mois de saoûlerie intense, on se retrouve en pleine cambrousse, dans les cantons de l’Est
très exactement, en compagnie d’une bande de freaks pour recharger nos batteries. Des
nymphettes à peine pubères font du cheval à cru, sous le regard concupiscent de
poètes qui se baignent à poil dans le lac. Non loin de là, un ancien des Bérurier Noirs,
Michboul vient de planter la tente de son théâtre ambulant.
Plus incroyable encore, nous revoyons Gregor Davidow, qui habite le Canada depuis une quinzaine d’années.
C’est devenu une caricature de l’aristocrate facho, sorte de von Stroheim monoclé sorti d’un film sur l’empire
austro-hongrois. Content de nous revoir, il nous présente la designeuse de fringues lesbienne dont il conçoit le
défilé de mode, pour une collaboration éventuelle. Mais les choses deviennent très vite incontrôlables, et tout
capote dans un chaos schizo-sexuel dont la promiscuité montréalaise a le secret.
De retour en France, je décide d’émigrer. Pour aider, je tente un tour de passe-passe. En effet, Gallimard est
intéressé par l’adaptation en jeu vidéo d’une nouvelle de Mo. M’étant renseigné par les
possibilités de développement au Canada, il apparait que le gouvernement facilite les projets
tournant autour du multimédia ou d’internet. Les coûts de main d’oeuvre sont plus
bas qu’en France, et le savoir-faire en 3D est remarquable. On peut donc réaliser notre
jeu là bas. Pendant deux mois, on se met au boulot Clode et moi pour réaliser une
maquette. Marc Caro est contacté pour réaliser la direction artistique. Mais je n’ai pas
l’intention d’attendre la réponse de l’éditeur, puisque de toute façon ma décision est prise,
et je m’installe en éclaireur au mois de février 97. Quelques mois plus tard, Gallimard nous jette la maquette à
travers la figure. Au début, je trouve ça bizarre. Puis ça me prend un certain temps pour comprendre qu’ils sont
tellements ignorants des réalités industrielles qu’ils pensaient que j’allais leur donner un jeu tout fait ! Ça faisait
pourtant déjà un bon dix ans que l’ère du petit-génie-qui-concocte-un-hit-dans-sa-cave était terminée, et
que la moindre maquette coûtait déjà 100.000 boules (et un jeu plusieurs millions) ! Mais qu’est-ce que dix ans
pour une élite qui vit au dix-neuvième siècle ? Et pourquoi s’abaisseraient-ils à payer pour ça, alors que tous
les écrivains qu’ils exploitent livrent leurs manuscrits gratuitement ? (Dix ans après, l’éditeur de jeux français
Ubisoft, qui s’est installé plus tard à Montréal, emploie 2000 personnes.)
Pour moi, célibataire sans boulot ni célébrité pour me protéger, l’hiver 97 est plutôt rude. Suis installé au 10,
Ontario ouest, dans le loft d’Antonin, un pote designer. Posé mon baluchon, mon ordi portable et un ancêtre
d’appareil photo numérique dans son atelier, un réduit muni d’un hublot de 2 m de diamètre, comme dans la
cabine d’un vostok. Le premier mai, tel un paquebot fendant les glaces, les immenses fenêtres du 9ème étage
sont aux premières loges pour une tempête de neige sur la côte du boulevard St Laurent. Je suis bloqué. Alors
pour m’occuper j’ai sorti des entrailles de mon disque dur l’ébauche d’un roman commencé trois ans plus tôt,
que j’envoie à J-B Pouy, qui vient de lancer une nouvelle collection chez Baleine, MACNO, version SF de son
Poulpe. Il me donne le feu vert, et à l’été, je livre mon premier roman chez l’éditeur, qui parait en 1998 sous le
titre ‘Dose Létale à Lutèce-Land’. Le bouquin, qui parodie S.A.S (avec un clin d’oeil à l’Orange Mécanique de
Burgess), est en fait, une autobiographie de science fiction qui raconte l’histoire du groupe ‘translaté’ en 2078.
Le prétexte qui sert de fil dramatique au bouquin est l’enquête de Riton V., netéctive privé, sur l’assassinat
rituel d’un techno-mondain (l’arrière petit-fils de Pacadis), dans un Paris futuriste racheté par EuroDisney. La
collection ne trouve pas son public, et l’éditeur fait faillite quelques années plus tard.
Jaquette de la maquette du jeu
Dantec dans une teuf à
Montréal
Le 10, Ontario ouest (celui de Babylon Babies) sera le théâtre lui aussi de nombreuses
fêtes, qui attirent le tout-montréal branché. Un jour, j’organise une soirée ‘Love Boat’
pour payer le loyer. La fête attire 250 personnes, avec concert privé de Jérome Minière.
Dantec, qui a fait des aller-et-retour en solo pendant deux ans, débarque officiellement
avec toute sa famille en 1999. Il va profiter de tous mes contacts à Montréal
comme j’ai pu profiter des portes que sa renommée m’ont ouvertes.
Epilogue 2 : 20 ans plus tard, troisième passage de la spirale.
Mais le léchage de pompes opéré par le système médiatique commence à lui monter à la tête. L’ambiance
s’était déjà dégradée avec l’épisode du jeu, Dantec se révèlant encore moins capable de travailler en équipe
que par le passé. Essayer de faire comprendre les principes d’un scénario non-linéaire ou les contraintes techniques
d’un jeu à quelqu’un qui pète les plombs tous les cinq minutes a été particulièrement difficile.
Puisque son succès démontre la validité de ses théories, il croit pouvoir tout contrôler. Ce qui lui permet
notamment de relancer sa vengeance ‘rock’ dans les projets musicaux avec Pinhas et Spinrad. Comme il commence
à se prendre sérieusement pour la réincarnation de Deleuze, personne ne peut lui expliquer que ses lectures
nombriliques et métallo-statiques, couronnés par les masturbations frippiennes de Pinhas n’intéressent
personne.
Sa lune de miel avec le Québec prend fin. Car sa stratégie n’est pas de s’adapter, dans le
but de s’intégrer dans un nouveau pays, mais d’utiliser son bunker montréalais comme
base arrière pour des attaques contre le système politico-médiatique français. Une tour
d’ivoire dirigée vers le vieux continent, à l’abri des ‘hordes islamistes’ qui le menaçaient
dans son HLM d’Ivry, mais aussi des réactions incontrôlables des fans de la première
heure trahis par ses provocations gratuites et ses retournements de veste. Toute son énergie
est orientée vers la polémique, dans le but de maintenir la
couverture médiatique (Parlez en bien, parlez en mal, mais parlez de moi. Vieil adage du showbiz !). Son
talent, c’est de scanner compulsivement les idéologies moribondes du 20ème siècle. Une vieille technique de
rhétorique (abondamment employée par Bizot) qui permet de se forger une aura de prophète futuriste à moindre
frais. Le pseudo ‘complot’ contre son génie ourdi par l’ennemi gauche-caviar (qui l’a au demeurant sorti du
ruisseau et abondamment soutenu en début de carrière) pourrait n’être qu’une invention pure et simple conçue
pour régler les comptes du Papa résistant communiste qui n’avait pas eu sa part du gâteau miterrandien.
En 2000, il me propose la rédaction d’un essai théorique à trois mains, résultat de nos nombreuses discussions
autour des enjeux de la littérature, de l’art et de la technologie pour le nouveau millénaire, en collaboration
avec un autre ami, professeur à l’université de Montréal, Thierry Bardini. Il part pour la France avec nos
notes, puis dépose le projet... à son nom chez Gallimard, tout en nous disant ‘qu’ils n’étaient pas intéressés’.
Renouant avec ses bonnes vieilles habitudes du temps d’Artefact ou il s’attribuait tout le bénéfice de notre travail
commun ! C’est la goutte qui fait déborder le vase, car j’ai maintes fois (je n’en ferai pas la liste exhaustive
ici) bossé pour lui, pour me retrouver payé à coups de pieds au cul. La ‘méthode Dantec’ est assez simple :
utiliser systématiquement les conversations informelles avec ses ‘amis’ en jouant l’avocat du diable, pour avoir
tout loisir d’y prendre ce qui l’intéresse, et de se l’approprier. Mais j’en ai maintenant plus qu’assez de voir
mes réflexions paraitre sous son estampille. Si j’avais pris du plaisir à lui donner ce qui constitue la sève des
romans de sa période cyber, continuer à le fréquenter reviendrait à me tirer maintenant dans le pied, puisque je
suis maintenant, moi aussi, un auteur publié. De plus, mécontent que je puisse ‘oser’ critiquer son comportement
vampirique auprès de mes amis, il commence à me menacer. Moi qui l’ai soutenu pendant son ascension
vers le succès, il me remercie par un renvoi d’ascenseur...dans la gueule ! Il se pavane avec sa petite cour de
lèche-bottes, son émolument mensuel de 6000 euros, et vient me chier dessus sans vergogne.
Dantec (et Antonin) dans une
soirée au 10, Ontario ouest
Dantec pose pour son portrait
holographique
Par pur égotisme, venant de se couper de sa principale source de réflexion techno-artistique (moi), il renie
maintenant sa période ‘cyber’ pour se consacrer à la métaphysique, terme pompeux exprimant le fait qu’il est
un des rares auteurs gaulois à sortir du cartésianisme étroit, ou du freudo-marxisme des intellos de St-Germain.
Un ami réalisateur français que je lui avait présenté, Yann Langevin, a réalisé un documentaire datant de cette
période. Au cours de la préparation du film, je préviens Yann que Dantec est en train de péter les plombs. Le
résultat est assez pitoyable. On y voit un Dantec dévoré par son vide intérieur, pérorer sur des clichés catastrophistes
ou tirer compulsivement sur son joint face à une webcam.
A ce moment, la plupart des journalistes sont encore subjugués par ses impostures (ou ses postures ?), mais un
ami écrivain québécois, Michael LaChance me propose d’écrire la critique du journal métaphysique fraichement
paru, ce ‘Théatre des Opérations’ qui se trouve être le projet auquel Dantec m’avait proposé de participer.
Après mûre reflexion, je décide -malgré les risques- d’ouvrir le bal pour le remettre à sa place.
Ce travail fut déplaisant (qui a vraiment lu ces 800 pages ?), mais le résultat libérateur. Connaissant ses ficelles
par coeur, ma critique va directement à l’essentiel, et fait bien plus mal que celles de bien des journalistes qui
ne savent pas de quoi ils parlent. Après cette ‘mise au point’, par journal interposé, sur ma façon de penser,
Dantec continue son implosion. Ses tendances paranoiaques aidant (j’en sais trop sur ses mensonges), et la
peur d’avoir à affronter un sérieux concurrent en la personne de son ex-ami va le mener jusqu’à l’agression
physique. Pour moi, les conséquences ne tardent pas à se faire sentir. Me voici dans une situation kafkaienne :
alors que j’ai été le premier à souffrir de ses délires mégalos, je suis devenu persona non grata au Québec, mis
dans le même sac soufré que lui, alors que mes positions sont à l’opposé des siennes. Pour en rajouter, en juin
2001, à moitié bourré, il me saute dessus au cours d’un vernissage, devant une foule médusée. Un copain, tentant
de me défendre, se prend un coup de bouteille. Dantec se barre en hurlant. Le lendemain, je porte plainte...
mais personne n’acceptera de témoigner contre un gars cinglé et célèbre comme lui ! C’est ici que commence
sa période Célinienne, faite d’insultes gratuites et de racisme déclaré. Il menace la revue dans laquelle j’ai
publié la critique de son livre. Quand je fais paraitre mon essai ‘Le futur est Derrière Nous’, qui reprend les
théories développées à partir de mes notes pour le projet soi-disant commun du ‘Théatre des Opérations’, il
envoie des courriels d’insultes aux journaux qui le critiquent (me traitant de macaroni, alors que sa femme est
plus ritale que moi ! Mais il n’est pas à une contradiction près). Dévoré par ses différents démons : la traîtrise
et la violence, comme dans cette soirée chez moi en 1975
ou, sous bad trip d’acide, il avait arraché mon affiche de Magma, dessinée
par Druillet, en hurlant “Le FEU !!!! l’ACIER !!!”
La ‘légende’ Dantec ?
Punk, il était le premier à se prendre des claques. C’est le genre à tomber
malade sur l’autoroute dès le deuxième jour de notre périple au Maroc, pour
se faire dorloter par les monitrices. C’est le ‘guerrier’ qui ne lâche pas son
joint dans sa paillote en thailande pendant que je crapahute en moto dans la
jungle pour visiter les bordels. C’est le mec qui se blesse en jouant au foot
avec des copines à la cambrousse, et qui n’est pas capable d’acheter un rouleau
de pécul sans l’aide de sa femme. Alors, le voir poser en warrior, et jouer
les matamores de la liberté d’expression tout en flirtant avec les crapules d’extrême
droite est assez pathétique.
Tout cela est bien dommage, car il se détourne de l’ennemi réel, la clique de chiens galeux qui règnent sur la
cocotte-minute gauloise, tous ces aristo-républicains qui n’ont jamais mis les pieds dans une cité. La voilà, la
vraie racaille, corrompue à l’os, shootée aux privilèges.
Le feu et l’acier de l’Apocalypse selon
Druillet
Epilogue 3 : 30 ans plus tard, quatrième passage de la spirale.
On ne se parle plus depuis cinq ans. Il se terre dans son loft, avec vue sur l’immense crucifix trônant sur le
sommet du Mont-Royal (l’équivalent du Central Park New-Yorkais). On habite à quelques centaines de mètres
l’un de l’autre, mais, Dieu merci, on se croise rarement.
Jusqu’au jour - ou plutôt une nuit- ou le fantôme de Jean Ternisien vient me ‘visiter’
en rêve. Plus tard, Clode m’annonce que les morceaux de Mathématiques
Modernes repassent à la radio. Suicide vient de jouer à Montréal. Il semble que les
groupes techno, lassés des sons purement électroniques, se mettent à réintroduire
des instruments traditionnels, retrouvant par là le même genre de sonorités que nous
avions inventés. Le ‘gros son’ des vieux synthés analogues est revenu à la mode.
Un Korg MS-20 -comme celui avec lequel Jacno a enregistré Rectangle- qui trainait
dans les poubelles et dont personne ne voulait quelques années plus tôt, est devenu
furieusement vintage et se négocie à des prix faramineux.
Mon pote Michboul m’annonce que Métal Urbain vient jouer ici.
De plus, les Bérus, reformés, l’ont contacté pour figurer dans leur DVD, et lui proposent
de participer à une tournée. Je lui dis, à la blague, que Dantec va bientôt me proposer de
remonter Artefact. Puis on se quitte, et je rentre chez moi.
Pour découvrir, en ouvrant mon courriel, une message titré : ARTEFACT.
Il s’agit du label TigerSushi qui m’écrit pour obtenir l’autorisation de ressortir Massacre
A l’Electrode dans une compilation Cold-wave. Malheureusement pour Dantec, ce n’est
pas la période Agit’pop dont il était le ‘leader’ qui semble avoir été retenue par l’histoire, mais la première
période, plus authentique. Ceci explique peut-être son silence -ou son déni- concernant le groupe, confondu
avec Heldon par les journalistes de Teknikart, car il lui faudrait pour cela assumer ne pas avoir toujours été
d’extrême droite.
Au concert de Métal, Dantec est là. On se retrouve backstage à fumer le pécos de l’amitié avec Débris, Pat
Luger (qui est installé au québec), Hermann et les autres, comme lors de leur dernier concert au théâtre de la
Roquette en 76. Un petit jeunot, à peine né à l’époque, les manage avec passion. Puis Mo me prend à part pour
‘parler bizness’. Il commence par noyer le poisson avec un problème concernant son ex-associé Stéphane Piétri
qui s’attribuerait des droits sur le groupe. Puis il revient sur la ‘merde de maquette de jeu vidéo’ que je lui ai
faite (il semble ne pas connaitre pas l’adage “À cheval donné on ne regarde pas les dents”). Enfin, il embraye
sur le ‘sérieux’. Le voilà m’expliquant qu’à cause de mon article dans Spirale (revue, qui, je le rappelle, doit
avoir 583 lecteurs répartis internationalement dans les quartiers universitaires de Montréal), une FATWA ISLAMISTE
a été mise sur sa tête ! Et que c’est plus dangereux pour lui, car il est moins connu que Rushdie. Mais
qu’il a des amis haut placé dans la police. Et qu’il est maintenant monarcho-franquiste (Quel humour involontaire
! Sous Franco, avec ce qu’il fume, il se serait retrouvé en tôle au bout de quelques semaines.) Mais cette
conversation plutôt ahurissante ne me fait ni chaud ni froid, car ce qui m’intéresse, c’est de vivre en paix avec
mon passé. Je me dois d’affronter calmement les errements, clairement cliniques, d’une personne qui a partagé
une partie de mon existence. Malgré les ressentiments que ses traîtrises m’inspirent, il est maintenant nécessaire
que j’apprenne l’indifférence et combattre la haine qu’il attise. Rester centré, car il est facile d’entrer dans
le jeu de ses provocations, et de se retrouver sur son terrain.
Quelques mois plus tard, concert de Daniel Darc aux Francofolies de Montréal. Un évènement chargé d’émotion,
particulièrement pour moi. Christophe, le vieux briscard (oui, celui d’Aline), la voix fragile et haut perchée,
affublé d’un pantalon de cuir et de bottes en peau de serpent, fait une étonnante prestation. J’aperçois
Daniel dans la salle admirant le spectacle. “Salut, Daniel, ça va ?”. “Oui...” il me répond évasivement, comme
ennuyé d’avoir été reconnu par un fan un peu collant. Je me barre. Puis reviens une minute plus tard. “Daniel,
c’est moi, Riton, d’Artefact...”. Et le voilà fondre presque en larmes. “Oh, Riton, excuse moi, je suis
presqu’aveugle maintenant, je ne t’avais pas reconnu. Qu’est-ce que tu fous là ?” “Eh bien, j’habite ici, depuis
dix ans maintenant...”.
Son show est extraordinaire. Je pense à la prestation de Joe Cocker pendant Woodstock, cette même sensibilité
pathétique, son corps torturé par la tôle et vingt années de dèche. Sa silhouette découpée de blanc sous les projecteurs
me rapelle aussi le Lou Reed de 75 chantant ‘Heroin’, cheveux rasés tatoués de croix gammées, qui
simulait ses fix avec le câble du micro... Il me dédie une chanson. Mouvements saccadés de ses bras fendent
l’air, mannequin désarticulé qui vomit sur Paris. ‘Marche. Attends. Marche. Attends’. Bashung passe faire une
apparition, pour ‘Bijou, bijou’, que Daniel soutient à l’harmonica. Puis, au final, il descend dans la foule, et me
tend le micro pour reprendre en choeur avec lui ‘cherchez le garçon...trouvez son nom...’
La boucle est bouclée.
Conclusion.
Certains vont sourire en lisant ceci, puisque les choses ne sont jugées qu’à l’aune du succès, et non en fonction
de leur valeur. Mais, avec le recul, le concept d’Artefact reste toujours un des plus ambitieux du monde de la
pop française de la fin des années 70. La plupart des groupes de cette époque (et, me semble-t-il, toujours
actuellement) se contentent d'une recette de base, comprenant peu d'éléments. En clair, si un groupe fait du
Rockabilly, il ne fait que cela, et il le fait en essayant le plus possible de copier le son, les thèmes, habillement
et attitudes reliés à ce genre musical.
Pas question ici d'expliquer dans les grandes largeurs mes conceptions sur l'art, mais il me semble que, même
du point de vue marketing, proposer des 'produits' indifférenciés, la plupart du temps copiés directement sur les
modes anglo-américaines, ne peut aller très loin. Maurice a en gardé cette rage contre le médiocre système
médiatique français, incapable de sortir de ses oeillères culturelles. Car en 1980, presque vingt ans après son
lancement, Johnny Halliday, pâle copie d'Elvis, était encore le modèle de ce 'système'. Quelle originalité que de
proposer comme alternative 'punk' un groupe comme Téléphone, clone des Rolling Stones relifté pour lycéennes
boutonneuses ! Pour la consommation locale, ça se conçoit, mais pour l'étranger ? Autant essayer de vendre
des tulipes à des Hollandais. Ce manque de vision des ses propres potentialités me parait refléter une des
causes de la disparition de la France en tant qu'acteur culturel majeur au niveau mondial. Il n'est pas fortuit que
l'article le plus élogieux sur Artefact ait été écrit à New-York. Nous l'avons instinctivement compris, mais avoir
le courage d’aller s'installer en Amérique était alors une tâche hors de portée pour les gamins de vingt ans insécures
que nous étions.
Évidemment, notre technique était approximative. Par contre, en ce qui concerne l'originalité et la créativité,
nous étions champions. Mais il y a des murs sur lequel on se cogne et qui ne peuvent être contournés. Entre les
explorations abstraites du Pink Floyd débutant dans les bars branchés du Swinging London, et le carton de
'Money', un long temps de maturation a été nécessaire. Pendant ce temps, il a fallu que les musiciens vivent.
Cela n'a été possible que grâce à un dense réseau de salles et de petits labels, bref d'un tissu industriel et culturel
qui, grâce à la langue anglaise, touche un marché de 400 millions d'âmes. Si vous ne vous adressez ne
serait-ce qu'à un petit pour cent de ce marché, vous pouvez survivre. Divisez ça par cinq pour la France, et l'assiette
est pratiquement vide. Et viser le 'grand public' français ne résout rien, puisqu'une fois cet objectif atteint,
le produit est alors généralement inexportable.
Seul Rita Mitsouko a réussi ce pari, envers et contre tous. Car en 1979, aucun producteur, manageur ou éditeur
français ne s'est précipité vers eux. Ils étaient les derniers sur qui aurait misé le show-business, préférant des
merdes comme Edith Nylon. Ce qui, paradoxalement, les a sauvés, car ils ont été obligés d'auto-produire
Marcia Baila, petit morceau d’un ‘petit’ groupe hermétique comme nous, devenu un hit absolu. Sur lequel ils
ont pu vivre et produire pendant toutes ces années, les droits tombant dans leur poche et non dans celle d’une
major.
Dernière minute.
Après les émeutes de Clichy, intervention de Dantec à la télévision québécoise pour soutenir les ‘forces républicaines
défendant l’occident contre les envahisseurs islamistes’. Il est urgent d’écouter RAF Propaganda, son
fantasme apocalyptique, un de seuls morceaux d’Artef chantés par lui-même au moment ou il se situait de
l’autre côté de la barrière.